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Gérard Klein : préfaces et postfaces

Anthologie composée par Jacques Goimard, Demètre Ioakimidis et Gérard Klein : Histoires de mondes étranges

Livre de poche nº 3812, juin 1984

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

Mondes à profusion

Ah ! les beaux mondes. Suffit de lever les yeux par une belle nuit et de considérer les cinq ou six mille étoiles du firmament pour les imaginer, certes invisibles, mais bien là, alléchants, [Couverture du volume]attendant, moulés dans leur givre ou dans leur atmosphère, ronds comme des seaux et tous différents, jetés en pagaille dans l'immense vide noir de l'espace par une céleste corne d'abondance, tous uniques et pratiquement innombrables.

Il y a dans notre Galaxie environ cent milliards d'étoiles, et il y a sans doute un nombre plus grand encore de galaxies encore dans l'univers. Personne ne sait combien cela peut faire de planètes. Disons qu'une seule étoile sur mille a son cortège de vagabonds et cela nous laisse cent millions de systèmes planétaires. C'est trop ? Une étoile sur un million : voilà encore pour la seule Galaxie cent mille systèmes, neuf cent mille planètes si notre système solaire est un exemple significatif de ce que l'espace peut nous offrir, ce qui est peu vraisemblable.

Tant de mondes, et par conséquent tant de mondes étranges. Il est superficiellement paradoxal que les lois physiques soient partout les mêmes, pour autant que nous sachions, et qu'elles aboutissent à une inépuisable diversité. Vous en doutez ? Dans notre seul système solaire, les sondes et vaisseaux spatiaux américains et soviétiques ont, au cours des quinze dernières années, révélé d'abord que les planètes et satellites explorés différaient substantiellement de ce que l'on croyait en savoir grâce aux télescopes, et démontré ensuite que pas un de ces corps célestes n'était semblable à un autre. Il y a des familles certes, mais les conditions locales sont si différentes que chacun de ces mondes constitue un cas particulier.

Cette diversité, nous y sommes habitués. Sur la seule planète Terre, des millions d'espèces se sont succédés ou coexistent, qui sont toutes fondées sur les mêmes lois physiques et qui sont même étroitement cousines puisqu'elles utilisent les quelques mêmes molécules complexes et qu'elles participent du même système fondamental de codage de l'information génétique. Sur un million d'autres planètes, l'optimiste peut donc s'attendre à découvrir des milliards d'autres espèces, des milliards de milliards de sujets d'étonnement.

Toutefois, l'étrangeté qui suscite l'étonnement, souvent l'effroi et parfois l'admiration, est une qualité fragile et instable. Il suffit après tout de la considérer assez Iongtemps pour qu'elle disparaisse et s'abîme dans l'habitude. Un monde étrange est dans un état provisoire. L'année d'après, il entre dans la statistique. Et pourtant les êtres humains ne se lassent pas de désirer l'étrangeté, quitte à la rendre ensuite à la déception. Bien avant l'exploration de l'espace, bien avant même qu'ils aient entrepris la découverte systématique de la Terre, ils se sont plus à imaginer des contes improbables sur les terres lointaines et même sur les terres du ciel. Dans sa préface aux Histoires de planètes, précédemment parues dans la Grande anthologie de la Science-Fiction, Demètre Ioakimidis a esquissé une histoire littéraire des voyages interplanétaires, de Lucien de Samosate à notre époque. On peut s'interroger sur la permanence de ces fantaisies. Sans doute y a-t-il au plus profond du psychisme humain une insatiable curiosité qui le pousse à rêver des mondes imaginaires avant de l'inviter à s'en emparer, comme une pulsion qui a conduit l'espèce à parcourir et à peupler toutes les régions de la Terre sauf — pour l'instant — l'Antarctique plus hostile que la Lune. Peut-être y a-t-il aussi l'espoir de renouer avec une expérience ancienne, primordiale, celle que chacun de nous a faite de la découverte d'un monde radicalement inconnu, son environnement, cette Terre. Chaque enfant est un explorateur qui a pris sa retraite trop tôt et qui rêve à nouveau d'en découdre, fût-ce dans un fauteuil.

En un siècle environ, la Science-Fiction moderne a proposé plusieurs dizaines de milliers de mondes étranges. Peut-être peut-on suggérer, principalement à l'intention du néophyte, une nomenclature certes sommaire et incomplète.

