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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 56 Petite cuisine du Diable

Keep Watching the Skies! nº 56, janvier 2007

Poppy Z. Brite : Petite cuisine du Diable

(the Devil you know)

nouvelles fantastiques

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chronique par Philippe Paygnard

Après les Contes de la fée verte, publiés par Denoël en 1999, et Self-made man, paru Au Diable Vauvert en 2000, ce troisième recueil signé Poppy Z. Brite a de quoi surprendre et étonner plus d'un. Jusqu'alors chantre déclaré d'une littérature Gore, Gay et Gothic, la romancière se détourne petit à petit des vampires et autres créatures de la nuit qui l'ont pourtant rendue célèbre pour présenter une tout autre facette de son talent d'écrivain. La transition se fait cependant en douceur et le Fantastique n'est pas totalement absent de cet ouvrage qui offre à lire quatorze textes écrits par Poppy Z. Brite entre 1999 et 2003, plus précisément douze nouvelles et une novella, sans oublier une très informative préface. Ils permettent de suivre le lent, mais semble-t-il définitif, abandon du genre horrifique par la romancière au profit d'un autre type de littérature.

Le Fantastique fait donc acte de présence dès la première page de ce recueil avec des textes comme "le Diable par la queue" (où le Diable lui-même et son chat géant viennent participer au carnaval de la Nouvelle-Orléans), ou encore avec "le Marais aux lanternes" (un classique récit d'Halloween). La star du rock dévorée par ses fans de "l'Océan" et le restaurateur coréen exorciste de "Pansu" sont des personnages du quotidien plongés bien malgré eux dans un univers encore nimbé de fantastique. Deux autres nouvelles appartiennent également aux mondes de l'imaginaire, mais pas exactement ceux de Poppy Z. Brite puisque la romancière se contente, mais toujours avec talent de revisiter l'univers d'autres créateurs. Dans "Gel système", elle effleure ainsi celui de la Matrice des frères Wachowski, tandis que "Tout feu, tout flamme" la fait pénétrer, par la bande, dans le monde de Hellboy, le héros cornu des comics de Mike Mignola.

Quant au Docteur Brite, coroner de La Nouvelle-Orléans (déjà aperçu dans l'une des nouvelles de Self-made man), c'est le personnage central de trois des récits de Petite cuisine du diable. Ces trois histoires conservent un goût horrifique prononcé, avec le zeste de zombie d'"Ô Camarde, où es-tu spatule ?", la pincée de cannibalisme de "Marisol" et la petite dose de revenant du "Cœur de La Nouvelle-Orléans", mais elles constituent également les premières strophes de l'ode à la véritable Nouvelle-Orléans que l'on peut désormais entendre dans chacun des écrits de Poppy Z. Brite.

Les quatre derniers textes de ce recueil peuvent difficilement être qualifiés de fantastiques, mais il est certain qu'ils sont peu communs. "Rien de lui ne s'étiole" peut ainsi se lire comme un éloge au suicide ou comme une histoire d'amour ultime, tandis que "Poivre" ressemble finalement à un banal récit de critique gastronomique. Mais c'est "Bayou de la Mère" qui paraît être le récit le plus important de ce recueil puisqu'il permet de découvrir Rickey et G-man1, le temps d'un week-end, loin des fourneaux de leur restaurant, le Liquor. Ce couple de cuisiniers a désormais supplanté Steve et Ghost (les héros d'Âmes perdues), dans l'œuvre de Poppy Z. Brite. On retrouve donc tout naturellement Rickey et G-man dans "une Saison d'enfer", la novella inédite qui conclut ce recueil, même s'ils s'y font voler la vedette par un jeune homme qui cherche sa voie et va la trouver cette voie en travaillant quelque temps dans les cuisines du Liquor, l'une des meilleures tables de La Nouvelle-Orléans.

Abandonnant définitivement la règle des 3G (Gore-Gay-Gothic) qui constituait jusqu'alors sa marque de fabrique, Poppy Z. Brite offre à ses fidèles lecteurs une œuvre de transition. S'il persiste encore dans ses écrits quelques lambeaux de Fantastique, ceux-ci s'étiolent furtivement pour laisser place à des chroniques à connotations culinaires, avec le constant souci de donner une image réaliste de La Nouvelle-Orléans. Cette ville, qui a subi les terribles assauts de Katrina2, est au centre des préoccupations personnelles et littéraires de la romancière. Et, sans être réellement autobiographiques, les histoires qu'écrit Poppy Z. Brite lui tiennent bien plus à cœur que les récits de vampires qui la firent connaître, mais qu'elle ne renie aucunement. Avec un brin d'imagination, il est d'ailleurs possible de discerner certains traits de caractère de l'auteur à travers ses doubles de fiction que sont Doc Brite et Rickey. En définitive, même si elle s'éloigne des littératures de l'imaginaire, l'imagination de Poppy Z. Brite reste fertile et son écriture enivrante comme une fée verte.

Notes

  1. Rickey et G-man sont les héros des trois derniers livres de Poppy Z. Brite, Liquor (2004), Prime (2005) et Soul kitchen (2006), dont Au diable vauvert a acquis les droits de publication en France. Ils sont également les personnages principaux de Dead shrimp blues, le nouveau roman dont Poppy Z. Brite vient à peine de terminer l'écriture du cinquième chapitre (en septembre 2006).
  2. Poppy Z. Brite tient un blog sur l'internet, baptisé du même titre que sa préface : Dépêches du Tanganika (Dispatches from Tanganyika), où elle parle régulièrement de sa ville toujours convalescente après le passage de Katrina en août 2005.