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Roger Bozzetto : écrits sur la Science-Fiction

La Science-Fiction explore les territoires de la création

l'Animal imaginaire, sa vie, son œuvre

Première publication : Animaux d'artistesFigures de l'art 8, janvier 2005, p. 153-162.

On a déjà vu avec le "sieur Boronali", des ânes peintres, on a aussi fait peindre des tableaux par des chimpanzés et même par des chats, mais le plus souvent les animaux sont des modèles plus que des artistes. C'est encore plus vrai, on s'en doute, en littérature, à l'exception notable d'un chat greffier, présenté par E.T.A. Hoffmann, le chat Murr [1]. Mais en général ce qui semble intéresser la littérature, ce n'est pas la présence décorative ou allégorique des bêtes — comme dans les tableaux. C'est plutôt les divers jeux auxquels se livrent selon les époques et les civilisations, la surnature, la nature, la science, ou en dernier ressort l'imagination des écrivains pour inventer de nouvelles espèces. On peut s'interroger sur les matrices éventuelles et les combinaisons de traits qui règlent ces créations, on peut aussi s'intéresser à la fascination que les animaux exercent sur l'imaginaire littéraire. Qu'elles dérivent du passé ou que ce soient des animaux imaginés dans des textes plus modernes ces combinaisons visent-elles les mêmes objectifs ? En quoi le passage par la figuration imaginaire est-il producteur de sens ? Les progrès de la virtualisation des formes, qui donne pleine liberté de création de formes à l'artiste/informaticien amorcent-ils un changement radical du rapport à l'animal imaginaire [2]  ?

Les animaux dans l'imaginaire ancien

Les religions anciennes ont eu plus que leur part dans ces inventions qui malgré des caractéristiques “monstrueuses” sont plutôt à situer dans la dimension de la merveille.

La civilisation égyptienne a représenté ses dieux sous une forme animale : voir Horus, Anubis, Sekmet et tant d'autres. La religion sumérienne l'avait précédée dans cette pratique avec au moins le dieu Anzou, oiseau tempête, aigle à tête de lion. Il en va de même chez les Aztèques : on se souvient du Serpent à Plumes Quetzalcóatl au Mexique ; des Dragons fils du ciel en Chine ; du dieu éléphant Ganesh en Inde. Les premiers dieux grecs eux-mêmes sont animalisés : pensons à Méduse à la chevelure faite de serpents, à Typhon, à Echidna — la mère de la Sphynge. Certains dieux marins aussi sont composites comme Triton, fils de Poséidon et d'Amphitrite, au torse d'homme, à la queue de poisson et qui calme les flots en soufflant dans sa conque.

N'oublions pas non plus les demi-dieux comme Hercule qui combattent les animaux monstrueux que sont l'Hydre de Lerne, le Chien Cerbère à trois têtes, les oiseaux du lac Stymphale ou le Centaure Nessus qui aura sa peau — si l'on peut dire. Thésée tuera le Minotaure, issu lui aussi d'une descendance divine par taureau interposé, et l'on ne compte pas les humains métamorphosés en animaux, comme Actéon ou Arachné.

Persée, à l'aide de son bouclier recouvert de la tête de Méduse combat

« Une bête monstrueuse qui dresse sa tête sur l'immensité des flots et étale son poitrail sur la vaste étendue de la mer »

Il s'agit de l'animal monstrueux qui a été envoyé là pour dévorer Andromède attachée à un rocher. (Les Métamorphoses IV-690)

Notons aussi que la science, fondée alors sur l'ouï-dire, a pu transformer des animaux en monstres ou en merveilles. On en trouve des exemples dans l'Histoire des animaux de Pline :

« L'Éthiopie produit un grand nombre de lynx, des sphinx qui ont le poil brun et deux mamelles à la poitrine » ; le catoplébas « quiconque a vu ses yeux est frappé de mort » ; le basilic « un serpent dont la tête st marquée d'une tâche blanche ne forme de diadème […] Son haleine seule tue les arbrisseaux, brûle les herbes, rompt les pierres », et son regard tue. [3]

Il semble qu'il s'agit du même phénomène de fabulation à partir d'éléments réels pour la création de la licorne ou des divers dragons.

