Chroniques de Philippe Curval

Arthur C. Clarke : 3001 : l'odyssée finale

(3001: the final odyssey, 1997)

roman de Science-Fiction

chronique par Philippe Curval, 1997

par ailleurs :
Pesanteur de l'avenir

À 80 ans, Arthur C. Clarke a acquis la réputation d'auteur de best-sellers de Science-Fiction, livrant son dernier ouvrage à l'encan, et par satellite, depuis son ermitage du Sri Lanka. Quand il n'apparaît pas sous les traits de l'auteur bicéphale de romans fort ennuyeux, écrits d'après d'anciennes nouvelles par Paul Preuss. Couvert d'honneur et de décorations diverses, il se targue d'être, depuis la mort d'Isaac Asimov, le plus grand écrivain de SF de tous les temps. Au nombre d'exemplaires vendus et de droits d'auteurs comptabilisés, je suppose que c'est vrai.

Projeté au pinacle par 2001 : l'odyssée de l'espace, il doit à Stanley Kubrick, qui créa l'événement en sa collaboration, l'essentiel de sa notoriété. En 1968, le cinéma de SF venait d'atteindre sa majorité.

Depuis, Clarke exploite la veine en solitaire. Le quatrième volume de cette saga scientifico-prospective, 3001 : l'odyssée finale, vient de paraître. Ce sera le dernier. Par chance pour l'auteur, l'un des deux pilotes de l'astronef initial, Discovery, est retrouvé dans l'espace au quatrième millénaire, en hibernation. Ses facultés sont intactes, mais dix siècles d'histoire manquent à sa mémoire. Un hiatus terrifiant pour qui n'a pas lu les trois autres volumes, dont le dernier s'arrêtait en 2061. En bref et pour l'essentiel, les maîtres des monolithes, ces dieux inconnus qui furent à l'origine de l'évolution humaine, ont transformé Jupiter en un second soleil appelé Lucifer. Sur l'un de ses satellites, Europe, ils poursuivent une nouvelle expérience avec des créatures en forme de plantes avec nageoires. Ce qui nous vaut un rare et beau chapitre de description de formes de vie étrangères.

Mieux que ce scénario lourdingue et pesamment construit, sans émotion ni brio, valent les notations, aphorismes, remarques bizarres que Clarke distille à travers son roman. Ainsi l'idée qu'à long terme, les artefacts de la Science-Fiction deviennent la réalité, après avoir semblé démodés. En 3001, par exemple, les astronefs ressemblent vraiment à ceux des pulps de 1926. Enfin apaisé, l'esprit de l'Homme ne cherche pas à entrer en compétition avec la machine, mais à s'en servir, sans état d'âme. De même, les pulsions profondes du groupe tribal ne conduisent plus à détruire ceux qui ne croient pas ou ne vivent pas d'une manière identique à la sienne. L'Homme use de politesse, même à l'égard de son ordinateur.

Une définition de la démocratie : « L'avidité individuelle, modérée par un État efficace mais point trop zélé. », donne le ton général du jugement que Clarke porte sur nos descendants dont la perfectibilité lui semble suspecte. Par contre, son roman abonde en extrapolations scientifiques qui animent sa ferveur, excitent son esprit spéculatif, au point d'en fournir les pièces à conviction dans les commentaires ultérieurs de chacun des chapitres.

Ni léger, ni indigeste, 3001 : l'odyssée finale glisse sur son erre à la manière d'un vieux Jules Verne des années 1990. Si vous vous moquez de savoir comment l'Homme se débarrassera de son dieu monolithique, courez vite chez votre libraire acheter Rendez-vous avec Rama du même auteur. Un chef-d'œuvre !

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 357, septembre 1997, sous le titre de : "Avenirs sous pesanteur"

Serge Lehman : Tonnerre lointain (F.A.U.S.T. – 3)

roman de Science-Fiction, 1997

chronique par Philippe Curval, 1997

par ailleurs :

Une semblable pesanteur de l'avenir semble avoir atteint Serge Lehman avec le troisième volume de sa série F.A.U.S.T., Tonnerre lointain. Déjà, il lui semble nécessaire d'ajouter un lexique et des appendices de 18 pages pour comprendre son roman, en identifier les tenants et les aboutissants.

Nous voilà loin des allègres feuilletonistes qui surfaient sur l'action pour nous faire bondir de crête en crête vers des dénouements fantasmagoriques, où la puissance évocatrice de l'auteur entretenait l'illusion et l'illusion masquait la raison. À trop vouloir construire son futur dans le moindre détail, comme s'il voulait démontrer à travers cette obsession schizophrénique qu'il se réaliserait de cette façon, Lehman épuise sa faconde et use son talent, que nous savons grand.

Parce que Katryn Ikaria disparaît comme “ça”, qu'elle se volatilise en direct sur un film d'amateur, Chan Coray, notre superhéros dopé par la nanotechnologie, claque des doigts et part à sa recherche. Sans doute l'aime-t-il parce qu'elle lui ressemble et qu'elle veut le tuer — voilà pour le substrat lyrique. Dans sa quête éperdue, depuis le boulevard Barbès jusqu'à Vladivostok, Coray le constate : tout va mal en 2095 ; l'histoire craque. Il va s'engluer de page en page dans l'analyse des symptômes. Voilà qui asphyxie l'anecdote, étouffe l'amour et anesthésie la fiction. Ne demeure qu'une intelligente spéculation dont la hauteur de vue n'excuse pas la fragilité du sentiment.

Rendez-vous donc au quatrième volume, l'Âge de Chrome, où Chan Coray, promet la conclusion, va se mettre au travail.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 357, septembre 1997