Gérard Klein
À l'auteur inconnu 8
Première parution : NLM 18, octobre 1990
Il y a un au-delà. L'au-delà de la publication, c'est la traduction en d'autres langues et l'édition en d'autres pays. Naturellement, vous escomptez bien que votre éditeur, qui retiendra par hypothèse 50 % des droits annexes (voir les chapitres précédents), consacrera tous ses efforts à vous faire publier en Telugu ou en Kannada, à moins que ce ne soit en Nahualt ou en Haoussa et que s'il n'y parvient pas, il vous assurera au moins une parution en anglais, allemand, italien, espagnol et russe sans négliger les langues scandinaves et le portugais qui vous ouvre les portes du Brésil.
Malheureusement, cette attente bien légitime n'est qu'assez rarement satisfaite. Tous les grands éditeurs ont certes un service des droits étrangers qui adresse à longueur d'année des textes aux principaux collègues étrangers. Il profite aussi des grandes foires professionnelles du livre, comme celle de Francfort qui se tient traditionnellement en octobre, pour nouer des contacts et finaliser — selon un néologisme que je hais tout particulièrement — des contrats. Rien à voir avec le Salon du Livre de Paris qui n'est orienté que vers le public.
Mais ce service rencontre bien des difficultés en particulier en ce qui concerne la littérature de SF qui nous intéresse, et ce sont celles-ci que je voudrais évoquer pour calmer les esprits particulièrement échauffés et pour leur indiquer comment ils peuvent au mieux aider leur éditeur à progresser sur le sentier singulièrement étroit qui mène aux cessions à l'étranger.
J'ai une certaine expérience personnelle en ce domaine car je me suis occupé directement durant une dizaine d'années du placement des romans et nouvelles parus dans "Ailleurs et demain" à l'étranger, avec un assez grand nombre de succès moraux, sinon financiers. Cela étant, cette expérience date un peu et le lecteur averti pourra s'étonner de certaines de mes conclusions. Je souhaite qu'il fasse à son tour bénéficier les abonnés de NLM de son savoir.
Il convient tout d'abord de ne pas se faire d'illusions. Pour être publié à l'étranger, il faut d'abord être reconnu dans son propre pays. Les anthologistes et les éditeurs en quête de matériel iront d'abord les chercher dans les revues et les collections les plus réputées et se renseigneront auprès des indigènes.
Il faut ensuite sérier le problème pays par pays en tenant compte de l'existence ou de l'absence de collections spécialisées et au moins autant des connaissances linguistiques des éditeurs intéressés. C'est ainsi qu'il a été relativement facile de se faire traduire en italien et en espagnol, les directeurs de collection concernés connaissant le français ou ayant sous la main des conseillers familiarisés avec ce dialecte. Malheureusement, les deux pays intéressés sont aussi ceux qui offrent les conditions financières les moins intéressantes.
Vient ensuite l'Allemagne où il existe en moyenne sur la longue période deux ou trois collections de bonne tenue dirigées par des spécialistes comme Herbert Franke, Wolfgang Jeschke et Franz Rottensteiner, à vrai dire autrichien, qui ont publié d'assez nombreux auteurs français notamment dans des anthologies européennes.
Puis les pays scandinaves qui s'ouvrent de temps à autre malgré l'étroitesse de leurs marchés à une œuvre française généralement inattendue.
On achèvera ce tour de l'Europe Occidentale par un zéro pointé pour la Grande-Bretagne qui, c'est bien connu, vend, mais n'achète jamais. La seule publication que j'aie jamais enregistrée d'un roman français en Grande-Bretagne concerne une œuvre de Philippe Curval. Malheureusement, l'éditeur britannique ne s'est jamais acquitté d'aucun à-valoir ni d'aucun droit et a fini, je crois, par déposer son bilan !
L'Europe de l'Est publie assez volontiers des textes d'origine française, notamment en Yougoslavie, Hongrie, Pologne, Roumanie et Union Soviétique. Les tirages sont souvent plus impressionnants que la qualité du papier. Malheureusement, la plupart de ces pays réservent leurs précieuses devises à l'achat de matières premières et l'auteur ou son éditeur se voit crédité d'un montant dans la monnaie du pays qu'il est prié d'aller dépenser sur place. Certains pays particulièrement pervers ont compliqué le jeu en contraignant le touriste occidental à dépenser chaque jour une certaine somme, assez élevée, en devises fortes si bien qu'il n'a plus guère l'occasion d'utiliser ses fameux droits inconvertibles. Il arrive même qu'il n'ait pas le droit de les toucher, parce que n'appartenant pas à l'Union des écrivains du cru. Comme la nécessité rend ingénieux, des passe-droits sont généralement obtenus.
