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Vous êtes ici : Quarante-Deux Archives stellaires Gérard Klein : à l'auteur inconnu 6

Gérard Klein

À l'auteur inconnu 6

Première parution : NLM 16, janvier 1990

Note liminaire : je constate tout d'abord sans savoir si je dois m'en chagriner ou m'en féliciter que cette rubrique ne donne naissance à aucun courrier. Cela peut signifier qu'elle est si parfaite qu'elle répond en son état à tous vos problèmes ou bien qu'elle vous intéresse si peu qu'il vaut mieux épargner l'arbre qui sert à l'imprimer. Andrevon vous en sera personnellement reconnaissant.

Je

Passons sur l'autre rive du texte. Tel Charon, le directeur de collection ou l'éditeur chargé de votre texte vous a fait traverser le Styx. Il vous a couronné d'olivier comme le glorieux Dante et confié à un cerbère dont l'une des gueules brandit un stylet tandis que l'autre bave autour d'un cylindre de papier roulé : le contrat.

Ô poète, ton cœur bat à la fois d'angoisse et d'attente virginale, et ta main droite tremble si fort, à supposer que tu ne sois pas gaucher, qu'il est douteux que tu parviennes à marquer, même de la croix de l'illettré, le pacte irrémissible qui t'est tendu. Toi qui signes ici, perds toute espérance.

N'imagine pas en effet, simple mortel, qu'un être aussi angélique qu'un directeur de collection te présente un contrat. Sa condition est bien trop élevée dans les sphères esthétiques. Par faveur spéciale, il y fera peut-être allusion, te donnera quelques explications succinctes. Ayant remisé très provisoirement mes ailes au vestiaire comme je suis obligé de faire chaque jour, mon bureau étant trop petit pour les contenir, je vais m'efforcer de me montrer plus prolixe et d'élucider quelques points qui font bizarrement problème, à la lumière d'une expérience plus que trentenaire.

Je n'ai pas l'intention pour autant de prononcer un cours de droit civil. Pour celui qui désire pénétrer dans leurs profondeurs les arcanes du contrat d'édition, il existe des ouvrages spécialisés qu'on trouve dans les librairies juridiques. Dans un genre plus agréable, je ne saurai trop conseiller le copieux et excellent ouvrage de Jean Guénot, Écrire, édité par l'auteur et qu'on peut se procurer chez lui par la poste (85, rue des Tennerolles — 92210 Saint-Cloud), ou parfois dans les FNAC. Il contient notamment le texte complet de la loi de 1957. Mais ce que je m'en vais vous exposer devrait suffire dans la plupart des cas.

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C'est donc, une fois le manuscrit ou, plus rarement le projet, accepté, un service des contrats, au moins chez les grands éditeurs, qui vous enverra l'objet en deux ou trois exemplaires, généralement par la poste. La presse raffole d'histoires de contrats signés précipitamment dans le bureau du Grand Éditeur ou à l'issue d'un repas, mais je n'ai jamais assisté à de telles scènes. On n'en trouve du reste aucune trace dans les vastes compositions historiques qui ornent désormais les murs de la gare d'Orsay.

Un contrat est tout simplement un texte par lequel plusieurs personnes physiques ou morales s'obligent réciproquement à des choses sur lesquelles elles sont tombées préalablement d'accord. Puisqu'il s'agit de droit civil et d'accords passés sous seing privé, il n'y a en principe aucune limite à ce que ce texte peut contenir. Tout est négociable, tout est contractualisable à l'exception évidemment de ce que les lois interdisent expressément. Celle de 1957, précisément, est venue limiter dans une direction plutôt favorable aux auteurs cette admirable liberté contractuelle de principe. Nous y reviendrons à l'occasion. Il existe par ailleurs un certain code des usages de l'édition dont j'ai égaré le texte et dont l'importance ne me semble pas certaine puisqu'il n'a pas de caractère contraignant.

La quasi-totalité des termes d'un contrat d'édition relève du bon sens pur et simple et je pressens que je vais avoir l'impression d'enfiler des truismes comme Hercule les navettes d'Omphale.

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Par exemple : avant de signer un contrat, lisez-le.

