Chroniques de Philippe Curval

Ayerdhal & Jean-Claude Dunyach : Étoiles mourantes

roman de Science-Fiction, 1999

chronique par Philippe Curval, 1999

par ailleurs :
Space'op à quatre mains

Ce n'est pas évident qu'il soit facile de réaliser à deux un projet ambitieux. Surtout en littérature romanesque où la rédaction à quatre mains introduit, à de rares exceptions, plus de dissonances que d'assonances, de rimes que de raison. C'est pourquoi il faut féliciter Ayerdhal et Dunyach de nous avoir donné, avec Étoiles mourantes, une œuvre si intéressante qu'elle remet en question, en ce qui concerne la SF, mon point de vue obtus sur l'écriture duelle.

Sans doute pensera-t-on que j'exagère en affirmant que ce livre évoque à la fois la Faune de l'espace d'A.E. van Vogt et Hypérion de Dan Simmons. Du premier, il possède la fougue humaniste, s'inspire de son approche généreuse du métissage entre les espèces de l'espace. Du second, il reprend la composition en étoile, le goût du scénario efficace et se réclame ouvertement du genre cultivé. Cela ne veut pas dire qu'Étoiles mourantes est un ramassis de lieux communs. Au contraire, ce roman puise sa force dans le grand nombre d'images et de concepts originaux qu'il développe à partir de solides connaissances, trouve sa réussite dans le juste équilibre qu'il entretient entre la science et la fiction. Et surtout dans l'accord mélodique du roman, fruit d'un long et difficile travail qui ne se ressent pas. On éprouve le sentiment d'un dialogue approfondi entre les deux auteurs à mesure qu'ils fourbissent leur fiction. De ces échanges sur de multiples questions concernant l'avenir du corps et de l'esprit humain, sa soif d'expansion, l'essor des technologies biologiques, du voyage dans l'espace, naît un courant de pensée qu'ils endiguent, maîtrisent, développent avec un évident plaisir. Peut-être dans l'esprit d'obtenir, par le style et la spéculation, cette fusion espérée dans leur œuvre entre les rameaux antagonistes d'une humanité en dérive dans le futur.

Passé le prologue qui fait redouter le pire, le lecteur s'embarque pour un voyage convergent en cinq épisodes dont il devrait sortir “ébloui”.

En effet, l'idée de départ est lumineuse : un jour, les AnimauxVilles, de passage dans notre système solaire, proposent aux Hommes de les embarquer pour une odyssée dont certains rêvent depuis la nuit des temps. Ces êtres connaissent l'aleph et les bans, étrange système de coordonnées spatio-temporelles qui permet de voyager instantanément à travers l'espace.

Évoluant au cours des siècles, quatre écoles de civilisation sont nées de cet exode. Les Mécanistes dont la société est fondée sur un principe hiérarchique à double logique : l'une, très stratifiée, concerne les armures sophistiquées en carbex dont la valeur est fonction du nombre d'Humains qui les ont occupées ; l'autre n'implique que les individus secondaires. Les membres de la Fédération originelle, dont les vingt-huit mondes sont regroupés autour de la personnalité de Koriana, le Charon, pratiquent le culte du passé, des morts et des “personæ” que composent les Passeurs après le décès de chacun. Ces cristaux-mémoires d'arséniure de gallium permettent de stocker deux siècles de vie dans une urne de cinquante centimètres cubes. Des défunts rêvés qui cohabitent avec les vivants. Sur Lapis Lazuli, les Organistes pratiquent l'artefaction, qui érige l'expression artistique en fonction vitale. Ils fusionnent avec un embiote qui magnifie leur intelligence en les apaisant. Quant aux Connectés, munis d'un flagelle, immergés dans le flux infobiotique du Réseau, ils sont à la fois individus et mémoire collective, qui visent à créer l'éternité du système. Puisque Dieu est une contrainte opérationnelle du projet, nous allons en fabriquer un, l'inclure dans l'univers clos et lui confier la gestion de notre évolution, pensent-ils.

Mais les AnimauxVilles veillent sur ces galaxies humaines schizoïdes. Sous la peau de ces êtres mystérieux, à la forme d'un disque aplati, les cartilages forment une architecture de dômes et de terrasses, de places et de ruelles. Leur chair recèle des abris accueillants où peuvent habiter des dizaines de milliers d'Humains.

Passée l'exposition, fort enlevée, de ces différents types d'Humains possibles, d'où surgissent quelques caractères bien dessinés, vient le temps des retrouvailles, à l'occasion de la fin d'une supernova. Or, les délires collectifs de chacune de ces “anthropies” sont violemment opposés. Tout l'art de l'esquive et du compromis, de l'affrontement et de l'abnégation, orchestré par Ayerdhal et Dunyach, va s'exprimer dans cette deuxième partie plus active et plus tactique.

Comme toujours, c'est du sang et des larmes que viendra la promesse d'échange. Avec, en prime, une hypothèse audacieuse sur l'univers, simple poche minuscule emplie de mirages gravitationnels. Voilà de la belle et bonne Science-Fiction made in Europe !

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 378, juillet-août 1999