L'Union Soviétique, pour sa part, n'ayant adhéré qu'en 1979 à la Convention de Berne sur les droits d'auteurs a, jusque-là, trouvé bon de reproduire à son gré et gratuitement tout ce qui lui convenait. Les choses seraient rentrées dans l'ordre mais cela reste à vérifier. Des auteurs de stature internationale, comme Robert Silverberg, ont été conduits à refuser toute publication de leurs œuvres dans les pays de l'Est tant qu'ils ne seraient pas raisonnablement rémunérés et on ne saurait leur donner tort. Cela étant, l'auteur et l'éditeur français de quelque prestige se voient régulièrement suppliés par quelque correspondant plus ou moins officiel de ces pays sur un ton voisin de la mendicité et au nom de la culture et de l'amitié entre les peuples, de laisser publier sans véritables droits ni garanties telle ou telle œuvre. L'auteur cède généralement tant par vanité que par bonté d'âme. Dans le meilleur des cas, il recevra quelques exemplaires de la traduction de sa prose et apprendra bien des années plus tard qu'il figure entre Bradbury et Clarke au Panthéon de la SF poldève. C'est, en tout cas, le seul bénéfice que j'aie tiré de l'expérience.
Il est vraisemblable que l'évolution en cours des pays de l'est européen conduira à une normalisation de ces pratiques. Mais, il n'est pas certain que les auteurs français y trouvent leur compte. En effet, c'est probablement sur des auteurs anglo-saxons que se portera l'essentiel de la demande jusqu'ici dérivée pour des raisons économiques voire politiques sur notre production. En bref, la guerre froide et le refus des Anglo-Saxons de se laisser gruger ont fait monter indûment les valeurs françaises. La détente et l'éventuel accroissement des devises disponibles pourraient bien profiter d'abord, là comme ici, à nos amis américains.
Parlons-en, justement de l'Amérique. Le problème central, maintes fois évoqué, est que pour la plupart des éditeurs américains, spécialisés ou non, la France est un pays exotique situé entre l'Irlande et l'Albanie, et le français une langue à l'avenant. On ne peut pas dire que les agents et éditeurs américains offrent le même front obstiné du refus que leurs collègues britanniques. Ils ignorent, tout simplement. Et dites-vous bien que la situation n'est pas meilleure dans les domaines de la littérature étrangers à la SF. Statistiquement, elle est presque certainement pire.
La plupart des éditeurs américains ne lisent pas le français et n'ont pas de lecteur spécialisé dans cette langue, ou, s'ils en ont un, il s'agit probablement d'un universitaire pour qui la SF est une chose presque aussi obscène que le camembert bien fait.
Si des publications ont eu lieu en nombre non négligeable, on le doit à des individualités qui ont fait l'effort de passer la barrière des langues comme Damon Knight (un pionnier), Donald Wollheim (attaché à ses origines européennes et à ses idées de gauche) et John Brunner (maîtrisant parfaitement notre langue et soucieux de rétablir la réputation de ses compatriotes). Un certain corpus de textes français composé principalement de nouvelles, voyage grâce à eux d'anthologie en anthologie et finit par atteindre à une sorte de réputation de “classiques”, simplement parce qu'ils sont les seuls disponibles en langue américaine (à ne pas confondre avec la langue anglaise). C'est ainsi que dans une anthologie au demeurant excellente, the World treasury of science fiction, réunie par David Hartwell, notre pays est représenté par quatre textes sur cinquante et un, ce qui n'est pas si mal — le Japon et l'Italie n'en ont qu'un. L'un est de Natahalie-Charles Henneberg, le second de Boris Vian et les deux autres de votre serviteur.
Pourquoi ? Je ne prétends pas être le meilleur à ce point là [1]. Simplement, l'une de ces nouvelles fut publiée jadis par Damon Knight et l'autre, disponible en américain parce que quelqu'un eut un jour l'idée de me faire cadeau de sa traduction pour un anniversaire, avait déjà figuré dans une revue puis dans une anthologie. En d'autres termes, le problème principal, c'est de disposer d'un bon texte en américain, et de préférence en bon américain, certaines traductions étant exécrables. Les choses ne sont pas pour autant gagnées mais elles deviennent possibles. Quelques auteurs, éditeurs et agents sont tout prêts à les faciliter ensuite, en partie par amitié pour notre pays, en partie parce qu'ils sont bien conscients de l'énorme inégalité des termes de l'échange. Je citerai en particulier N. Lee Wood, Norman Spinrad, Robert Silverberg, Scott Baker et Harlan Ellison que connaissent bien tous les lecteurs de NLM.