Puis relisez-le encore une fois et peut-être même une troisième fois. Si vous l'acceptez, n'oubliez tout de même pas de le signer et de parapher chaque page, ce qui est simplement destiné à indiquer que vous l'avez lue. Si vous êtes dans le bureau de votre interlocuteur, il attendra, et s'il n'a pas ce temps, vous êtes tout à fait en droit de lui demander d'emporter ce texte pour le lire chez vous à tête reposée et le lui ramener ou le lui renvoyer le lendemain. Si vous n'êtes pas d'accord avec tel ou tel point, dites-le lui ou demandez des explications.

Le tout nouvel auteur hésite souvent à faire valoir des prétentions aussi naturelles, de crainte que son cher manuscrit lui soit renvoyé à la figure. Il a tort. Exprimées sans paranoïa et sans méfiance obsessionnelle, ce qui se voit, de telles demandes seront acceptées sans hésitation. De même, s'il y a un mot ou un passage que vous ne comprenez pas, n'hésitez pas à demander une explication. Il vous arrivera de découvrir que votre interlocuteur, pourtant rodé de longue date à cette pratique, ne sait pas très bien de quoi il s'agit. Beaucoup plus souvent que d'un piège subtil, il s'agit d'ordinaire d'une vieille clause, parfois contraire à la loi voire contradictoire avec d'autres articles du contrat, qui a survécu par la force de l'habitude, aux remaniements successifs du contrat-type. Ainsi sont les administrations.

N'oubliez pas que je parle ici uniquement de contrats d'édition passés avec des maisons sérieuses et jouissant d'une certaine ancienneté et non pas de contrats cinématographiques, télévisuels, audiovisuels ou relevant du show-biz en général. Dans ces derniers domaines, vous avez à faire avec le diable en personne ; la moindre virgule doit être scrutée à la loupe et il est préférable de vous en remettre à un professionnel, agent, avocat ou éditeur (voir ci-dessous au chapitre des droits annexes).

Le métier de l'édition est encore en France pratiqué par des gens d'une certaine honorabilité, voire d'une honorabilité certaine et qui savent qu'un bon contrat est celui qui sert le mieux les intérêts des deux parties. J'exclus toutefois de ce brevet d'honorabilité d'une part les maisons qui font du compte d'auteur, c'est-à-dire de l'édition aux frais de l'auteur — à proscrire absolument — et celles toutes jeunes, où l'inexpérience de l'éditeur néophyte fait parfois frémir quand bien même il aurait de l'édition une expérience littéraire.

Un contrat peut prendre la forme d'une simple lettre. Cela nécessite une bonne dose de confiance entre les deux interlocuteurs, mais dans de nombreux cas, c'est amplement suffisant. Pour prendre un exemple, le contrat vieux de plus de vingt ans qui nous lie Robert Laffont et moi pour la direction de la collection "Ailleurs et demain" compte moins de dix lignes et n'a plus jamais fait l'objet de la moindre discussion entre nous. Nous savions l'un et l'autre ce que nous attendions l'un de l'autre et une poignée de main aurait suffi. Mais je dois dire sans flagornerie que Robert Laffont a la réputation d'un homme d'une honnêteté scrupuleuse. Il attend non sans raison le même comportement de ses interlocuteurs.

Une lettre-contrat sera presque toujours la formule utilisée pour une anthologie. Elle n'engagera sauf mention contraire que de simples droits de reproduction du texte visé, l'auteur conservant, en général au-delà d'une certaine période d'exclusivité, l'entière propriété de son œuvre.

Je rappelle ici que, sauf contrat explicitement contraire, toute œuvre publiée dans un périodique demeure la propriété entière de son auteur qui pourra par exemple la reprendre ultérieurement dans un recueil. Cela se justifie par le fait qu'une parution dans un périodique a par définition une durée limitée et que l'auteur ne saurait sans son acceptation écrite céder la chose au-delà de son usage. Il m'est toutefois revenu aux oreilles de plusieurs côtés que la direction de la revue Fiction aurait fait signer à certains auteurs publiés par cette revue des lettres-contrats lui attribuant la propriété littéraire de ces textes et lui donnant par conséquent le droit de les revendre ultérieurement à d'autres éditeurs. Il n'y a rien d'illicite dans cette pratique, mais je pense que les auteurs qui l'ont acceptée ont fait un mauvais calcul en s'obligeant de la sorte. En effet, la sus-dite revue n'est pas nécessairement la mieux placée pour revendre de tels textes à destination d'un recueil ou d'une anthologie, et il peut en résulter pour l'auteur des situations inextricables. En tout état de cause, pour un tel contrat, une durée devrait être définie que j'estimerai au maximum à deux ans et plus normalement à un an, ainsi qu'un partage des éventuels droits annexes ou secondaires qui soit très favorable à l'auteur et qui corresponde pour la revue à une commission normale d'agent littéraire : disons entre 10 et 20 %.