On peut considérer que la plupart des animaux issus de l'imagination sont construits sur le modèle de la chimère, ou du patchwork [4] . Ovide nous décrit ainsi les sirènes, femmes oiseaux — compagnes de Proserpine enlevée par Hadès — qui gardent « un visage de vierges », « la voix mélodieuse et humaine », « aux pattes et aux ailes d'oiseau » (Les Métamorphoses V. 555). On pourrait aussi retrouver les éléments de base ayant servi à la confection de la licorne, de Mélusine, du vampire, et de Dracula lui-même — dérivé de la chauve-souris.

 Des exceptions toutefois, selon les cultures. Dans les Avesta des déités d'origine indienne, les deaeva bienfaisants, sont transformées en diw, démons d'essence spirituelle mais représentés sous une apparence bestiale : hybrides d'homme et d'animal dont ils possèdent les griffes, les poils et les cornes.

De plus certaines figures originales n'ont pas d'équivalent en Occident comme l'oiseau merveilleux du Simurg que l'on rencontre dans Mantiq-al-Tayr : le Colloque des oiseaux. Il est issu de l'imaginaire iranien pré islamique [5] . Borges en a résumé a résumé l'argument [6] .

Une question se pose : pourquoi les animaux ? Sont-ils porteurs un sens allégorique, symbolique, sont-ils simplement là comme supports de l'imaginaire en son essor de créativité “merveilleuse” ? Est-ce un hommage rendu à la multiplicité infinie des formes du réel, qui excède alors tous les possibles ? Autre question : est-ce la même dimension imaginaire qui est à l'œuvre dans les images des dieux, celles des monstres ou des merveilles et celle des questionnements philosophiques ou spirituels qui y trouvent leur source ? N'y a-t-il pas là un territoire à explorer, et est-ce le même qui est arpenté par la présence des d'animaux dans les textes modernes ?

Les animaux et l'imaginaire moderne

 On peut noter quelques variantes. Voyons d'abord les animaux imaginés mais qui n'ont rien d'extraordinaire : le chien des Baskerville est tout simplement un gros chien que l'on enduit de phosphore afin qu'il apparaisse comme un monstre, dans le cadre d'un complot pour captation d'héritage.

Il y a aussi ceux qui sont tout à fait extraordinaires proches de la “merveille” ancienne le chat du Cheshire, ou le Lapin blanc d'Alice au pays des Merveilles. Ils ont le même degré de vraisemblance et de “merveille” que celui qui convient aux êtres des contes : on ne distingue pas leur statut de celui des êtres humains présents dans ce texte, comme par exemple la Reine rouge.

D'autres animaux, comme les tigres, figurent parfois les compagnons imaginaires, protecteurs de l'enfant comme on le voit chez Stephen King dans "En ce lieu des tigres" ou chez Borges. Ou encore comme le furet, divinisé sous un nom d'apparence indoue, et qui accomplit les vœux de l'enfant en éliminant celle dont il est le souffre-douleur dans "Sredni Vashtar" [7] .

On remarquera que ce sont là des animaux “normaux” dans des situations originales, et dans des textes proches de l'atmosphère merveilleuse : aussi bien le Lapin blanc d'Alice, que le tigre imaginaire ou le furet idolâtré.

Des animaux tout aussi “normaux” en apparence sont utilisés dans des textes produisant des effets d'horreur c'est le cas du porc dans "Le verrat" d'Hodgson [8] . On y perçoit la présence de la “chose” comme entité maléfique. Elle a une face — le groin —, un langage, — les grognements porcins, une essence — la noirceur — et un nom que la victime lui donne : "le Verrat". Cet “animal/chose” envahit non seulement l'espace physique en s'étalant ; il submerge le psychisme et emprisonne, pour le polluer, l'espace onirique, laissant derrière elle « une sensation de souillure psychique ». Dans un contexte social plus actuel et plus dur, on a "la Truie" de Clive Barker. Un animal déifié par les enfants d'un collège anglais, qu'il faut nourrir de chair humaine et qui parle [9] . On notera que ces textes modernes utilisent les animaux pour la création de monstruosités plus que de merveilles. Et qu'on peut y percevoir, par la mise en scène de ces animaux, une manière d'aborder le territoire de l'ignoble.