D'une conversation relativement récente avec David Hartwell et un agent américain en principe intéressée par des productions d'origine française, j'ai retenu qu'il serait préférable de disposer d'un roman traduit. Comme ici, il est difficile, voire impossible, de publier un recueil d'un inconnu et les débouchés dans les revues sont sans doute limités. Cela n'a pas empêché Patrice Duvic, parfaitement conscient du problème, d'écrire directement une nouvelle en duvico-néo-américain et de la publier dans Omni. Une solution satisfaisante, encore qu'elle implique de trouver un partenaire anglais ou américain qui connaisse assez bien le français, est représentée par l'accord que j'ai passé par deux fois avec John Brunner. Nous nous sommes partagés à 50/50 les à-valoir et les droits d'auteur jusqu'à concurrence d'une certaine somme représentant l'évaluation de la traduction et au-delà de laquelle il ne touche plus que les droits normaux du traducteur soit 10 à 20 % des droits d'auteur. C'est ainsi que les Seigneurs de la guerre a pu être publié chez Doubleday et repris en poche par DAW books. Il s'agissait dans l'autre cas d'une très brève nouvelle publiée dans Omni.
Je n'ouvrirai pas ici mon carnet d'adresses de crainte que mes amis anglo-saxons ne croulent sous le courrier des milliers de lecteurs de NLM. Mais ceux-ci parviendront aisément avec un peu de patience, à établir les contacts nécessaires et les informations régulièrement diffusées par Infini et NLM pourront les y aider.
En résumé, l'auteur français ne doit pas trop attendre de son éditeur en ce qui concerne une édition anglo-saxonne. L'éditeur n'a pas les moyens de préfinancer une traduction ni le temps d'entretenir les rapports personnels susceptibles de déboucher sur un accord. L'auteur peut profiter des conventions pour établir les contacts utiles et s'informer des possibilités. Il trouvera dans une revue comme Locus des indications sur les recueils et anthologies en cours auxquels il pourra tenter de s'intégrer. Il peut éventuellement prendre le risque de financer la traduction d'une de ses nouvelles et la proposer directement à l'une des quatre ou cinq revues de SF américaines. Il lui faudra toutefois veiller à la qualité de cette traduction qui ne doit pas, par exemple, être confiée au rabais à un étudiant américain de bonne volonté mais de mauvaise plume. Il ne doit enfin pas oublier que la disposition d'un texte traduit en anglais lui ouvre pratiquement les portes du marché mondial. Il aura désormais plus de chances de voir son texte lu et publié au Japon ou en Allemagne par exemple, même s'il est retraduit ensuite du français comme il se devrait.
Acceptant ce travail de démarchage et éventuellement cet investissement financier, l'auteur est en droit de négocier avec son éditeur un partage de ces droits annexes plus favorable que l'habituel 50/50 et peut obtenir par exemple 70/30 dans le cas où il boucle lui-même toute l'affaire. Il peut même essayer de se réserver entièrement les droits étrangers s'il est édité par une petite maison qui ne sera pas équipée pour les négocier mais il aura beaucoup moins intérêt à le faire s'il est publié par une grande maison. Au-delà de la prise de contact, il y a toujours l'établissement délicat d'un contrat et un éditeur est mieux placé que l'auteur pour obtenir un bon accord. Cela se paie.
De façon plus générale, je suis relativement optimiste pour l'avenir. Les publications d'œuvres françaises aux États-Unis et en Grande-Bretagne ne représenteront jamais grand-chose par rapport à la masse des parutions autochtones. Mais l'ouverture de l'Amérique au monde, bien que relative, la cordialité des Américains et l'exotisme au charme indéfinissable du français permettent d'espérer une certaine percée si les textes français sont d'une qualité et d'une universalité suffisante. L'installation durable à Paris d'écrivains américains d'une grande qualité et leurs efforts remarquables pour parler notre langue laissent bien augurer de l'avenir.
Je crois en effet que l'avenir sera multilingue et que l'élévation du niveau culturel d'une partie de la population des pays développés, accompagnant celle des niveaux de vie et celle des échanges internationaux, conduira de plus en plus de gens cultivés à pratiquer couramment deux ou trois langues. Ce ne serait jamais qu'un retour à l'honnête culture du passé où un bon esprit savait le latin et le grec en sus de sa langue maternelle. Je ne partage pas les inquiétudes des prophètes de mauvais augure qui voient notre langue disparaître en quelques générations parce que leur ignorance les conduit à surestimer les difficultés d'acquisition d'au moins une autre langue cousine. À vue historique, disons sur quatre ou cinq siècles au moins, le temps que se mette en place le lingo de Norman Spinrad, le français ne me semble pas risquer grand-chose. Ceux qui voit l'anglais supplanter toutes les autres langages de la Terre oublient une chose : c'est que c'est le latin, la langue véhiculaire de l'Empire Romain, qui a disparu, et non le grec, l'hébreu ni même l'araméen encore parlé aujourd'hui par les Syriaques de Turquie, sans même évoquer le finnois, le basque ou le gaélique. De la même façon que le latin, l'anglais planétaire et babélien risque de s'user et de s'appauvrir, voire même d'éclater en dialectes exclusifs les uns des autres.
