Chroniques de Philippe Curval

Valerio Evangelisti : le Corps et le sang d'Eymerich

(il Corpo e il sangue di Eymerich, 1996)

roman de Science-Fiction et de Fantasy

chronique par Philippe Curval, 1999

par ailleurs :
Hérésie ou bibliophilie

L'enthousiasme qui poussa les membres du jury du prix Tour-Eiffel, après d'autres, à choisir pour lauréat Valerio Evangelisti me laisse pantois. Quel intérêt peut-on trouver au troisième volume de sa série sur Eymerich ? Bien des gens ignoraient que son personnage central avait été l'inventeur du Directorium inquisitorium, écrit à Avignon en 1376, aimable recueil de pratique élémentaire qui offre toutes les recettes pour traquer les hérétiques, les coupables de latrie, de dulie et de nécromancie, ainsi qu'un catalogue exhaustif des tortures appropriées. Peu de gens savaient encore qu'Evangelisti n'était qu'un fabriquant de seconde zone, d'humeur procédurière, qui composait des romans d'une truculente nullité avec systématisme, en alternant les chapitres ancrés dans le xive siècle avec ceux qui se déroulent de notre temps. Pourquoi le mettre en lumière ?

À la première lecture, on peut trouver amusant ce parallèle entre deux époques, cette double série d'événements censés produire un “effet de champ” qui éclairerait notre siècle à la lumière des hérésies diaboliques et autres manipulations alchimiques du passé. Encore faudrait-il que la cuisine soit originale. Comme l'affirme le prière d'insérer, Evangelisti tente de mêler la littérature feuilletonesque d'un Paul Féval aux préoccupations métaphysiques d'un Umberto Eco. S'il caricature avec facilité le style du premier, sa veine spéculative, mâtinée d'un zeste d'érudition à la portée d'une encyclopédie Larousse, ne se hausse jamais à la hauteur de son projet, ne produit que des stéréotypes. Dire que le Corps et le sang d'Eymerich, l'ouvrage dont il est ici question, mérite le label Science-Fiction revient à prétendre qu'À la recherche du temps perdu est un manuel de bridge.

Jugez-en sur pièce : à Castres, Eymerich conduit une enquête pour éradiquer les redoutables naassènes, qui exècrent Ialdabaoth, Dieu de la Bible, créateur de la matière, car il a enfermé l'esprit de l'Homme dans un corps. Pour s'évader de leur dépouille terrestre, ils boivent le sang de Sophie, fille incestueuse et dégénérée du comte de Montfort, qui porte en lui la Mort rouge. Parallèlement dans les années 1950, Pinks, un biologiste du Ku Klux Klan, découvre un moyen de contaminer le sang de ses patients de couleur, qui gonflent et meurent comme des mouches, afin de débarrasser la planète des Nègres.

C'est l'anémie falciforme, en principe génétique, qu'il va successivement tester pendant la guerre d'Algérie, chez Fidel Castro, dans une secte en Guyane, en Irak, jusqu'à ce qu'une mutation mette les Blancs en péril d'une épidémie.

Ni les hérétiques ni les Humains n'en réchapperont.

Une chute qui tombe à plat. L'histoire s'inscrit telle qu'on l'avait devinée dès les premières pages du roman ; pas une surprise, pas un vertige, ni sentiment ni curiosité. Eymerich est si cruel, Pinks est si méchant. Corrompu par Satan, l'Homme est immonde. Et pourquoi la Mort rouge plutôt qu'une forme de sida primitive ? Enfin bref, même si vous avez du temps à perdre, prenez le métro, c'est plus distrayant.

Bibliothèque sublunaire

collection bibliophilique chez l'Astronaute mort, 1995-1998

chronique par Philippe Curval, 1999

par ailleurs :

À l'opposé de cette démarche se situe la tentative d'un éditeur confidentiel, l'Astronaute mort, qui propose un choix mûri de nouvelles rares en édition bibliophilique, typographie superbe, quatre-vingts exemplaires sur vergé. Viennent de paraître -·-/·-/·-··/·-/----/-·/··/-·-/---/···- (Kalachnikov titré en morse) et Je suis le Savant Fou et ma maman est un requin. Le premier texte, d'Emmanuel Jouanne, dans la lignée de son expérience Limite, élucide peu à peu les fantasmes d'un enfant plongé dans un univers de terreur où les snipers combattent des extraterrestres attirés sur Terre par le chant des baleines. Le second, de René Durand, cruel et précis, célèbre à sa manière les douceurs de l'inceste vues à travers un prisme chirurgical emprunté à l'Île du docteur Moreau. Deux œuvres dont le plaisir découle de la créativité littéraire de leurs auteurs. Elles viennent à la suite d'un Marie Mathématique de Jean-Claude Forest, hommage anthume au plus novateur des auteurs de BD français — je pèse mes mots. Hélas, il n'aura pas atteint le millénaire qu'il imaginait. Ainsi que les Écrits cathodiques d'André Ruellan, hérités de l'émission Dim-Dam-Dom de l'O.R.T.F. Ces derniers textes ne sont pas dans la “compil” géante parue au Fleuve noir, qui recense, en plus de deux romans d'"Angoisse", à peu près la totalité des œuvres courtes de Steiner/Ruellan/Dupont, situées entre Panique, SF et Harakirisme.