Lorsqu'il s'agit d'un livre, roman, essai, recueil de nouvelles ou d'articles, une simple lettre ne suffit généralement pas et un véritable contrat est établi. La plupart des maisons d'édition vous présenteront un contrat type, le plus souvent imprimé, ce qui lui donne aux yeux du catéchumène une allure trompeuse d'inaltérabilité. Il n'est pas pour autant gravé dans le granit des Tables de la Loi.

D'une part, il comporte toute une série de lignes en blanc qui seront remplies en fonction de l'accord des deux parties.

D'autre part, toutes les clauses qui ne sont pas strictement de droit peuvent être supprimées ou modifiées.

Enfin, il comporte souvent, en fin de parcours, un paragraphe en blanc intitulé '"Conditions particulières" où l'on pourra indiquer tout ce que l'on voudra. En bref, le contrat imprimé est un cadre qu'une maison d'édition cherche à rendre aussi homogène et rigoureux que possible pour faciliter sa propre gestion, mais qui demande à être rempli.

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Tout d'abord les contractants doivent être clairement identifiés : d'une part l'éditeur avec mention de sa raison sociale et de son adresse, et d'autre part l'auteur ou les coauteurs. S'il y a des coauteurs, l'éditeur les priera aimablement de définir entre eux les conditions du partage des droits et à-valoir. De même, il pourra être prévu que le nom d'un seul des coauteurs apparaîtra sur l'ouvrage (voir statut de la négritude). Je signale à ceux que cela pourrait intéresser que l'éditeur peut parfaitement admettre comme coauteur et donc comme percevant une partie des droits et à-valoir votre concubin (e) ou toute autre personne de votre choix. Cela peut représenter un intérêt fiscal pour un auteur qui jouit par ailleurs d'un revenu fiscal important tandis que son présumé coauteur n'en a aucun ou si peu. Mais comme de toutes les bonnes choses, il ne faut pas en abuser. D'abord parce qu'un tel accord sera pratiquement impossible à défaire et que les choses du cœur sont variables. Ensuite parce que le fisc qui, à ma connaissance ne s'en est jamais soucié, pourrait dans le cas de très gros montants y mettre son nez. Il lui resterait en tout état de cause difficile de démontrer que la susdite personne n'a en rien collaboré à votre œuvre.

Le livre ou projet qui fait l'objet du contrat doit être décrit au moins approximativement par un titre — éventuellement provisoire —, un nombre de pages, voire un nombre d'illustrations.

Ensuite, un délai de parution doit être défini. Il est en général de dix-huit mois. Ne vous affolez pas si par aventure il est un peu dépassé par un éditeur sérieux. Vous seriez en droit de demander l'annulation du contrat mais je ne vous le conseille pas. L'éditeur a généralement de bonnes raisons de choisir une date de parution et n'oubliez jamais qu'il engage plus d'argent que vous. S'il renonce finalement à éditer votre ouvrage, ce qui arrive, il vous le dira. S'il se tait, demandez-lui des explications. D'abord gentiment et verbalement. Ensuite, gentiment et par simple lettre. Ensuite gentiment et par lettre recommandée. Après… De toute façon, vous avez récupéré vos droits, empoché un à-valoir et j'espère, conservé un double de votre manuscrit.

La durée de validité du contrat doit être également stipulée. Elle correspond très souvent à la durée de la propriété littéraire, qui va bien au-delà de votre mort, et qui satisfait, il faut bien le dire, les intérêts de l'éditeur. Si vous devenez célèbre dans vingt ans, il pourra toujours ressortir votre livre même s'il n'en a vendu jusque-là que trois cents exemplaires. En règle générale, les grands éditeurs français, au contraire de leurs homologues anglo-saxons, sont très fermes sur ce point.

