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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 26 la Mort vivante ~ Piège sur Zarkass

Keep Watching the Skies! nº 26, novembre 1997

Stefan Wul : la Mort vivante ~ Piège sur Zarkass

romans de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Avec le Temple du passé, ces deux romans font partie d'une livraison de trois rééditions de Wul. On peut regretter que PdF, autrefois porte-drapeau des publications originales en S.-F. française, consacre autant d'espace aux rééditions depuis quelque temps, surtout des œuvres de Wul qui ne me paraissent pas bien difficiles à trouver. Certes la qualité des romans de Wul, incite à beaucoup pardonner.

Quoique respectant les formes extérieures de la S.-F. (lutte entre la Terre et Vénus, cataclysmes géologiques futurs, expériences scientifiques dangereuses), la Mort vivante laisse le souvenir d'un roman d'horreur. Pourquoi ? Parce que des expériences sur la personne humaine en arrivent à créer des monstres, puis finalement une menace pour la vie tout entière. (Mais comme c'est de la S.-F., rien n'oblige cette menace à être vaincue ou contenue en clôture du récit.) Que Wul flirte avec le mystique n'est pas l'aspect du livre qui m'a le plus gêné ; c'est plutôt l'orientation de l'intrigue, qui part des perspectives cosmiques pour s'enfermer dans le huis clos d'un château des Pyrénées. Rendons hommage malgré tout à une intensité émotionnelle mémorable et à ces quelques pages de doute existentiel, poignantes aussi, où le protagoniste, savant rebelle contre une société théocratique, cherche désespérément une troisième voie entre obscurantisme et scientisme sans conscience. On dirait presque que l'auteur lui-même se posait à l'époque cette question sans l'avoir résolue.

Plus long, Piège sur Zarkass est aussi plus raisonné et plus politique. Je préfère, peut-être par déformation professionnelle d'un critique attaché à l'analyse plus qu'à l'impact émotionnel.

Zarkass, autrefois colonie terrienne, s'est affranchie de la tutelle de ses anciens maîtres. Elle porte encore toutefois la marque de la métropole, surtout au niveau des secteurs les plus modernisés de la société, qui se démarquent vigoureusement des antiques traditions qu'ont conservées les indigènes de la jungle. Mais ces secteurs modernes, épris d'une indépendance plus complète, cherchent une alliance avec les Triangles, redoutables et mystérieux adversaires des Terriens dans l'espace intersidéral. Laurent et David sont deux agents spéciaux de la Terre, envoyés dans la jungle de Zarkass sous prétexte d'expédition géologique pour inspecter le site de l'écrasement d'un vaisseau des Triangles…

Un peu d'exotisme, un peu de malédiction des rois antiques — ici non plus, Wul ne s'en tient pas à une S.-F. strictement rationaliste — un zeste de paranoïa face aux envahisseurs masqués, et une grande dose de débrouillardise gouailleuse de la part du protagoniste principal, Laurent, qui ne manque pas de se gausser des travers d'intellectuel de son coéquipier : Piège sur Zarkass respecte les formes du roman d'aventures. Ce qui ne l'empêche pas de placer de remarquables descriptions et envolées lyriques, et de peindre à grands traits faune et flore étrangères — par exemple, les rôles dans plusieurs cas inversés entre insectes et mammifères —, ni de cacher dans son chapeau des retournements d'intrigues totalement imprévisibles — on pourrait distinguer trois récits distincts au cours de ce roman. Wul avait un talent brut, on le sait depuis longtemps, et il résiste au passage des années et au jaunissement de son arrière-plan socio-politique — sur lequel nous reviendrons plus bas. L'écrivain savait en peu de mots susciter un univers dans la tête du lecteur — quel contraste avec la laborieuse verbosité de Brin dans Rédemption !

Voilà pour la surface du livre.

En ce qui concerne le contexte politique, il serait passionnant qu'un connaisseur de l'histoire coloniale française se penche sur l'œuvre de Wul — cela a peut-être déjà été fait dans des travaux universitaires ; je ne les connais guère… On avait déjà pu relever des images de la situation algérienne dans Odyssée sous contrôle, et la Peur géante se déroulait entièrement dans le cadre déjà quasi-uchronique de l'Afrance. Nous sommes sur Zarkass dans une situation déjà post-coloniale, et vue la date de publication originale du livre (1958), cela évoque déjà l'Indochine. D'autres indices renforcent l'impression : la jungle, et non le désert, est emblématique de la planète ; et surtout, l'opposition entre Zarkassiens “indigènes” (de la brousse ou de la jungle) et “évolués” (des villes). Zarkass a connu une longue — et peut-être glorieuse — histoire, étouffée par le fait colonial et l'influence de la science moderne venue de la Terre ; mais les pulsions indépendantistes, l'hostilité aux Terriens, sont l'apanage des Zarkassiens “évolués”, ceux qui ont le plus étudié la culture et la science terriennes, ont rejeté la religion indigène, et singent les habitudes des humains dans leur architecture et leur habillement. De plus, ces leaders nationalistes ont recherché l'alliance des “Triangles”, infiltrateurs sournois qui viennent — on s'en rendra compte plus tard —… du froid, puisque les températures sur leur planète tournent autour de -60° C. Comment ne pas esquisser un parallèle avec les indépendantistes indochinois, souvent formés dans les universités parisiennes et appuyés par les Soviétiques ?

Wul met en scène la défaite des Zarkassiens évolués devant les anciennes traditions de leur propre planète ; vœu pieu ! Mais — et même si le régime de Diem, au pouvoir au Sud Việt Nam ne s'approchait guère d'un tel idéal — on souhaiterait rétrospectivement un tel sort au Việt Nam, quand on voit ce que quarante ans de communisme en ont fait.