Chroniques de Philippe Curval

James Patrick Kelly : Fournaise

(Burn, 2005)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2007

par ailleurs :
Chaud, la forêt

Thoreau aimait les arbres plus que nature. Pourquoi sa descendance spirituelle n'aurait-elle pas colonisé une planète pour la transformer en État transcendant, à l'image de sa passion ? Mais voilà, les Pukpuks, anciens occupants, préfèrent le désert primitif. Aussi lancent-ils des hommes-torche pour lutter contre l'invasion de la forêt.

Sur ce thème brûlant, en phase avec certaines préoccupations du moment, James Patrick Kelly nous livre un petit roman exquis, brillant, hors norme où s'exprime avec une désinvolture contrôlée un art différent d'écrire de la SF. À savoir préférer l'allusion à l'explication, la sensualité à la raison, la description subtile à l'aventure musclée. Ce qui ne l'empêche pas de mener son intrigue avec habileté, levant peu à peu le voile sur les motivations ambiguës des habitants, leur mode de vie, leurs conflits secrets. Jusqu'au moment où l'on apprend que Walden — c'est le nom qu'ils ont donné à leur planète — est mise en quarantaine culturelle par les Habitants d'en-haut. Soumise aux caprices de sortes d'étudiants envoyés sur leur monde pour des motifs… politiques. On ne sait pas exactement. En particulier, le Haut Grégoire, un enfant de douze ans qui porte chance, et Memsen, sa future épouse destinée à enfanter d'un futur Haut Grégoire, comme cela se fait depuis l'éternité des temps.

C'est dire que le sujet initial de l'utopie idyllique en lutte contre les incendiaires bascule par instants dans un univers qui le rapproche d'Alice au pays de merveilles bien plus que d'un traité idéologique. Car James Patrick Kelly ne se pose pas en doctrinaire de Thoreau. Bien au contraire, il évoque les pour et les contre, les basculements qui peuvent se produire entre ceux qui croient à la philosophie du tout forestier et ceux qui n'y croient pas. Les délices de la ploukerie fondamentale, au sein des vergers gorgés de pommes délicieuses, impliquent aussi une certaine voracité à l'égard de l'environnement.

Aussi, tout au long de ce Fournaise à la fois pétillant et pénétrant, mêle-t-il les jeux divers de la fantaisie à de discrets aperçus sur les causes profondes des antagonismes qui mènent le monde. Passion, haine et désir, racisme, violence et tradition. Sa suprême élégance est de n'en tirer aucune conclusion, mais de flirter avec les événements pour en extraire une substance littéraire du meilleur aloi. Avec, en prime pour les lecteurs qui n'en lisent jamais, l'impression de ne pas avoir lu un roman de Science-Fiction.

Philippe Curval → le Magazine littéraire, nº 462, mars 2007, sous le titre de : "les Cimes de la SF"