Chroniques de Philippe Curval

Alain Dorémieux, in memoriam

15 août 1933 → 26 juillet 1998

chronique par Philippe Curval, 1998

par ailleurs :
l'Homme de fiction
[photo d'Alain Dorémieux]

Redoutant de s'endormir, Alain Dorémieux passait ses nuits à lire ou à écrire. Il avait raison. Le matin du 26 juillet, il ne s'est pas réveillé, emporté par un rêve trop lourd. Sans lui, en France, la Science-Fiction n'aurait pas été ce qu'elle fut. Elle devient même telle qu'il la souhaitait : un viol collectif de toutes les formes de l'imaginaire. Dès le milieu des années 1950, Dorémieux a fait de Fiction la première revue littéraire de SF, la seule de cette qualité. Il lui a consacré vingt ans de sa vie. En sachant s'entourer des meilleurs critiques, commentateurs, exégètes, bataillant sur tous les fronts, littérature générale, musique, cinéma, BD, arts plastiques, il a su imposer sa vision à des milliers de lecteurs. Éditeur éclectique, il a révélé les meilleurs auteurs anglo-saxons. Avec une exigence gouailleuse, il a permis aux écrivains français de s'exprimer. Presque tous lui doivent la publication de leur première nouvelle. Il a traduit Brown, Matheson, Leiber, Sturgeon, Silverberg, Zelazny, et Philip K. Dick qu'il a contribué à imposer par une anthologie magistrale, par sa version d'Ubik en français. Récemment, à travers les neuf volumes des Territoires de l'inquiétude, il poursuivait ces activités polymorphes qui firent passer son œuvre au second plan. Révélé en 1959 par "la Vana", reine des anthologies dans bien des pays, il hésitait à se croire écrivain. Et pourtant, des dizaines de nouvelles et un roman témoignent de son obstination secrète. « Que ce soit sous les déguisements peu convaincus du Fantastique ou de la Science-Fiction, l'auteur revient sans cesse au même motif inlassablement brodé : l'accouplement à la femme porteuse de mort. » écrivait Jean-Pierre Andrevon dans son Livre d'or.

Déclinant inlassablement les vertiges de la vampirisation, Dorémieux a porté son écriture au blanc incandescent. Il ne concevait l'amour que hors les normes.

Je suis triste d'avoir perdu un tel ami.

Jean-Pierre Andrevon : Cinq anguilles dans une botte d'Humains

roman de Science-Fiction, 1998

chronique par Philippe Curval, 1998

par ailleurs :

Tel les cactus vieillissants qui se mettent à bourgeonner, à fleurir pour prouver qu'ils existent encore — et comment ! —, ledit Andrevon a publié une dizaine de livres entre 1997 et 1998. Dans Cinq anguilles dans une botte d'Humains, dernier roman paru à ce jour, il fait preuve d'une allégresse d'écrire, d'un goût pour la mélodie spéculative qui semblaient l'avoir abandonné. D'abord il transforme en immense métaphore sexuelle l'abordage d'un satellite inconnu, via la ceinture d'astéroïdes, par les six membres d'un équipage. Puis, usant à sa manière des vampires, il se livre à leur traque originale par un mi-robot nommé Zak. Enfin, il fait fleurir des mutants au sein d'une société composite, multiraciale, multinationale où Guillermo Fern Morus, sophistiqué généticien fou, trame un complot planétaire. Grâce à son couple de télépathes écolos, Andrevon, vieux misanthrope, nous offre en prime un épilogue lyrique sur les lendemains de l'homme amoureux.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 368, septembre 1998

Joseph Altairac : H.G. Wells : parcours d'une œuvre

essai, 1998

chronique par Philippe Curval, 1998

par ailleurs :

Il n'existait plus d'ouvrage disponible en français sur Herbert George Wells. Indigné par cette lacune intolérable à l'égard du génie de la SF, Joseph Altairac nous propose son “parcours d'une œuvre”. Pédagogique et passionné, ce livre traite avec acuité de son originalité thématique, du sens philosophique de ses utopies sociales, qu'éclairent une biographie de l'auteur, sa bibliographie commentée. À cette remarquable vue en coupe sans fioritures égotiques, s'ajoute un choix très fin des critiques qui accueillirent l'œuvre de Wells en son temps et jusqu'à la Seconde Guerre mondiale. Celles-ci permettent d'établir des ponts subtils avec ses contemporains, ses suiveurs, ses ennemis, d'évaluer son influence et sa réputation. Elles ouvrent des perspectives insolites, voire cocasses, sur le mode de pénétration de la Science-Fiction dans les milieux littéraires. Ce retour vers le futur n'est pas à l'avantage de ceux qui nient encore aujourd'hui l'intérêt du genre.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 368, septembre 1998

Denis Guiot : Dictionnaire de la Science-Fiction

avec Alain Laurie & Stéphane Nicot, 1998

chronique par Philippe Curval, 1998

par ailleurs :

Par contre, il est inutile de feuilleter le Dictionnaire de la Science-Fiction. Cet ouvrage ressemble à un poulet désossé dont on aurait aligné la chair et les organes pour faire comprendre à la jeunesse comment fonctionne un gallinacé. Le ton professoral des aperçus est propre à dégoûter les néophytes, à décevoir les passionnés. Quelques perles universitaires mériteraient de figurer au dictionnaire des idées reçues de la SF. Comme il ne craignait pas d'en abuser, Alain Dorémieux aurait conseillé à ses auteurs de se recycler dans la culture des pommes de terre.