Yves Ramonet : les Perspectives du mensonge
roman de Science-Fiction, 1994
- par ailleurs :
D'où surgit ce Ramonet inconnu dans la collection "Présence du futur", qui semblait depuis quelque temps abandonner l'expérimental pour le confortable, voire pour le distrayant ? D'après son curriculum vitæ, ce nouveau venu serait l'auteur de plusieurs romans sous un autre nom et dans d'autres genres. On se demande lesquels. Car les Perspectives du mensonge, que PdF vient de publier, semble constituer, à lui seul, un genre à part, qui emprunterait son dandysme destroy aux cyberpunks et sa pose à l'Oulipo.
Sans se référer spécifiquement à William Gibson pour la punkitude cybernétique, ni commettre une suite aux Exercices de style, Yves Ramonet sait entretenir un suspense sur 265 pages, portant sur une double interrogation radicale : l'auteur pense-t-il ce qu'il écrit ou écrit-il ce qu'il va penser ? En gros, l'essence, chez lui, précède-t-elle l'existence ou vice versa. Car les Perspectives du mensonge laisse à chaque page planer le doute sur l'origine du texte imprimé, qui combine à la fois l'insubordination conceptuelle d'un logiciel délirant et la maîtrise verbale d'un styliste effervescent.
« Rester à la surface des choses est le meilleur moyen d'atteindre le cœur humain. »
déclare Svevo Miller, le héros du roman, si je puis le qualifier ainsi. Cette réflexion résume bien les intentions de l'auteur : comment, par l'ébullition permanente des mots, obtenir l'évaporation de la conscience. Ce “privé” décadent, désinvolte, déstructuré, mais jubilatoire, est chargé de protéger la future inauguration du Xanadu Museum, qui rassemblera bientôt, au Vatican, les chefs-d'œuvre du monde entier. Voici qu'apparaissent pour contrer ce projet des personnages fuligineux. Tout ce qui fut pensé un jour existe et la transmigration corticulaire permet aux créatures des artistes de traverser notre univers, aux fictions de jouxter la réalité. Des groupuscules armés du Komplet Komplot cherchent à s'emparer de ce pouvoir, d'autres à le neutraliser par amour du temps rectiligne. La guerre est déclarée, sans profit pour personne. Car, sans réalité, la virtualité n'existe pas, et réciproquement.
Vous dire comment s'enchaînent et se concluent ces événements frénétiques dépasse mes capacités mentales. Aussi vous encouragerai-je vivement à comprendre ce roman à ma place, sachant que j'ai pris plaisir à traverser ce chantier inventif, aux dialogues souvent percutants, où l'allitération sert de moteur à l'illusion.