L'imaginaire de la science-fiction

On pouvait attendre de la science-fiction qu'elle imagine des espèces différentes, selon des critères neufs, et qu'une xénobiologie enrichisse par l'imaginaire notre rencontre avec l'altérité. Or c'est assez discutable au plan des créations — le modèle de l'hybride ou de la chimère est souvent le seul utilisé. De plus la dimension de merveille est ambivalente, et selon les textes laisse place au monstrueux. Peut-être parce qu'à la différence de l'imaginaire ancien, on y décrit l'affrontement de ces alien avec les hommes.

Deux exemples issus d'un ouvrage au titre prometteur la Faune de l'espace[10]

Voici Zorl aux énormes membres de devant avec des griffes acérées comme des lames de rasoir. Il a de puissants tentacules qui partent de ses épaules, et une tête de chat. Il transmet son nom par les poils vibratoires de ses oreilles et se désigne lui-même comme "Zorl" par l'un de ses tentacules incurvés, qui d'ailleurs se terminent en ventouses. Il a la faculté de contrôler l'énergie en dehors de son corps (il agit sur les molécules (??)) et se protège des énergies ennemies par l'équivalent d'un champ de forces. Une sorte de chimère : un montage d'éléments disparates issu de l'animalité, et un seul élément neuf, le champ de forces.

Ixtl, lui vogue entre les étoiles et se nourrit d'énergie. Mais il possède des bras et des jambes. Un bras terminé par huit doigts de fer, qui traversent le métal de la cage. Il possède un torse cylindrique aux reflets écarlates, quasi métalliques. Ses yeux luisent comme des braises. Encore une hybridation, et on peut y ajouter l'aspect métallique, qui le désigne comme un hybride mi animal mi machine.

Dans les deux cas, il s'agit à la fois de montrer une “créature” en apparence invincible, et que l'ingéniosité humaine arrive à détruire. Le projet est idéologiquement teinté de volontariste, ce qui n'a rien d'étonnant vu le contexte de guerre mondiale où ces “animaux” ont été inventés.

 Lorsque les auteurs de science-fiction veulent échapper à une création faite de bribes d'animaux trop manifestement reconnaissables ils ont recours à des techniques de prétérition que l'on trouve habituellement dans les textes fantastiques et que Lovecraft a rendues populaires. C'est le cas d'E. Hamilton au début de "la Planète morte" [11]  :

« […] la chose […]. Je ne saurai la décrire. Elle ne ressemblait à aucune autre forme de vie. C'était une monstruosité qui émettait des sons inarticulés, une masse de chair noire qui changeait de formes — toutes plus hideuses les unes que les autres — avec une rapidité foudroyante tout en coulant vers nous. » (p. 426)

Mais rapidement les analogies reprennent, ainsi que les rapprochements avec des animaux connus et dans le vocabulaire de l'horrible :

« La chose était noire, massive comme une montagne, d'une forme qui bouleversait d'horreur le cerveau. On eût dit un monstrueux crapaud accroupi, à la chair vaseuse et noire, d'où partaient des membres noirs, comme des bâtons, qui n'étaient ni tout à fait des tentacules ni vraiment des bras.