Il y a à cela des raisons historiques peut-être dépassées : c'est qu'un grand éditeur investit à perte sur un jeune auteur, qu'il espère se l'attacher pour longtemps, et que, dans le passé, les bons livres avaient des durées de vie très longues. C'est du reste plus souvent le cas aujourd'hui dans le domaine de la SF que dans celui de la littérature générale. Ne chicanez donc pas trop sur ce point, mais essayez d'obtenir une porte de sortie honorable en cas d'épuisement prolongé de l'ouvrage (plus de dix-huit mois en général) ou de ventes trop faibles (moins de cinquante ou cent exemplaires par an, par exemple). En général, vous n'aurez pas à discuter ces clauses qui figurent déjà sous une forme ou sous une autre dans le contrat. L'essentiel est que vous puissiez dégager un texte que vous estimez avoir une chance de revendre ailleurs.

Le cas des collections de poche auxquelles vous vendriez directement une œuvre est différent. En général, leurs contrats stipulent une durée déterminée, par exemple cinq ans pour J'ai Lu, mais sont renouvelables par tacite reconduction pour une même durée à moins d'avoir été dénoncés à bonne date (délai figurant dans le contrat) par lettre recommandée. Si vous laissez passer la date, vous en reprenez pour cinq ans.

En général, toutefois, les divorces éditeur-auteur se négocient à l'amiable, sauf peut-être à des altitudes que nous n'atteignons pas. Commencez toujours par discuter calmement. Vous obtiendrez peut-être le résultat inattendu d'une relance de votre œuvre et sinon une lettre vous rendant vos droits.

Je voudrais toutefois insister sur le cas de collections qui ne prévoient en général pas de réimpression même en cas d'épuisement, comme c'était et c'est sans doute encore le cas au Fleuve Noir. Elles se situent à mi-chemin de la presse et du livre. Il me semble que la durée du contrat devrait alors être strictement définie et brève, par exemple de six mois ou un an après la parution et que sa reconduction éventuelle, en aucun cas tacite, devrait donner naissance à la perception d'un nouvel à-valoir. Ces éditeurs n'y perdraient rien s'ils persistent dans leur politique de livre-magazine et la clarté de leurs relations avec leurs auteurs y gagnerait beaucoup. Ne sous-estimez jamais votre capacité de négociation dans ce domaine. Tout éditeur a besoin de livres.

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Tout contrat doit également prévoir une indication de tirage minimum. Ne vous inquiétez pas trop si elle semble trop faible, surtout si vous êtes débutant. Le premier tirage réel sera le plus souvent supérieur. C'est un domaine où vous devrez faire confiance à l'éditeur. Il a intérêt à faire de son mieux.

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L'éditeur qui a par définition confiance en la créativité et la qualité de son nouvel auteur, cherche souvent à se l'attacher au-delà du titre qui fait l'objet du contrat. Par suite, une clause dite du droit de préférence vous oblige à lui soumettre un certain nombre des ouvrages du même genre que vous écririez par la suite. C'est certainement la clause qui donne lieu au plus grand nombre de litiges ou tout au moins de controverses entre auteurs et éditeurs. Dans le passé, le nombre d'ouvrages concernés pouvait aller jusqu'à cinq, ce qui était certainement excessif. À présent, la coutume semble porter plutôt sur deux ouvrages.

Je suis personnellement opposé à la clause du droit de préférence et elle n'est en principe jamais appliquée pour les collections que je dirige. Je considère chaque livre comme une affaire particulière, et la fidélité qui peut unir un auteur et un éditeur comme une question personnelle. J'estime que si l'auteur est satisfait de son éditeur, il n'a aucune raison d'aller chercher ailleurs et inversement que si l'éditeur est déçu des résultats de son auteur, il n'a pas lieu de s'infliger la responsabilité morale d'un refus que la clause rend plus délicate, encore qu'elle n'engage à rien. La clause du droit de préférence signifie seulement pour l'éditeur que s'il accepte votre second ou énième ouvrage — qu'il peut refuser —, il n'est pas tenu à d'autres conditions que celles qui ont valu pour le premier. Vous ne pouvez donc pas lui échapper en demandant un à-valoir exorbitant.

Dans les temps préhistoriques où cette clause tenait une grande place dans les relations conflictuelles entre auteurs et éditeurs, un moyen classique pour un auteur d'en sortir était de remettre sciemment un manuscrit bâclé, puis un autre, jusqu'à épuisement de la clause. La riposte de l'éditeur en ces époques où le papier était bon marché pouvait être de publier ces torchons. Cela s'est vu et n'était pas de nature à faire reluire la réputation de l'auteur. Je ne pense pas que cela se pratique encore en nos ères plus civilisées.

