Gardner Dozois & George Alec Effinger : Poison bleu
(Nightmare blue, 1975)
roman de Science-Fiction
- par ailleurs :
Puisque la rentrée s'annonce avec ses séquelles incertaines, pourquoi ne pas se réfugier dans la lecture d'un roman de vacances. Poison bleu aurait été, d'après la quatrième de couverture, l'un des livres de Science-Fiction préférés de William Burroughs — lui qui n'hésita jamais à en innerver ses propres œuvres —, ce qui excite l'appétit. C'est un texte travaillé à quatre mains par des écrivains dont l'association laisse rêveur. D'une part Gardner Dozois, tendance fiction spéculative noire et sophistiquée, anthologiste accompli, dix fois primé, de l'autre George Alec Effinger, humoriste allumé, nonchalant et astucieux, instinct cyber, que sa trilogie sur Marîd Audran plaça parmi les pionniers inspirés du thriller de SF. Le résultat évoque un roman populaire au troisième degré, faux serial où les auteurs s'observent pour mieux se piéger. Exercice d'autosuggestion littéraire où les deux compères jouent à se faire peur dans une surenchère de péripéties imaginatives entrecoupées de platitudes, quand ils ne pratiquent pas l'autodérision. Mais l'ensemble est vif et plein d'allant, se lit comme on boit un Saint-Véran à bonne température pour accompagner une salade de fruits de mer.
Et surtout, Poison bleu offre des portraits d'extraterrestres sculptés dans la masse, vraisemblables et palpitants, ce qui se rencontre rarement. Par de discrets aperçus sur la société dont ils sont issus, quelques détails saisissants sur leurs mœurs, des révélations sur leur mentalité, Effinger et Dozois nous suggèrent l'existence d'êtres si différents que l'amateur de SF, dans le goût de la tradition libre, n'a plus qu'à se réjouir devant leur savoir-faire. Mieux, se passionner pour saisir dans l'intimité comment ces extraterrestres sont composés. Soit en amont une forte construction mentale qui permet de décliner les attitudes de ces créatures exceptionnelles face à n'importe quelle situation. Grâce au style qui peint si bien leur aspect physique, comment ils communiquent et se déplacent avec un réalisme ambigu, subtilement intrigant, souvent terrifiant. Que ce soient les Aensalords griffus, grands prédateurs qui menacent la Terre depuis l'enclave qu'ils ont obtenue en Allemagne en échange de leurs connaissances technologiques, ou Corcail Sendijen, télépathe mi-poulpe mi-homard qui va traquer ses adversaires de toujours jusque dans leur tanière abominable, les monstres d'Effinger et Dozois sont des cocktails Molotov pour l'imaginaire.
Pour le reste, sachez que le dernier détective de la planète, Karl Jaeger, super-héros désinvolte, est chargé par des personnages plus ou moins louches de débarrasser la Terre des Aensalords. D'où sa découverte du Poison bleu qui risque d'anéantir les Humains, et son alliance avec Corcail, détenteur de terribles secrets. Ceci dans une veine alerte, qui mêle les envolées métaphysiques, les idées saugrenues, les métaphores délirantes, avec quelques dialogues de remplissage que compensent de jolis effets de machine à écrire.