KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Robert Charles Wilson : la Cabane de l'aiguilleur

(a Hidden place, 1986)

roman de Science-Fiction

chronique par Éric Vial, 2011

par ailleurs :

Pour ceux qui (comme moi) l'avaient raté en "Lunes d'encre" dans le recueil Mysterium, voici en poche le premier roman de Robert Charles Wilson, auteur fétiche et nourricier de la collection sus-nommée. Avec l'inconvénient habituel de ce type d'exhumation, qui est la quasi-impossibilité de s'abstraire de ce que l'on a déjà lu de l'auteur devant ce qui (sauf catastrophe, sénescence etc. etc., et ce n'est manifestement pas le cas) est moins abouti, moins bon, que ce que l'on a déjà lu de plus récent. D'où une tendance inconsciente à sous-estimer. D'où moins de plaisir de lecture parfois. D'où une haine sourde contre ceux qui ont la chance de ne pas connaître l'auteur, vont tomber là-dessus par hasard, vont aimer, vont chercher le reste et avec un peu de chance le liront dans l'ordre chronologique. Et seront d'ailleurs peut-être surpris, mais c'est une autre affaire — quoi qu'ils trouveront des fils rouges, malgré de substantielles différences.

D'abord, on est dans le réalisme apparent. Pire : dans le roman historique. La crise de 1929, avec les chemineaux, vagabonds clandestins de train de marchandise en train de marchandise. Et parallèlement dans un bled paumé du milieu de nulle part, avec son association des femmes baptistes vouée à l'ordre moral et à la pâtisserie, ses micro-notables montant une milice, son bar à hamburgers, son usine à glace que les réfrigérateurs conduiront bientôt à la faillite et dont le patron écoute les sermons du père Charles Edward Coughlin, catholique canadien ancêtre des télévangélistes, aux millions d'auditeurs, cité d'ailleurs peut-être bien quelque peu à contresens — parce qu'à la date de l'action, il était nettement rooseveltien et favorable au New Deal, avant de virer à partir de 1934 dans un populisme très vite antisémite, pro-mussolinien et pro-nazi, dont il n'est jamais sorti et qui a donc fixé son image, jusque dans le Complot contre l'Amérique de Philip Roth où il apparaît assez logiquement. Fin de la mise au point historique au prétexte d'un mot dans le texte. Bref le décor est tout à fait mimétique. Et il faut du temps pour qu'il cesse de l'être. Le vagabond que l'on suit, dit L'Os, est bien un peu bizarre, trop grand, trop… osseux, mais ce n'est tout de même pas tout à fait une version adulte et bagarreuse d'E.T. (le film date sauf erreur de quatre ans avant la sortie de ce roman) ; le bourg perdu, lui, voit revenir un jeune homme de dix-neuf ans, désormais orphelin, que sa tante va héberger et on va découvrir petit à petit les grandes lignes de son histoire, tandis que son oncle l'embauche et l'écrase de son mépris ; le jeune homme rencontre une non moins jeune serveuse de hamburgers, aussi inadaptée que lui (mais elle, c'est parce qu'elle lit Jung alors que personne ne lit, pas même les bibliothécaires du cru) ; il rencontre aussi une pensionnaire de ses oncle et tante, couturière à domicile si l'on peut dire, et, si l'on se fie au bruit des ressorts, qui ne ment guère, maîtresse de l'oncle. Tout cela n'étant certes pas inintéressant. Mais n'ayant que des rapports assez ténus avec ce qui est supposé nous intéresser ici. On peut donc ajouter, même si cela relève du spoiler, que bien entendu le vagabond et la couturière doivent se rencontrer, qu'ils ne sont pas réellement humains, etc. Et que l'on va retrouver le thème de la mue, de la chrysalide, du corps devenant moins matériel voire ici largement immatériel, toutes choses développées sur d'autres bases dans le Vaisseau des voyageurs. Comme quoi les métaphores obsédantes et les mythes personnels ne fonctionnent pas mal en SF. Avec en prime, souvenir scolaire sans doute, quelque chose comme l'androgyne platonicien, la fusion des principes, etc. Pas de quoi hurler au miracle, mais de quoi tout à la fois intéresser en soi, et accrocher les amateurs en offrant des échos avec la suite. Ce qui n'est déjà pas mal et justifie largement la publication, l'acquisition, etc.

En prime de la prime, il y aurait de quoi se poser la question de la définition du genre auquel appartient le livre. C'est de la SF, c'est marqué dessus. Certes. Et il est en gros question d'un monde parallèle, dont il est bien précisé qu'il obéit à des lois physiques différentes de celles du nôtre mais tout aussi contraignantes. De la SF vous dis-je. Mais en même temps, et en dehors de la phrase sur les lois physiques, ce monde, dit “Précieux”, est un autre-côté du miroir imprécis, et pourrait relever du merveilleux. Et l'irruption des deux personnages modifie certes des trajectoires individuelles, elle en abrège même notablement quelques-unes, mais elle ne laisse guère de traces, entre départ au loin de ceux qui ont compris et disparition physique totale de quelques autres ; le roman se conclut d'ailleurs sur l'attente du retour d'un de ces autres, puis le renoncement à cette attente. Bref, deux personnages issus de l'impossible ou du surmonde font irruption dans la réalité sans la modifier (du point de vue de l'histoire globale) et la parenthèse se ferme, encore que ce ne soit pas tout à fait sur une ambiguïté puis que deux autres personnages les ont vus mais se taisent ; à ce dernier élément près, on n'est pas loin de la définition canonique du Fantastique. Et le tout peut sans doute plaire tout particulièrement aux amateurs de ce dernier genre sans en relever absolument. Et même si tout cela n'est que taxinomie artificielle, pour un roman sans doute mineur mais qui fut un premier roman prometteur d'un auteur aujourd'hui majeur, roman qui vaut, de toute façon, le détour.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 69, juin 2011

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