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Gérard Klein : préfaces et postfaces

Anthologie composée par Gérard Klein : Histoires de voyages dans le tempsles Maîtres de la Science-Fiction

Livre de poche nº 7198, avril 1997

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Les histoires de voyages dans le temps font l'objet de nombreux paradoxes avant même d'être racontées. Ce thème est devenu l'un des plus caractéristiques de la Science-Fiction, et pourtant il [Couverture du volume]est d'invention récente, relativement à la plupart des autres : il n'apparaît, semble-t-il, qu'en 1895 avec la Machine à explorer le temps de H.G. Wells, et signe la naissance de la Science-Fiction moderne. Typique du domaine et sans aucun lien avec le fantastique, il est aussi l'un des rares qui semble échapper à toute rationalisation scientifique : et cependant, il n'est rendu possible, ou plus exactement pensable, qu'avec la mesure scientifique du temps et la définition d'unités précises qui remontent au xviiie siècle et découlent des besoins de la navigation lointaine, bref qu'avec le chronomètre ; et tout autant qu'avec la représentation graphique abstraite du temps sous forme de coordonnées cartésiennes où par exemple celui-ci est figuré en abscisse et une autre grandeur en ordonnées, lui conférant fortement un aspect de dimension spatiale le long de laquelle il serait possible d'aller et de venir.

Voyager dans le temps, c'est explorer le passé et l'avenir, l'histoire et même la préhistoire, percer enfin le mystère de la fin des dinosaures et mesurer le nez de Cléopâtre entre autres énigmes, découvrir de quoi demain serait fait et ce que vivront nos descendants plus ou moins lointains et (pourquoi pas ?) assister en spectateur privilégié à la fin de l'univers, puis revenir enfin, plein d'usage et de raison, vivre entre ses contemporains le reste de son âge. Mais c'est aussi, pendant qu'on y est, assurer le triomphe de Napoléon à Waterloo — si l'on est français et bonapartiste — ou confirmer sa défaite — si l'on est du reste de l'Europe et républicain ou royaliste —, empêcher des guerres en risquant d'en provoquer de pires un peu plus tard, et bien entendu remodeler sa propre vie dans la glaise du temps qui coule, au risque de faire quelques nœuds et d'y introduire bien des contradictions par rétroaction. C'est ce qu'on appelle des paradoxes temporels. Depuis Wells qui les avait ignorés, de très nombreux auteurs les ont explorés, dont, pour la France, René Barjavel dans le Voyageur imprudent.

La popularité du thème est évidemment liée au souci qu'inflige le temps à une humanité vouée au vieillissement et à la mort, à l'ignorance du futur et plus encore d'un futur lointain qu'on n'atteindra jamais, et à l'impossibilité d'éprouver l'expérience directe d'époques éloignées dans le passé comme dans l'avenir ; mais elle découle peut-être surtout du déni de l'irréversibilité des causes et des conséquences. Il n'est sans doute pas d'être humain qui, confronté à un accident imprévisible dans sa vie ou dans l'Histoire, ne ressente d'abord un profond sentiment d'incrédulité et ne souhaite ensuite pouvoir revivre la situation pour la rejouer, ce dont, croit-il, il serait libre. Ce profond déni de l'irréversibilité du temps et de l'effondrement des multiples possibilités des avenirs dans la fixité du passé, nourrit toutes les histoires de paradoxes temporels où il devient possible, grâce au voyage dans le temps, de mettre en cause ses origines (l'assassinat du grand-père), de gagner à coup sûr aux courses ou à la Bouse (le journal du lendemain lu dès aujourd'hui), de s'assurer le bonheur en redressant ses erreurs (et en en conservant le souvenir), de rectifier plus ambitieusement le cours de l'Histoire au profit des préoccupations du présent (qui ne sont pas forcément les mêmes pour tout le monde), de se rencontrer soi-même (mais peut-on vraiment compter sur soi ?), voire, comme on le découvrira dans deux histoires de ce recueil, de devenir (et d'avoir toujours été) son propre auteur, par chance ou par erreur. Ce sont des histoires qui font toujours s'entrechoquer la terreur et l'ironie.

La puissance du thème est telle qu'après avoir été longtemps le symbole même de l'aporie irréductible, il est désormais courtisé par de braves physiciens qui s'évertuent à lui donner une assise scientifique. Il est vrai que l'un des plus grands logiciens du xxe siècle, Kurt Gödel, s'employa dans les années 1930, à partir de la théorie de la relativité généralisée d'Albert Einstein, à définir les conditions du voyage dans le temps. Ces nouveaux théoriciens partent, soit eux aussi de la relativité, soit encore de la physique quantique dont certaines interprétations, impossibles à vérifier, supposent l'existence de nombreux mondes divergents où toutes les possibilités de l'univers seraient représentées.

Ainsi, et c'est un dernier paradoxe, le voyage dans le temps qui semblait uniquement dérivé d'un jeu sur les mots et sur les représentations, trouve aujourd'hui une ombre de respectabilité scientifique, même si la machine à explorer le temps n'est sans doute pas pour demain, ni même pour après-demain. Peut-être précisément est-il nécessaire d'en posséder une pour gagner un avenir assez éloigné pour que sa construction devienne possible ?