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Keep Watching the Skies! nº 56, janvier 2007

Éditorial : la mémoire du monde

par Pascal J. Thomas

Je dois des remerciements émus à Anouk Arnal pour m'avoir entraîné un soir d'automne dans une librairie d'Avignon portant ce nom magnifique, la Mémoire du monde1. Pas de S.-F. là-bas, je vous préviens tout de suite, mais une sélection aussi sympathique qu'éclectique de livres de toutes sortes (poésie, jeunesse, essais, romans…) et, sur un coin de table, ce livre sous une couverture de Benoît Peeters, au titre fascinant : l'Homme qui voulait classer le monde par Françoise Levie.

Le classificateur fou, donc, s'appelait Paul Otlet. Né en 1868 dans l'aristocratie industrielle belge, il a vécu jeune homme cette époque étonnante où le nouvel État belge (indépendant depuis 1830), dopé par les richesses pillées au Congo, se voyait en centre du monde, engendrant foule de capitaines d'industries qui s'en allaient gagner de l'argent dans le monde entier. On comprend la fascination qu'a pu exercer la Belgique de cette époque sur un auteur comme Francis Valéry.

À côté des atrocités de la conquête coloniale, la Belgique produisait aussi son lot d'idéalistes. Paul Otlet en était un, qui a été de toutes les utopies internationalistes : classification décimale internationale (il s'est voulu le successeur, et l'améliorateur, de Melvin Dewey, l'inventeur du système), bibliothèque et musée mondiaux, association mondiale de toutes les associations internationales…

Fou ou visionnaire ? Probablement plus le premier que le second, mais assez efficace pourtant pour arriver à convaincre différents gouvernements belges de lui accorder bâtiments et subventions, qui lui permirent d'accumuler d'étonnantes collections (pour la plupart détruites et dispersées au gré des avanies de son entreprise, en particulier pendant la seconde Guerre Mondiale). Et, dans un de ses textes — car il était friand de l'écriture de projets, harangues et manifestes —, se trouve préfiguré, dit-on, le Web d'aujourd'hui : « Ici la Table de Travail n'est plus chargée d'aucun livre. À leur place se dresse un écran et à portée un téléphone. » N'en disons pas plus. Et notons avec soulagement qu'Otlet n'est pas complètement oublié aujourd'hui, autant pour ce fragment en avance sur son temps que pour son projet de Mundaneum, auquel un musée est désormais consacré à Mons.

Otlet est toujours resté assez loin, dans la réalité, des plans grandioses qu'il réalisait, ou faisait réaliser — notamment, pendant une période, par Le Corbusier, pour une hypothétique Cité Mondiale. Sa personnalité, par contre, résonnera avec celle des fans de S.-F. d'aujourd'hui. Il ne savait rien jeter. Sa propre table de travail est toujours restée surchargée de documents, et il a connu tous les travers des collectionneurs (au carré !), se laissant dépasser par la dimension matérielle de ses entreprises. S'il avait dû publier KWS, il l'aurait sans aucun doute empli des considérations sur des livres les plus disparates, tout en sortant régulièrement les numéros en retard, et en promettant sans cesse un meilleur fanzine pour demain. Un vrai frère spirituel, finalement !

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Notes

  1. Si jamais vous êtes dans le coin :
    la Mémoire du monde
    36, rue Carnot
    84000 Avignon
    France
    +33 4 90 85 96 76
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