Cela étant posé et malgré ma répugnance, largement fondée sur mon expérience d'auteur, à la clause du droit de préférence, laissez-moi exposer aussi impartialement que possible les deux points de vue en présence.

Le point de vue de l'éditeur, qui est surtout valable pour la littérature générale, est qu'il prend le risque de faire un investissement à perte sur le premier ouvrage d'un inconnu alors que c'est seulement à partir du troisième en moyenne qu'il pourra se faire une bonne idée des potentialités au moins commerciales de l'auteur. Il ne souhaite donc pas voir un confrère profiter de son investissement en attirant l'auteur qu'il a contribué à révéler et donc à rendre rentable. C'est un problème classique et même dramatique pour les petites maisons qui voient leur échapper, le succès venant, l'auteur qu'elles ont biberonné. Mais cela arrive aussi aux plus grandes.

Le point de vue de l'auteur est plus complexe. Il a théoriquement intérêt à se conserver la plus grande liberté possible. Mais il a aussi intérêt à être publié et donc à admettre les raisons de l'éditeur. Et il a enfin peut-être intérêt à pratiquer un certain temps une maison pour en connaître les détours, les points forts et les faiblesses.

Dans le domaine de la SF, le problème se pose assez différemment et les auteurs comme les éditeurs le savent en général. Un même auteur peut souhaiter jouer sur plusieurs registres et par exemple publier successivement un roman dans "Ailleurs et demain", un recueil de nouvelles dans "Présence du futur" et un roman populaire au Fleuve Noir. C'est pourquoi la clause de préférence me semble formellement peu souhaitable. Disons que je demande à mes auteurs de m'exprimer clairement leurs intentions et de m'accorder une sorte de droit moral, non écrit, de préférence et d'information. Plus d'un avec qui j'ai fait avancer des manuscrits sans finalement les retenir pourront vous dire que cette formule leur a sans doute été favorable. Je ne regrette jamais mes efforts même s'ils conduisent à une parution sous une autre signature.

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Venons-en maintenant aux éléments financiers. Ils comportent deux aspects : l'à-valoir, également appelé avance sur droits à venir. L'éditeur vous proposera un chiffre. Vous pouvez toujours essayer de le discuter et si vous êtes connu, vous obtiendrez un peu ou beaucoup plus, mais ne vous attendez pas à une discussion de marchands de tapis, même si vous êtes coriace. Dans notre domaine au moins, tout éditeur sait jusqu'où il peut aller. Et il va même souvent un peu plus loin. Je ne pense pas être loin de la réalité en disant que quatre-vingts pour cent des livres publiés ne couvrent jamais leurs à-valoir.

La proportion est probablement heureusement plus faible dans notre domaine en raison de la plus grande durée de vie des livres et de l'existence de droits annexes. D'après les informations que j'ai pu recueillir, les à-valoir dans notre domaine sont à peu près compris entre 12 000 et 50 000 francs, s'agissant bien entendu d'édition professionnelle et de collections spécialisées. Comparons ces chiffres à ceux de la littérature générale. Une des plus prestigieuses maisons de la place passe pour offrir à ses jeunes auteurs 5 000 francs au plus. Et si on laisse de côté les cent auteurs les mieux payés et autres stars du show-biz, un à-valoir de l'ordre de 100 000 francs est considéré comme exceptionnellement généreux.

La grande question qui se pose maintenant est de savoir sur quoi se porte cet à-valoir, c'est-à-dire, sur la seule exploitation du livre dans sa première édition — réimpressions incluses, rassurez-vous ! — ou sur l'ensemble des sommes rapportées par l'ouvrage, droits annexes inclus. Laissez-moi vous révéler la triste vérité : dans la totalité des cas, c'est la seconde hypothèse qui est la bonne.

Ce qui signifie que l'éditeur récupérera l'à-valoir qu'il vous a versé, non seulement sur les droits qui vous reviennent sur l'édition première, mais aussi si ces droits ne couvrent pas l'à-valoir, sur les droits à provenir d'une édition de poche, d'une édition club, d'une cession à l'étranger, voire d'une adaptation radiophonique, télévisuelle, cinématographique et j'en passe. Bien entendu, dès que l'à-valoir sera couvert, vous toucherez intégralement tous les droits qui vous reviennent.