Ses yeux étaient trois fentes disposées en triangle et laissaient passer un feu vert et froid, et qui nous observaient avec une intensité hypnotique. Sous cette face hideuse dépourvue de menton, une poche de respiration s'enflait et se vidait péniblement tandis que la créature dévalait les degrés en bavant, avançant dans notre direction. » (p. 428)

Dans cette description, le premier but visé semble être de provoquer un maximum de répulsion, et une conduite quasiment phobique, chez les personnages humains — et par identification, chez le lecteur. Mais d'autre part, cet affrontement est porteur de sens. L'affrontement à l'ignoble vise à une dimension cathartique. Cependant la question de “l'animal monstre” peut induire à d'autres perspectives :

Sans aller sur d'autres planètes, on peut rencontrer sur Terre des animaux extraordinaires. C'est ce que fait le narrateur, Elstead, qui conte sa plongée dans une fosse marine et rencontre un être qui pose question. Le narrateur voit :

« […] un étrange animal vertébré. Sa tête d'un pourpre sombre rappelait vaguement celle d'un caméléon, mais le front était si élevé et la boite crânienne si développée qu'aucun reptile n'en possédait encore de semblables. […] Deux yeux larges et saillants se projetaient des orbites à la façon d'un caméléon et sous ses petites narines s'ouvrait une bouche reptilienne aux lèvres cornées. À l'endroit des oreilles étaient deux énormes ouïes hors desquelles flottaient des filaments […]

[…] Elle était bipède ; son corps, presque sphérique, était en équilibre sur une sorte de trépied composé de deux jambes comme celles des grenouilles et d'une longue queue épaisse, […]

[…] il ouvrit la bouche et articula à la façon humaine […] il vit […] d'autres formes […] quasi humaines se hâter vers lui. » [12] .

Est-ce une nouvelle race animale ou humaine ? Qui est le monstre pour chacun des deux personnages ? Qu'est-ce qu'un être humain ?

La question de savoir qui est qui, monstre, homme ou animal est aussi traitée avec humour par Robert Sheckley dans "les Monstres" où le débarquement des terriens est conté par des extraterrestres qui les décrivent ainsi [13] :

« La Chose monstrueuse qui se hissait hors de son trou avait l'équivalent de deux queues jumelles. Le haut de son corps présentait une grotesque excroissance faite mi-partie de métal et mi-partie de peau. […]

La Chose avait la couleur blême de la chair écorchée.

Les villageois avaient reculé, attendant les réactions du monstre. Celui-ci d'abord n'en eut aucune. Il se contentait de se tenir stupidement sur la surface métallique, et ce renflement bulbeux qui surmontait sa personne se mouvait de part et d'autre. Mais aucun mouvement du corps n'accompagnait le geste pour lui donner une signification. Finalement, l'être éleva ses deux tentacules et fit des bruits. » (p. 121)

La rencontre entre les sortes de dinosaures (les villageois) qui jouent le rôle de narrateurs, et les “monstres” — reconnaissables par le lecteur comme des terriens — se déroule sous le signe d'une ironique ambiguïté.  

Dans un texte récent [14] , on trouvera deux tentatives originales. La première est un essai pour rendre compte de l'altérité par le biais de points de vue. Une sculptrice, Lin, qui est une extraterrestre Khepri (?) — aux yeux semblables à ceux des mouches — regarde un modèle afin de le saisir et de le sculpter elle voit :

« Des fragments de peau, de fourrure et de plume se balançaient au fil de ses mouvements ; des membres minuscules se contractaient ; des yeux s'écarquillaient dans des cavités obscures ; des bois et des protubérances osseuses saillaient de façon précaire ; des tentacules tressautaient et des bouches luisaient. Les enchevêtrements de peau chamarrée entraient en collision. Un sabot fourchu frappait doucement le plancher. Les vagues de chair déferlaient les unes sur les autres en des courants violents. Les muscles, rattachés par des tendons étrangers à des os tout aussi étrangers, travaillaient de consert en une trêve malaisée, produisant un mouvement serré, tout en tension. Des écailles luisaient. Des ailerons tremblotaient. Des ailes s'affolaient, comme brisées. Des pinces d'insecte s'ouvraient et se refermaient. […] »

La description est interrompue par la question du modèle :

« — Alors quel est mon meilleur profil selon vous ? » (p. 64)

Outre cette scène de pose du modèle incongru, l'ouvrage nous fait assister à une scène amoureuse entre Lin, la femme insecte, et un être humain.

