Chroniques de Philippe Curval

Francis Valéry : les Voyageurs sans mémoire

roman et nouvelles de Science-Fiction, 1997

chronique par Philippe Curval, 1997

par ailleurs :
Futur éclaté

Ce n'est pas tous les jours dimanche pour la Science-Fiction française. J'entends par là qu'il est d'usage de négliger les écrivains du cru, sous prétexte que les Anglo-Saxons se vendent mieux, ou qu'ils auraient inventé le genre. À cela, je répondrai qu'il est plus facile de trouver et d'acheter chez un libraire le roman tiré à vingt mille exemplaires qu'à deux mille. Quant aux origines de la SF, je n'aurais pas besoin de remonter à Jules Verne pour démontrer qu'en France les écrivains n'ont pas cessé de la réinventer. Citons, pour la seconde moitié du vingtième siècle, René Barjavel, Pierre Boulle, Jean Hougron, Robert Merle, Claude Ollier, pour ne citer que les absents des collections spécialisées.

Préambule paranoïde qui n'a d'autre but que d'introduire dans cette chronique de nouveaux venus de la SF indigène, dont l'originalité mérite l'attention. Francis Valéry d'abord, dans une collection chez Destination crépuscule que Gilles Dumay s'efforce d'imposer. Les Voyageurs sans mémoire se compose d'un roman en cinq nouvelles, Altneuland, suivi de cinq textes situés dans le cadre de sa propre histoire du futur.

Sur une station spatiale, des chercheurs reçoivent le premier message d'extraterrestres en provenance de Proxima Centauri. Le professeur Jungk lance le projet du Grand Israël afin d'atteindre Alpha du Centaure sur un voilier solaire. Sans aucune aide étrangère. Un Palestinien, le professeur Mouloud Kaldoun, invente la répulsion gravitationnelle, seul moyen de vaincre la supra-accélération qu'exige le voyage vers Proxima ; il collabore avec les Israéliens. De dangereuses images issues du passé émergent dans les parages du centre expérimental Ben-Gourion, où l'on procède aux premiers essais du bouclier gravifique. Enfin, le vaisseau spatial s'élance.

Tout l'art d'un roman éclaté réside dans le maniement des points de suspension. L'écart conceptuel entre les nouvelles doit conserver une élasticité suffisante pour exciter l'imagination du lecteur. C'est ainsi que Francis Valéry a construit son œuvre à la manière d'un architecte visionnaire inventant une cité idéale, ne renonçant ni à l'idéalisme, ni à l'aspect volontariste de son projet. Mais cette approche existentielle d'un futur en perpétuel devenir atteint sans doute sa plus parfaite expression dans la nouvelle suivante, "la Dernière mission de Lise Reinhardt". Jouant de l'ambiguïté entre fossile et rémanence, Francis Valéry s'essaye avec maîtrise à l'art de la fugue. Il brasse des données essentielles, violentes et contradictoires autour d'un récit intimiste, fondé sur la subjectivité de ses personnages, qui rêvent leur vie pour la produire, en dépit des conflits, des menaces.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 354, mai 1997

Wildy Petoud : Tigre au ralenti

roman, 1997

chronique par Philippe Curval, 1997

par ailleurs :

Tigre au ralenti, de Wildy Petoud, ressort d'un long mitonnage sur ordinateur avant de voir le jour. Un texte fluide, perpétuellement remis en question, qui trahit la souffrance. « La ramification fractale, c'est ce qui arrive à un filet d'eau quand il rencontre un petit obstacle, ce qui arrive à une branche quand elle a des branchettes qui ont des brindilles. La réalité fait pareil à chaque rencontre de chaque ondicule avec elle-même, mais en n dimensions au lieu de trois. »

Basé sur cette donnée, Tigre au ralenti s'essaye à décrire les relations inhumaines, mille fois recomposées, entre quelques personnages extraordinaires, enfermés dans une ville, forcément terrible et sublime, Streganomm. Il y a le Bluesman, Minuit, Terrapin, le Tigre. Quand la nécessité s'en fait sentir, les uns sont les autres et réciproquement. Ils s'aiment et se dévorent, parfois se tuent pour le plaisir de défier la raison, ou perdent l'équilibre pour les beaux yeux d'une star. Les principes quantiques sur lesquels repose l'univers favorisent le passage à l'acte inqualifiable. L'espace et le temps guettent les baladins du monde occidental.

Dire, à propos de ce roman, qu'il s'agit de Science-Fiction ou non ne semble pas nécessaire. C'est avant tout le produit d'un délire intime, ou abondent les inventions verbales, les trouvailles d'un style phosphorescent, un vrai défi aux normes. Amateur de suspense cartésien, s'abstenir !

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 354, mai 1997

Jean-Claude Alizet : l'Année de la fiction 1995

bibliographie commentée, 1996

chronique par Philippe Curval, 1997

par ailleurs :

Pour ceux qui voudraient s'informer des parutions concernant le Polar, la SF, le Fantastique, l'Espionnage, je saluerai l'événement que constitue, pour la septième année consécutive, la publication de l'annuaire 1995. Classé par ordre alphabétique des auteurs, avec des index pour les titres, chaque livre est résumé (jusqu'à la dernière page), brièvement commenté par Jean-Claude Alizet et une pléiade de collaborateurs. Ce guide œcuménique des littératures dites marginales, comprenant plus de mille références, se visite tel les rayonnages d'une bibliothèque virtuelle. Il prélude au plaisir du passage à l'acte.

Philippe Curval → Magazine littéraire, nº 354, mai 1997

Lire aussi la chronique des années 1998 & 1999-2000