Ce point est souvent le lieu de frictions entre auteurs et éditeurs comme j'ai eu amèrement l'occasion de le constater à propos d'un de mes auteurs favoris et d'un contrat mal rédigé. Assez fréquemment, l'auteur s'indigne lors de la sortie en poche ou en club de son livre de ne se voir verser qu'une partie, ou rien du tout, des droits issus de cette cession qu'il considère comme une opération distincte de la première édition à laquelle seule il rattache l'à-valoir. Ce fut le cas.

Mais il faut bien voir qu'il y a une logique dans tout cela. Ou bien l'éditeur ne verse qu'un très petit à-valoir qui sera presque certainement couvert par l'édition princeps. Ou bien, il se montre nettement plus généreux en escomptant se rattraper, au moins statistiquement, sur les droits annexes. L'auteur, pour sa part, essaie toujours d'obtenir le plus possible au moment de la signature du contrat si bien qu'il se place automatiquement dans la seconde hypothèse. Dans le conflit auquel j'ai fait brièvement allusion, l'auteur a obtenu gain de cause et a, en somme, gagné sur les deux tableaux. Mais j'ai été prié de revoir à la baisse les éventuels à-valoir des auteurs français de ma collection.

La simple logique économique indique que l'auteur a tout intérêt à la seconde hypothèse, c'est-à-dire celle où il touche tout de suite une somme plus importante quitte à voir amputer plus tard ses droits annexes. En effet, il reçoit tout de suite une somme dont la fraction correspondant à l'expectative sur les droits annexes est susceptible de rapporter dès lors un intérêt, et qui ne subira pas les effets de l'inflation au cas, fréquent, où le prix des livres de poche, par exemple, ne suivrait pas l'indice des prix. De plus, cette fraction correspond à une expectative, c'est-à-dire à un pari, car personne ne peut dire de manière certaine s'il y aura ultérieurement droits annexes. Et enfin, dans le cas où le produit des droits annexes évoluerait mieux que l'indice des prix, il serait encore plus gagnant puisque son à-valoir n'en sera que plus rapidement couvert, sa “dette” vis-à-vis de l'éditeur plus rapidement amoindrie. Le problème, c'est que l'auteur n'est pas toujours dans ces cas-là un agent économique rationnel. L'éditeur non plus, sans quoi, il ferait un autre métier.

Cet à-valoir est versé en une ou plusieurs fois, le plus souvent par moitié à la signature et à la parution.

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Passons aux droits d'auteur proprement dits. Une clause indique leur montant, généralement en pourcentage du prix de vente au public, hors taxes. En règle générale, pour les livres dits à prix normaux ("Ailleurs et demain", par exemple), ce pourcentage commence pour les auteurs français à 10 % et s'élève ensuite selon les barreaux d'une échelle relative aux ventes effectives jusqu'à un hymalayen 15 % que vous n'avez pratiquement aucune chance d'atteindre. Les barreaux de l'échelle sont plus ou moins artistement disposés selon les éditeurs, mais la concurrence oblige à une certaine conformité. Il est à peu près inutile d'essayer de discuter de ces pourcentages si vous n'avez pas “fait” au moins un cent mille exemplaires.

Pour les livres dits de poche, les pourcentages sont généralement fixes, donc, non croissants en fonction du tirage, et compris, semble-t-il, entre 5 et 8 %, en raison de la surface de l'éditeur, de la notoriété de l'auteur et de l'âge du capitaine. Là encore, il n'y a pas beaucoup de place pour la discussion. Vous pouvez toujours essayer de gratter 1 % supplémentaire à l'ancienneté, mais si vous en êtes là, vous n'avez plus besoin de me lire.