On y trouvera d'abord les mondes artificiels qui s'offrent parfois à l'examen parce qu'ils traversent délibérément notre système solaire. L'exemple le plus fameux en est Rama qu'Arthur C. Clarke décrit dans son roman Rendez-vous avec Rama. C'est un cylindre géant, un monde en miniature, une nef interstellaire. Ce cylindre creux tourne sur lui-même pour doter sa surface interne d'une pesanteur artificielle. À l'approche du soleil, il s'anime, ses machines s'éveillent et recréent peut-être les êtres qui l'habitent. Mais il ne révélera pas tous ses secrets aux terriens qui ont réussi à se glisser à son bord comme des rats dans la cale d'un navire. Il leur faudra l'abandonner avant de l'avoir réellement compris, car il les entraînerait bien au-delà du système solaire. C'est un monde artificiel fort différent, mais comparable dans son principe, qu'imagine Algis Budrys dans "la Fin de l'hiver", une des nouvelles de la présente anthologie.

Il y a ensuite les mondes physiquement étranges.

Ils peuvent l'être par leur taille, par leur composition, comme la planète Jupiter dans "Rendez-vous avec Méduse" d'Arthur C. Clarke : le problème est alors non plus de les atteindre, mais de les explorer, de pénétrer dans un milieu fondamentalement hostile. Mais ils peuvent l'être aussi par leur situation exceptionnelle au milieu d'un essaim d'étoiles : imaginez, comme fait Isaac Asimov dans "Quand les ténèbres viendront", une planète qui ne connaisse jamais la nuit parce que plusieurs soleils se succèdent dans son ciel. Dans son gigantesque cycle d'Helliconia, Brian Aldiss décrit un monde dont les saisons, pour des raisons similaires, durent des milliers d'années.

On trouvera en troisième lieu, selon une recette plus classique de la Science-Fiction, des mondes physiquement étranges qui redoublent cette singularité de celle d'êtres différents. Un classique de cette catégorie est représenté par la nouvelle de Stanley Weinbaum, "Odyssée martienne", qui peint une écologie originale sans rien emprunter aux modèles terrestres, insectoïdes, poulpes et dinosaures, exagérément exploités par des auteurs en panne d'imagination. Une variété de ces êtres différents donne dans le gigantisme, comme la Forêt d'A.E. van Vogt dans "Bucolique". L'extension de ces formes de vie peut même englober une planète entière comme dans le conte de Ray Bradbury, "Icy, il doit y avoir des tigres", ou encore comme dans l'admirable roman de Stanisław Lem, Solaris.

Un quatrième type de mondes étranges abrite des sociétés différentes, non humaines ou humanoïdes : ainsi dans plusieurs nouvelles de cette anthologie comme "les Altruistes" d'Idris Seabright ou "Votre amour haploïde" de James Tiptree Jr. Toute l'habileté des auteurs consiste alors à combiner en un tout cohérent un cadre différent et un mode de vie, voire de pensée, inédit.

Les mondes étranges du cinquième type sont enfin des mondes humains où d'autres solutions que les nôtres ont été apportées au problème de la vie collective. Ainsi l'utopie d'"un Billet pour Tranaï" de Robert Sheckley nous ramène-t-elle par un détour ironique au plus vieux rêve de découverte, celui de la société idéale.

En fait, la typologie des mondes étranges est si variée qu'elle recoupe bien d'autres recueils de cette anthologie. Ainsi, du côté des étrangers, les Histoires d'extraterrestres et d'Envahisseurs ; de celui des singularités physiques, les Histoires de la quatrième dimension ; et bien entendu les Histoires de cosmonautes et celles de Voyages dans l'espace.

À coup sûr, tous ces mondes étranges sont autant de miroirs proposés au lecteur. On y trouvera assez peu de science, sauf comme il se doit sous les plumes de Clarke et d'Asimov. Mais on y rencontrera au plus haut degré cette dimension de rêve et de dépaysement que dans la littérature contemporaine la Science-Fiction est presque seule à dispenser. Elle nous oblige à ne plus considérer les étoiles comme des lumières lointaines, ponctuelles et inaccessibles, mais comme les feux séduisants de ports stellaires où nous finirons bien par accoster.