« Elle se retourna dans ses bras. Elle se redressa sur un coude, et, sous les yeux d'Isaac, le rubis sombre de sa chitine s'ouvrit lentement tandis que s'écartaient ses appendices céphaliques. Les deux moitiés de sa tête-carapace aussi écartés qu'il était possible, frémissaient de façon manifeste. Sous l'ombre qu'elles projetaient, elle déploya ses belles ailes inutiles de scarabée.

Vers lesquelles, entièrement vulnérable, elle attira avec douceur les mains d'Isaac, en une invitation à caresser ses fragiles appendices, manifestation d'une confiance et d'amour sans pareille chez les Khépri.

[…]

Il souligna de ses doigts l'arborescence des veines des ailes de Lin. La lumière qui les traversait se réfractait en ombres nacrées au fil de leurs douces vibrations.

Il lui remonta la jupe de son autre main […] » (p. 29)

On retrouve là, en moins discret, ce qu'auraient pu être, par exemple, les amours de Jupiter et Léda. En ceci, la science-fiction offre — rarement — des rencontres avec l'animal qui ressortissent, comme dans l'imaginaire ancien, de l'ordre de la merveille.

Quelle est la raison de cette fascination éprouvée par toutes les civilisations pour l'animal, et qui débute peut-être avant même l'Épopée de Gilgamesh — où l'on rencontre entre autres l'homme scorpion, le dragon, l'hydre aux six gueules — et qui persiste dans nos imaginaires concernant le futur ?

Doit-on voir dans ces chimères anciennes la simple adjonction de forces ailleurs disjointes : Anzou par exemple ajoute à l'œil et au vol de l'aigle la force du lion ? Les trois têtes du molosse Cerbère comme triplement mortelles ? Mais alors pourquoi le dragon ? Ou les sirènes ? Est-ce un essai pour figurer l'indépassable en terme de force, de cruauté, de beauté ou de chant ?

Les animaux de l'imaginaire moderne ne renvoient pas toujours à la représentation de la puissance. Ils interrogent les croyances et leur pouvoir chez Saki et peut-être aussi chez Lewis Carroll. Ils interrogent aussi par une exploration des limites, ce qui concerne les paramètres qui définissent l'être humain, comme on le voit dans "les Monstres" ou "Dans l'abîme". Ils permettent de tester les limites de la symbolisation devant le réel impensé comme on le voit par l'œil de Lin, la sculptrice devant son modèle. Ou encore, dans cette scène d'amour extraterrestre. Pourrait-on y retrouver des signifiants originaux pour nourrir ou inventer d'éventuels fantasmes érotiques ?

Il semblerait en tout état de cause que cette fascination pour l'animalité, qui persiste et se déploie dans l'imaginaire depuis la nuit des temps soit d'abord un moyen de nous faire souvenir du mystère de notre fascinante origine animale. Cela signifie-t-il qu'un “désir de divin” (de "numineux" [15] ) — qui prendrait une forme symbolique dans ces figures premières de dieux thériomorphes — persiste sous diverses formes, religieuses ou non ? Est-ce parce qu'elle comporte du tremendum et du fascinans, qu'Otto imagine liés à une dimension spirituelle ?

On soutiendra au contraire que les textes modernes, où sont mises en scène ces créations animales ou hybrides, excluent toute référence à la Surnature. Ils se fondent sur la prise de conscience (dans l'ordre du jouir ou de l'horreur) de notre animalité première. Quoi qu'en dise Pascal, qui veut faire l'ange — et accéder ainsi à l'extase — doit pour cela assumer sa dimension abyssale de bête.