L'ennui, c'est que dans les deux cas, ces droits sont diminués, ou ne le sont pas, d'un mystérieux droit de passe. Pour des raisons qui remontent à la nuit des temps et qui ne m'ont jamais parues claires, il a été jadis entendu en France, et là seulement à ma connaissance, que l'éditeur ne verserait aucun droit sur une fraction des livres vendus, fraction s'élevant traditionnellement à 10 % mais présentant aujourd'hui des valeurs très variables selon les éditeurs, parfois même nulles. En termes clairs, si le contrat est ainsi rédigé, quand vous vendez cent livres, vous ne percevez de droits que sur quatre-vingt-dix, les dix autres étant réputés de passe. Une opération arithmétique simple indique que cela revient à vous verser 9 % des droits au lieu de 10 % et qu'il vaudrait mieux le stipuler directement sur le contrat. Il y a peu de choses aussi irritantes dans l'univers coutumier que cette pratique de la passe, même si l'on va chercher du côté du droit fiscal territorial qui vous en réserve de bien bonnes. Le code des usages que j'ai eu l'occasion de mentionner prévoyait bien la disparition pure et simple de la passe, mais après un moment d'hésitation, elle est réapparue ici et là. Pas partout. Ouvrez l'œil et ne manquez jamais de demander à quoi cette passe correspond exactement. Vous aurez au moins ébranlé votre interlocuteur. Il serait en tout cas intéressant que les auteurs lecteurs de NLM indiquent le niveau de la passe qui figure sur leurs différents contrats. Une statistique strictement anonyme pourrait en être tirée. J'estime pour ma part que la passe devrait être généralement et définitivement abandonnée, quitte à réduire d'autant les pourcentages des droits d'auteur. Les moyens informatiques permettent de savoir à très peu près combien de livres ont été effectivement vendus, retournés par les libraires, pilonnés parce que défraîchis, distribués en service de presse, etc. La profession ne se grandit pas en préservant des obscurités et servitudes médiévales.

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Puisque passe ou non, vous devez toucher des droits, on doit vous envoyer des relevés. La plus grande fantaisie règne ici dans les contrats. Les maisons les plus sérieuses vous promettent par contrat ces relevés pour la fin mars, ce qui veut dire que vous les recevrez en général en mai ou juin. Ne vous en formalisez pas trop. Il y a à ce retard institutionnel des raisons techniques autant que de trésorerie. Ces mêmes maisons vous envoient automatiquement ces relevés, parfois deux fois par an. Mais d'autres stipulent qu'elles ne vous les adresseront que si vous en faîtes la demande chaque année. Ce comportement me semble absolument inacceptable et vous devez faire stipuler dans votre contrat que vous recevrez automatiquement des relevés de droits d'auteur au moins une fois par an pourvu que le solde de votre compte dépasse une certaine somme (500 francs par exemple).

La lecture des relevés est, à de rares exceptions près — dont J'ai Lu est un modèle, suivi d'assez près par Laffont — à peu près inextricable même pour un ancien spécialiste de la Comptabilité Nationale comme votre serviteur. Moyennant quoi, ordinateurs obligent, les comptabilités commettent peu d'erreurs, et quand il en est constaté, elles sont presque toujours réparées avec efficacité et diligence. Il est sain pour un auteur d'entretenir des relations cordiales avec la comptabilité de sa ou de ses maisons d'édition.

Je suis peut-être né sous une bonne étoile, ou j'ai peut-être la réputation d'être particulièrement sourcilleux, mais je n'ai jamais rencontré d'éditeur délibérément malhonnête. Lors des quelques cas à propos desquels j'ai ouï dire que des contentieux importants avaient été engagés, avec vérification des stocks et des comptabilités, il n'en est sorti que des redressements dérisoires, la manifestation d'erreurs commises de bonne foi ou des négligences certes condamnables mais subalternes. Il faut comprendre que la gestion des stocks d'un grand éditeur, qui peut compter plus de dix mille articles en perpétuel mouvement est une entreprise démentielle.

Je ne veux rien dire ici, par contre, de la gestion des comptes des toutes petites maisons d'édition dont les inconséquences relèvent plus de la quête d'un équilibre à jamais impossible que de l'intention de nuire, quoiqu'en puissent ressentir les auteurs pris au piège d'un dépôt de bilan ou d'une disparition pure et simple. Il ne s'agit plus ici de droit et d'économie, mais de pure et simple compassion.

