Chroniques de Philippe Curval

John Courtenay Grimwood : reMix

(reMix, 1999)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2004

par ailleurs :
Ciné fascination

Par un curieux effet miroir, il semble qu'un certain nombre de jeunes auteurs de Science-Fiction anglo-saxons subisse la fascination du style de cinéma que le genre a lui-même enfanté. Surtout dans sa forme actuelle basée sur le tout virtuel, l'ambiance techno-polar, le morphing, les effets spéciaux et la microspéculation. Pour ces écrivains de SF, il ne s'agit plus d'interroger l'avenir en se livrant à de vastes conjectures sociologiques, de profondes anticipations poétiques, mais de plonger dans un monde décadent et chamboulé, situé dans un futur indéterminé, où l'univers cinématographique se serait matérialisé. On y retrouve le folklore des films d'aujourd'hui : conspirations religieuses à l'échelle de la galaxie, noirs complots mondialistes, mégalomanes omnipotents, gourous déviants, nanotechnologie, aliens redoutables, engins spatiaux mirobolants, drogues aux pouvoirs supranormaux, armes sophistiquées, kung-fu survitaminé, cyberhéros camés à la violence, et virus à toutes les sauces. Avec, pour stimuler la saveur de l'ensemble, des emprunts au xixe siècle ou au Moyen Âge, époques qui font recette, le glutamate du rétro.

John Courtenay Grimwood échappe heureusement au principal travers de ce courant moderne, le mysticisme. Il ne faut donc pas confondre reMix, son dernier ouvrage, avec les nébuleux Matrix, un, deux, trois. S'il emprunte souvent les mêmes effets, son œuvre n'y ressemble pas. Nous sommes ici dans l'opus trois d'une uchronie, située dans un univers où le quatrième Reich tente d'envahir le troisième empire. Les “marques” sont toutes puissantes. L'Islam est un enjeu perturbant sur l'échiquier politique. Paris va succomber sous les nanites azéri qui transforment le fer en mou de veau. LizAlec, fille de Dame Clare, procureur impérial, vient d'être enlevée sur la Lune. En servant d'otage, suffira-t-elle à dénouer la crise ? Fixx, DJ cul-de-jatte et shooté au crystalMeth, saura-t-il la délivrer des griffes de Frère Michel, créateur du nouvel Éden ?

On le comprend, nous ne sommes pas dans la fiction spéculative, mais au cœur du roman popu relooké SF. Et c'est dommage. Car Grimwood, vu son talent de conteur et ses aperçus souvent originaux, devrait se hisser à un meilleur niveau s'il lâchait l'ombre pour la proie. Au lieu de délayer ses trouvailles en chapitres de pure action, on devine qu'il n'aurait aucune peine à les exploiter de façon plus riche, plus neuve s'il structurait son récit. Son sens du dialogue, son humour roboratif, sa plume rapide l'entraînent à délaisser son sujet pour verser dans la facilité. L'histoire se noie dans un kaléidoscope de situations extrêmes qui, envisagées d'un autre point de vue, offriraient au lecteur le plaisir de penser. Mais voilà, pour bien des écrivains la Science-Fiction n'est plus un objet littéraire mais un gadget à produire des images et du son destinés à la consommation courante. En cédant à ce cinéma du stéréotype, ils laissent l'avenir sombrer derrière l'écran.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 430, avril 2004

Pierre Bordage : l'Ange de l'abîme

roman de Science-Fiction, 2003

chronique par Philippe Curval, 2004

par ailleurs :

Dans une Europe ruinée par les OGM, sous le joug de l'archange Michel, ses légions combattent les armées du Jihad sur le front de l'Est. La balle de l'intégrisme est dans notre camp. Pibe, l'orphelin, va subir le dur apprentissage de la vie dans un monde en proie au fanatisme, à la répression, à la misère. En compagnie de sa “caillera”, la bande qui l'accueille et le soumet à l'épreuve de la marginalité. Il faut du cœur et de l'allant pour peindre a fresca cette épopée à l'envers où sont mises à mal sans pitié les valeurs de notre société. Bordage n'en manque pas, qui sait donner à voir, par touches subtiles, le dedans et le dehors de ses personnages, leurs ressorts cachés, les enjeux qui les dépassent. Rien n'entrave son plaisir d'écrire. Ni celui de le lire.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 430, avril 2004

Une version légèrement différente de cette chronique a paru ensuite en juillet 2009.

Clifford D. Simak : les Mines du temps

romans et nouvelles de Science-Fiction, 2004

chronique par Philippe Curval, 2004

par ailleurs :

Dans sa préface, Jacques Goimard établit avec une maestria redoutable et documentée comment l'auteur ne pouvait écrire que ces textes-là, en fonction de ses origines, de son environnement social. Le hasard fait souvent plus que l'hérédité. En rencontrant la Science-Fiction, Simak s'est aussi recréé. Ce qui nous procure le bonheur de lire Demain les chiens, ici dans sa version complète, un chef-d'œuvre qui ne se démode pas. Plus cinq autres romans, comme Dans le torrent des siècles ou Chaîne autour du soleil, qui démontrent à l'envie que “l'âge d'or de la SF” n'est pas une expression vide de sens.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 430, avril 2004