Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux Archives stellaires Gérard Klein préfaces et postfaces les Mondes…

Gérard Klein : préfaces et postfaces

Anthologie composée par Ellen C. Herzfeld, Gérard Klein et Dominique Martel : les Mondes francs

Livre de poche nº 7096, octobre 1988

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

 Chercher ce livre sur amazon.fr.

Lorsque le principe et le plan de la Grande Anthologie de la Science-Fiction furent établis, les auteurs et l'éditeur décidèrent d'un commun accord, afin de conserver à l'ensemble son [Couverture du volume]homogénéité, de n'y introduire que des nouvelles anglo-saxonnes. Il fut toutefois dès cette époque envisagé de lui adjoindre une anthologie de la Science-Fiction française qui viendrait la compléter. Après quelques vicissitudes et bien des années, ce projet nécessaire trouve ici un commencement d'exécution.

L'Anthologie de la SF française du "Livre de Poche" comprendra pour débuter trois volumes. Le premier qu'on découvrira ci-après couvre les années 50 et 60. Les deux suivants correspondront aux années 70 et 80. Cet ordre chronologique qui tranche sur le principe thématique des 36 premiers volumes de la GASF répond à un souci de clarté et présente pour le lecteur beaucoup moins d'inconvénients qu'un regroupement par sujets qui, pour la Science-Fiction française, aurait été artificiel. Le lecteur des trente-six premiers volumes de la Grande Anthologie de la Science-Fiction s'apercevra du reste qu'il est beaucoup moins facile de dater à simple lecture les nouvelles françaises que les textes anglo-saxons. Beaucoup d'entre elles, bien qu'écrites il y a près de trente ans, préfigurent les tendances récentes, voire post-modernes, de la Science-Fiction américaine.

En 1950, la Science-Fiction française revenait d'assez loin. Certes, personne ne contestait que la France avait été, avec la Grande-Bretagne, la créatrice du genre. On se souvenait de Jules Verne, moins de Maurice Renard et de Rosny Aîné, moins encore de Jean de la Hire qui, après des débuts prometteurs, avait donné dans la littérature racoleuse. On avait quelque peu oublié que plusieurs des grands écrivains de l'entre-deux-guerres dont André Maurois et Jules Romains s'y étaient adonnés. Les romans populaires d'aventures scientifiques publiés dans Sciences et Voyages et dans la jadis célèbre collection "Tallandier Bleu" s'étaient entassés dans les greniers. Le succès prodigieux et encore récent de René Barjavel avec le Voyageur Imprudent et Ravage apparaissait isolé et avait éclipsé les œuvres ironiques et désabusées de Jacques Spitz.

C'est de l'Amérique encore auréolée par la Libération et par ses prodigieux succès techniques et économiques que le genre revenait. Il y avait gagné un nom qui lui est resté, Science-Fiction. En 1950, le Figaro publie un article de Claude Elsen, "La Science-Fiction remplacera-t-elle le roman policier ?" Pour la première fois, le terme, créé en 1929 par l'américain d'origine luxembourgeoise Hugo Gernsback, en remplacement de scientifiction qu'il utilisait depuis 1915, apparaît en France. L'année suivante, Raymond Queneau relance dans Critique, suivi en octobre par Stephane Spriel et Boris Vian dans les Temps modernes. En 1953, c'est au tour d'Esprit, puis des Cahiers du Sud de célèbrer le genre sous les signatures de Michel Carrouges, de Jacques Audiberti et de Michel Butor sans négliger celle de Stephen Spriel. En quelques mois, tout ce que l'intelligence française compte de noms brillants ou prometteurs semble se coaliser pour saluer ce nouveau genre apparemment venu des États-Unis. Mais c'est dans France-Dimanche, hebdomadaire intellectuellement moins huppé, que le grand public découvre au début de 1952 des nouvelles de SF américaines, dues à Ray Bradbury, à A. E. van Vogt et autres célébrités encore inconnues de ce côté-ci de l'Atlantique.

Il est enfin un lieu qu'il faut citer pour rendre compte de l'intense prurit intellectuel qui accompagna la naissance de la SF en France : la Librairie de la Balance créée en I953 par Valérie Schmidt et que fréquentèrent Vian, Queneau, François le Lionnais, Butor, Pierre Versins, et très assidûment les deux hommes qui ont sans doute le plus fait à cette époque pour le développement de la Science-Fiction, Stephen Spriel (de son vrai nom Michel Pilotin) et Jacques Bergier.

La question se pose alors de savoir s'il va y avoir des Mondes francs à côté des univers anglo-saxons ou bien si la SF (l'abréviation est déjà introduite, sur le modèle américain) demeurera un genre purement ou principalement importé. À vrai dire, elle ne cessera jamais de se poser. La reconstruction et la modernisation de la France s'effectueront-elles jusque dans ce domaine qui est précisément porteur de modernité ? L'exemple du roman noir, alors exclusivement américain au point que les quelques auteurs français qui en écrivent s'abritent comme Boris Vian derrière des pseudonymes anglo-saxons, n'est pas alors très rassurant.

Au printemps 1951 apparaît le "Rayon Fantastique", coproduction Hachette-Gallimard, dirigée par Georges Gallet et Stephen Spriel, qui s'illustrera en publiant notamment Cristal qui songe et les Plus qu'humains de Theodore Sturgeon, le Monde des Non-A et la Faune de l'espace d'A.E. van Vogt et le premier volume de la trilogie d'Isaac Asimov, Fondation, et qui finira par accueillir des auteurs français. À la fin de la même année le Fleuve Noir crée une collection populaire et sans prétention littéraire, "Anticipation" , presqu'exclusivement réservée à des auteurs français. À cette exception près, il peut cependant sembler que la part des auteurs indigènes va rester maigre. Quelques uns publient pourtant dans des collections sans lendemain aux noms et aux présentations improbables comme "Métal", "Horizons fantastiques" ou encore "Grands Romans sciences anticipation".