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Venons-en enfin pour conclure au chapitre des droits annexes. On entend par droits annexes tous ceux qui pourront naître de l'exploitation de votre œuvre sous forme de prépublication dans la presse, de livre de poche, d'édition club, d'adaptation audiovisuelle, de la publication d'extraits, de ventes à l'étranger, etc. En règle générale, les produits de ces droits annexes sont partagés également entre l'auteur et l'éditeur. Si vous êtes un auteur coté, vous pouvez faire pencher la balance en votre faveur par exemple dans la proportion de 65/35 %. Fort peu de gens dépassent ce nirvana. Le partage 50/50 peut à première vue sembler favorable à l'éditeur mais dites-vous bien qu'il doit entretenir des services importants et onéreux pour que ces cessions se fassent. Si toutefois vous avez des relations particulières avec un éditeur étranger ou avec une firme de production cinématographique, qui laisse sérieusement espérer une exploitation conséquente, vous pouvez fort bien le faire valoir et demander un traitement spécial pour toute affaire que vous apporteriez.

Le problème le plus ardu et sur lequel personne ne peut proposer aujourd'hui de véritable réponse générale, faute d'expérience, est celui des exploitations audio-visuelles et en particulier télévisées. C'est un sujet constant de discussions parfois âpres, de contestations et de frustrations entre les auteurs, les éditeurs, les producteurs et les sociétés d'auteurs. Le problème vient entre autres de ce qu'une adaptation télévisée par exemple est par définition une œuvre collective.

Une réglementation relativement récente exige de l'éditeur qu'il présente à l'auteur pour les droits audiovisuels un contrat distinct de celui qui concerne les droits principaux dont nous avons abondammemnt parlé. Le but de cette disposition est de sensibiliser l'auteur au caractère particulier de ce domaine qui était généralement relégué dans un article fourre-tout et peu clair du contrat général. En d'autres termes, il signera à part pour les droits audiovisuels ou pourra décider de ne pas signer du tout pour ce domaine, ce que l'éditeur verra évidemment d'un assez mauvais œil.

Je ne me suis pas encore fait de doctrine personnelle sur ce point et je ne vous en proposerai donc point. Je vous suggérerai cependant, si vous avez un bon éditeur en qui vous avez confiance, de discuter longuement avec lui de chaque cas particulier et de le laisser agir. Il vous roulera peut-être un peu, mais certainement moins, beaucoup moins, que les producteurs et autres professionnels de l'audio-visuel avec lesquels il ne traitera lui-même, dans la plupart des cas, que par l'intermédiaire d'agents ou d'avocats spécialisés. Il faut savoir faire la part du feu.

Vous pouvez toutefois adhérer à la S.C.A.M., proche de la Société des Gens de Lettres, qui s'inquiète du sort des auteurs dans ces domaines, ou tout le moins vous informer auprès d'elle.

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En guise de dessert, je vous ai conservé quelques clauses plus ou moins fantaisistes que vous pourrez tenter de faire insérer dans votre contrat : ainsi un droit de regard sur la présentation matérielle du livre, son illustration de couverture, etc. L'éditeur n'appréciera pas, je vous en préviens tout de suite, ce qu'il tiendra pour une ingérence dans son domaine de responsabilité mais il acceptera peut-être si vous agissez avec doigté. De toute façon, je suppose que vous suivrez le destin de votre ouvrage au fil de sa réalisation et que vous réussirez à placer votre mot tout en ménageant la susceptibilité des professionnels.

Vous pouvez également demander à ce qu'une part de vos droits d'auteur soit affectée à la publicité de votre ouvrage et par là, défiscalisée. En dessous des cent mille exemplaires garantis, s'abstenir absolument. De surcroît, cela demande une très grande confiance réciproque et une surveillance très fine de l'exécution de ce point du contrat car rien ne vous dit que l'éditeur ne sera pas alors tenté de vous faire supporter l'essentiel du budget publicitaire de votre ouvrage.

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Bien qu'ayant été plus long qu'à l'accoutumée, je ne suis pas certain d'avoir fait le tour des questions que peut se poser un auteur débutant ou même aguerri. J'attends donc vos interrogations auxquelles je m'efforcerai de répondre dans la limite de mes faibles compétences.

À propos, n'y aurait-il pas dans la mouvance de NLM un juriste plus ou moins spécialisé qui pourrait prendre en ce domaine mon relais et conseiller ses camarades sur tel ou tel point d'intérêt général ou particulier ?

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Dans ma prochaine rubrique, je tenterai de vous décrire les principaux services d'une maison d'édition, ce qui vous aidera peut-être à vous orienter lorsqu'ayant écrit un manuscrit, l'ayant fait accepter, ayant signé un contrat, vous le verrez devenir un livre.