Il y a un au-delà de l'au-delà où moins d'élus encore sont appelés.
Je veux parler de l'audiovisuel et en particulier de la télévision. Autant dire qu'il est plus facile de se faire publier en haut-tibétain que d'obtenir la production d'une série ou d'une émission de SF.
Cependant, les pouvoirs publics se sont émus de la quasi disparition d'émission à caractère scientifique des chaînes tant publiques que privées. Jean Audouze, astrophysicien et depuis peu conseiller scientifique du président de la République, a obtenu avec Jean-Claude Carrière, scénariste et écrivain, président de la F.E.M.I.S., la création d'une association, l'Agence Jules-Verne, dotée de fonds publics et chargée d'aider matériellement et moralement les auteurs, réalisateurs et producteurs intéressés. L'agence, dont le secrétaire général est Jean-Michel Arnold, dispose à l'heure actuelle d'un budget de l'ordre de cinq millions de francs par an, provenant des ministères de la Recherche (Hubert Curien) et de la Communication (Catherine Tasca). Cette équipe légère s'efforce de mettre en contact auteurs, réalisateurs, producteurs et diffuseurs d'une part et d'autre part accorde des aides à l'écriture (de l'ordre de 3 à 10 000 francs) et des aides à la réalisation (pouvant atteindre 350 000 francs, ce qui est peu de chose mais permet de mettre un projet en route).
À ma demande — cédant à l'amicale pression de mon entourage, j'ai accepté d'être membre — bénévole — du Conseil d'Administration de l'Agence —, il a été explicitement précisé que des projets de fiction scientifique pouvaient être présentés et financés. À condition que ce ne soit pas n'importe quoi — comme l'a fortement exprimé Hubert Curien — et que la science y trouve son content. Il est fortement recommandé de se trouver un conseiller scientifique crédible et si possible connu mais l'Agence peut y aider.
Il ne faut se faire aucune illusion. L'Agence a déjà reçu beaucoup plus de demandes, pour beaucoup bâclées, qu'elle n'en peut satisfaire et les critères de choix sont rigoureux. Il y a cependant une opportunité non négligeable qu'un ou plusieurs auteurs de SF peuvent saisir.
Je dois insister sur le fait que compte tenu des projets déjà en cours, l'Agence souhaite privilégier les sujets relatifs aux sciences dures et aux sciences humaines, les sciences de la vie et l'écologie étant déjà abondamment pourvues. D'autre part, il y a une demande des chaînes pour des sujets très courts, de une à cinq minutes, de préférence fictionnels et mettant en scène dans le cas qui nous occupe un sujet scientifique.
L'Agence Jules-Verne est logée au palais de Tokyo (13, avenue du Président-Wilson — 75116 Paris — 01 47 23 71 78) et il convient de s'adresser éventuellement de ma part à madame Domitille Roy, chargée de l'accueil des projets, pour obtenir tous renseignements complémentaires et remettre un dossier. Celui-ci, qui doit être aussi soigneusement élaboré que possible, doit contenir au moins un synopsis de l'émission ou de la série prévue, le pedigree détaillé du ou des auteurs et de leur conseiller scientifique s'ils en ont trouvé un, ainsi qu'un bref exposé mettant en évidence la relation du projet avec une discipline scientifique. Il est souhaitable, bien que ce ne soit pas indispensable, d'avoir un producteur.
Madame Roy se chargera sur cette base d'indiquer, s'il est besoin, dans quel sens le projet initial doit être remanié avant d'être transmis au comité de lecture. Le projet ne devrait pas dépasser une dizaine de pages ou du moins être résumé dans un document court, le temps du comité de lecture n'étant pas extensible à l'infini. Il ne doit pas, par contre, tenir en deux feuillets exprimant l'intention vague de créer un “magazine scientifique”. L'idée doit être originale, crédible et réalisable. Je ne pense pas qu'un remake de la Guerre des étoiles ferait l'affaire. Inutile aussi de donner dans la parapsychologie et les soucoupes volantes. Il est également préférable, comme l'ont fait certains, de ne pas confondre astrologie et astronomie. L'objectif de l'Agence est de s'efforcer de faire pénétrer dans l'audiovisuel une culture scientifique qui fait largement défaut à un pays dont 40 % des citoyens adultes estiment selon une enquête récente (Kapferer et Alii) que le soleil tourne autour de la Terre.
Il y aura peu d'élus, mais s'il se trouve parmi eux un seul des lecteurs de NLM, je n'aurai pas perdu mon temps.
Notes
[1] En français dans le texte.