Résumé

La figure de l'animal joue un rôle essentiel dans les imaginaires anciens : dieu ou démon, monstre ou merveille, il domine l'homme, comme une part divine et, corrélativement, une part animale de son être. Les cultures ne savent que glorifier ou maudire cette part-là. Elle est si présente, avec son lot d'ambivalences, que le passage d'un statut ou d'un stade à l'autre s'accomplit par le biais de métamorphoses, renvoyées au divin d'abord, imaginaires ensuite et artistiques enfin. Dans les textes plus récents la dimension de merveille tend à s'effacer. La part proprement animale, débarrassée des illusions du divin tend à être aujourd'hui revendiquée. Elle apparaît parfois comme une dimension jubilatoire ou horrible de l'humain. Elle sert aussi pour explorer de façon positive la dimension éventuelle d'une altérité.

Notes

[1]  E. T. A. Hoffmann, le Chat Murr (1820), "l'Imaginaire", Gallimard 1998.

[2]  Pour une première approche de ces thèmes littéraires on se reportera à "l'Animal fabuleux" in la revue Corps écrit Nº 6 ; PUF ; 1983.

Et pour leur présence dans l'art voir Ariane et Christian Delacampagne Animaux étranges et fabuleux. Citadelles et Mazenod. 2003.

[3]  Pline Histoire des animaux LVIII "Des animaux terrestres" (XXX.21 à XXX.)

[4]  On pourrait distinguer les “monstres” qui sont des résultats de déformations génétiques des “chimères” qui sont des recompositions imaginaires. Ajoutons-y les chimères modernes issues des manipulations génétiques, à but d'abord expérimental, puis pratique avant de devenir sans doute prochainement une forme d'art possible.

[5]  Salman Rushdie utilisera au moins le nom du simurg, de manière anagrammatique dans son premier roman Grimus

[6]  Attar la Conférence des oiseaux, Seuil. 2003

Jorge Luis Borges in "Deux notes à propos de “l'Approche d'Almotasim”" in Histoire de l'éternité Œuvres Complètes Tome I Pléïade Gallimard 1993 p. 441

« Le roi légendaire des oiseaux, le Simurg laisse tomber au centre de la Chine une plume splendide : les oiseaux décident de la chercher pour en finir avec leur ancienne anarchie. Ils savent que son alcazar se trouve sur le Kaf, la montagne circulaire qui entoure la Terre. Ils se lancent dans cette aventure quasi infinie : ils dépassent sept vallées ou sept mers, l'avant-dernière a nom Vertige, la dernière Anéantissement. Beaucoup de pèlerins désertent, d'autres périssent. Trente seulement, purifiés par leurs travaux, mettent le pied sur la montagne du simurg. Ils lèvent enfin les yeux et ont la révélation qu'ils sont eux-mêmes le simurg et que le simurg est chacun d'eux et tous ».

[7]  Stephen King "En ce lieu des tigres" in Brume Paranoïa. (Skeleton Crew) J'ai Lu 1994

Saki "Sredni Vashtar" in la Grande anthologie du fantastique. Tome II ; Omnibus. 1997

[8]  Hodgson W. Hope, "le Verrat" in Carnaki et les fantômes Le Masque fantastique. Librairie des Champs Élysée.1979.

[9]  Clive Barker "la Truie" in le Livre de sang. J'ai Lu. 1987

[10]  A.E. Van Vogt la Faune de l'espace (The Space Beagle. 1939-1950) J'ai Lu ; 1971.

[11]  Edmond Hamilton "la Planète morte" (The dead Planet) in Histoires de planètes. Livre de Poche. 1975

[12]  H.G. Wells ; "Dans l'abîme" (the Abyss. 1916) in les Pirates de la mer et autres nouvelles. Tallandier 1978

[13]  Robert Sheckley "les Monstres" (Monsters. 1953) in Histoires de planètes. op. cit.

[14]  China Miéville Perdido Street Station tome I Fleuve Noir. 2003

[15]  Rudolf Otto le Sacré. Payot. 1969

Les références bibliographiques sont sous la seule responsabilité de Roger Bozzetto ; celles qui ont été vérifiées par Quarante-Deux sont repérées par un astérisque.