Chroniques de Philippe Curval

Gardner Dozois & George Alec Effinger : Poison bleu

(Nightmare blue, 1975)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2003

par ailleurs :
Serial qui leurre

Puisque la rentrée s'annonce avec ses séquelles incertaines, pourquoi ne pas se réfugier dans la lecture d'un roman de vacances. Poison bleu aurait été, d'après la quatrième de couverture, l'un des livres de Science-Fiction préférés de William Burroughs — lui qui n'hésita jamais à en innerver ses propres œuvres —, ce qui excite l'appétit. C'est un texte travaillé à quatre mains par des écrivains dont l'association laisse rêveur. D'une part Gardner Dozois, tendance fiction spéculative noire et sophistiquée, anthologiste accompli, dix fois primé, de l'autre George Alec Effinger, humoriste allumé, nonchalant et astucieux, instinct cyber, que sa trilogie sur Marîd Audran plaça parmi les pionniers inspirés du thriller de SF. Le résultat évoque un roman populaire au troisième degré, faux serial où les auteurs s'observent pour mieux se piéger. Exercice d'autosuggestion littéraire où les deux compères jouent à se faire peur dans une surenchère de péripéties imaginatives entrecoupées de platitudes, quand ils ne pratiquent pas l'autodérision. Mais l'ensemble est vif et plein d'allant, se lit comme on boit un Saint-Véran à bonne température pour accompagner une salade de fruits de mer.

Et surtout, Poison bleu offre des portraits d'extraterrestres sculptés dans la masse, vraisemblables et palpitants, ce qui se rencontre rarement. Par de discrets aperçus sur la société dont ils sont issus, quelques détails saisissants sur leurs mœurs, des révélations sur leur mentalité, Effinger et Dozois nous suggèrent l'existence d'êtres si différents que l'amateur de SF, dans le goût de la tradition libre, n'a plus qu'à se réjouir devant leur savoir-faire. Mieux, se passionner pour saisir dans l'intimité comment ces extraterrestres sont composés. Soit en amont une forte construction mentale qui permet de décliner les attitudes de ces créatures exceptionnelles face à n'importe quelle situation. Grâce au style qui peint si bien leur aspect physique, comment ils communiquent et se déplacent avec un réalisme ambigu, subtilement intrigant, souvent terrifiant. Que ce soient les Aensalords griffus, grands prédateurs qui menacent la Terre depuis l'enclave qu'ils ont obtenue en Allemagne en échange de leurs connaissances technologiques, ou Corcail Sendijen, télépathe mi-poulpe mi-homard qui va traquer ses adversaires de toujours jusque dans leur tanière abominable, les monstres d'Effinger et Dozois sont des cocktails Molotov pour l'imaginaire.

Pour le reste, sachez que le dernier détective de la planète, Karl Jaeger, super-héros désinvolte, est chargé par des personnages plus ou moins louches de débarrasser la Terre des Aensalords. D'où sa découverte du Poison bleu qui risque d'anéantir les Humains, et son alliance avec Corcail, détenteur de terribles secrets. Ceci dans une veine alerte, qui mêle les envolées métaphysiques, les idées saugrenues, les métaphores délirantes, avec quelques dialogues de remplissage que compensent de jolis effets de machine à écrire.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 423, septembre 2003

Tommaso Pincio : le Silence de l'espace

(lo Spazio sfinito, 2000)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 2003

par ailleurs :

Deux savants exégètes suggèrent dans leur postface que Tommaso Pincio est un écrivain avantpop, soit une école de transition qui mènerait au-delà de la post-modernité. « Tout le texte procède sans doute de cette idée : la domination des apparences dans une civilisation où la communication passe par les images, et se trouve confrontée à l'espace (paradoxalement silencieux) du mot, du gémissement. » Comme pour illustrer cette étude, le Silence de l'espace est un exercice de style autour des figures légendaires de Marilyn Monroe, Arthur Miller, Jack Kerouac et William Burroughs. Personnages déréalisés, désincarnés dont l'enveloppe sert de prétexte à produire des modèles virtuels. Cette mise à plat à la Warhol va permettre à Pincio d'envoyer Kerouac en orbite pour observer la boîte noire d'où sont issues toutes les hypothèses sur l'existence de l'espace. Malgré un sens affirmé de la pirouette littéraire, de l'aphorisme vicieux, on ressent une certaine impression de vacuité à la lecture de cet habile roman sur le vide.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 423, septembre 2003

Jean-Luc Triolo : Index de la Fantasy 2002

bibliographie commentée, 2003

chronique par Philippe Curval, 2003

par ailleurs :

Après le déferlement de Harry Potter et du Seigneur des anneaux, c'était fatal, il fallait un moine copiste pour dresser le premier index de la Fantasy. Jean-Luc Triolo s'est lancé avec courage dans le recensement de tout ce qui est paru en France en 2002, romans, bandes dessinées, films, critiques, magazines. Plus de sept cents titres commentés par auteur et classés par genre. Sachez donc qu'il existe de la Fantasy cyber, dark, light, high, heroic, urbaine, mythologique, animalière, space, faery, sword and sorcery, des légendes arthuriennes, mondes perdus, etc.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 423, septembre 2003