Mais en 1953 et 1954 surgissent deux institutions du genre qui existent toujours. La revue Fiction, créée par Maurice Renault sur le conseil de Jacques Bergier, longtemps animée par Alain Dorémieux, réussira à faire coexister Fantastique et Science-Fiction, traductions et nouvelles françaises. Elle va révéler l'art du conte de Science-Fiction, et des écrivains comme Philip K. Dick. Elle donnera aussi leur première chance à des auteurs français comme Jacques Sternberg (en fait belge) et Philippe Curval, et elle constituera, au fil des années, une véritable école d'auteurs français. La présente anthologie lui doit beaucoup. À côté de Fiction, une autre revue aujourd'hui disparue, Galaxie, s'ouvrira également à des écrivains indigènes.

L'autre institution, c'est la collection "Présence du Futur", dirigée chez Denoël par Robert Kanters. Après de brillants débuts américains (Ray Bradbury, H.P. Lovecraft, Alfred Bester), elle va accueillir des auteurs confirmés dans la littérature générale (Jean-Louis Curtis), néophytes (Jacques Sternberg) ou carrément débutants (Gérard Klein et un peu plus tard Jean-Pierre Andrevon).

Fiction et "Présence du Futur" auront donné le véritable coup d'envoi à une littérature de Science-Fiction française rénovée et littérairement exigeante. Il convient de ne pas négliger non plus le travail effectué par la revue Satellite et par des revues ronéotées qu'on n'appelle pas encore des fanzines comme le Petit Silence Illustré et Ailleurs, animées respectivement par Jacques Sternberg et Pierre Versins, tous deux auteurs, amateurs et critiques du genre.

Au total, la production française des années 50 et 60 sera quantitativement et qualitativement impressionnante. C'est, de plus, presque le seul domaine où la nouvelle conservera droit de cité et audience fidèle. La nouvelle a toujours tenu dans la Science-Fiction en général, et française en particulier, une place privilégiée qui contraste avec la presque disparition de ce format littéraire dans l'édition. Peut-être faut-il en chercher une raison dans la situation d'auteurs que l'étroitesse des débouchés empêchait de vivre de leur plume et qui se trouvaient contraints de produire leurs œuvres en peu de temps et sur peu de pages. Sans doute faut-il y voir aussi la marque d'éditeurs vigilants dont le principal fut Alain Dorémieux qui pouvait accueillir des nouvelles dans Fiction et notamment dans les numéros spéciaux de cette revue, et qui contribua beaucoup à constituer une tradition française et à assurer sa pérennité.

La sélection de nouvelles qui compose cette anthologie a été effectuée dans la seule perspective de la qualité et de l'originalité des textes. Elle n'a pas de dimension historique, en ce sens que les anthologistes n'ont pas cherché à reconstituer un état passé du genre, mais à réunir des textes qui ont conservé toute leur actualité et qui assurent au lecteur le même plaisir de lecture que lors de leur première parution. Il est remarquable d'y trouver des auteurs qui n'ont produit que quelques textes et parfois un seul comme Jean Porte, à côté d'écrivains confirmés comme Pierre Boulle, Philippe Curval, Jacques Sternberg ou André Ruellan.

Rétrospectivement, l'influence de la Science-Fiction américaine semble réduite. L'importance donnée à la forme littéraire est à peu près générale, mais la recherche stylistique ne conduit pas les auteurs à négliger le développement d'une idée forte. Il est difficile de dégager de cette anthologie une impression d'ensemble. Peut-être ces textes ont-ils en commun cependant à la fois un certain lyrisme et un penchant certain pour l'ironie, voire le scepticisme. Pas de messianisme ici, ni d'utopies galactiques. L'avenir y apparaît moins comme une frontière ouverte que comme un champ poétique ou que comme une source de réflexion et d'inquiétude. Jusque dans l'humour transparaît une certaine gravité.

Pour beaucoup de jeunes lecteurs des années 50, la SF, littérature d'idées, fut une école d'ironie et d'indépendance d'esprit. Elle leur tint lieu de culture autant que de contre-culture. Elle fut la littérature de l'accession au monde des idées non reçues de toute une fraction de la classe moyenne alors en rapide ascension sociale pour cause de savoir. Il est vraisemblable qu'on en trouve un écho dans cette anthologie.

Apparue en France dès le début des années 50, quelque peu négligée au cours des années 60, explosant dans les années 70 et s'étant bien maintenue au cours de nos années 80, la littérature de Science-Fiction apparaît avec le recul comme le signe d'un basculement de la France dans le monde moderne, industriel, technologique, voire scientifique.

Et plus encore dans un univers international, planétaire, voire désormais interplanétaire, où les écrivains nationaux tentent tant bien que mal de préserver leur identité sans avoir pu s'appuyer sur une école indigène ancienne et honorable mais trop longtemps interrompue. Il ne fait guère de doute que la tradition de Jules Verne et de J.H. Rosny Aîné, reprise par Jacques Spitz puis René Barjavel et prolongée par Pierre Boulle et Robert Merle, n'a pas fait le poids devant l'invasion anglo-américaine. La sagesse relative de l'anticipation à la française a définitivement cédé le pas devant la frénésie poétique et explosive de la Science-Fiction dont la découverte fut probablement l'un des faits culturels marquants et durables de l'après-guerre.