Chroniques de Philippe Curval

Octavia E. Butler : Novice

(Fledgling, 2005)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2008

par ailleurs :

L'amnésie, thème récurrent de la Science-Fiction, permet la découverte d'une réalité différente sans passer par une exposition complexe, parfois laborieuse. Tout provient de l'impact ressenti par le personnage central face à des événements sans référence. Ainsi procède Octavia Butler dans Novice. Privée de souvenirs, Shori se réveille meurtrie dans sa chair, au bord de l'agonie, au cœur d'un village aux maisons brûlées. Pour survivre, elle ressent l'impérieux besoin de dévorer. Passe à proximité un homme dont elle ne fait qu'une bouchée. Sa chair se reconstitue, ses forces reviennent.

De sa prochaine victime, elle ne fera que mordre le cou, sucer le sang, puis lécher la plaie pour la cicatriser. Onze ans à peine, un tempérament de fauve, une sexualité développée. Qui est Shori ? Serait-ce un vampire génétiquement modifié, noir de peau et capable de supporter la lumière du jour ? Sa quête commence pour retrouver son peuple. Tout l'art d'Octavia Butler consiste à revisiter le mythe en le dépouillant de son folklore, à le ressourcer, évoquant tout en nuances l'apparition probable d'êtres différents, venus d'une autre planète et coexistant avec l'Humanité depuis les origines.

Enquête sur la différence, sur la hiérarchie entre le prédateur et ses symbiotes, réflexion sur le bonheur partagé de la souffrance et du plaisir, Novice est un roman déconcertant, souvent répétitif, parfois écœurant. Mais de cet écœurement naît sa singularité. Car c'est à travers l'itinéraire mental de Shori que l'on perçoit la vraie saveur du sang, les affres de l'addiction, la volupté de servir et de dominer, le poids des traditions. Ce qui donne une vivacité particulière au propos d'Octavia Butler où les composantes du racisme sont cruellement analysées sous le biais d'une trouble métaphore.

Philippe Curval → prévu pour le Magazine littéraire, nº 481, décembre 2008, mais non publié