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Roger Bozzetto : écrits sur la Science-Fiction

Notes pour un bilan portant sur la Science-Fiction et sa critique

La littérature de Science-Fiction : recherche critique désespérément

Première publication : les Univers de la Science-Fiction, supplément à Galaxies 8, mars 1998, p. 203-222

Avant d'amorcer une analyse, et compte tenu de la confusion qui règne dans le domaine de la critique concernant la SF — confusion de vocabulaire ou confusionnisme intellectuel —, il convient de mettre les choses à plat. Quitte à paraîtr e enfoncer des portes qui se révéleront ouvertes. Pour cela il est nécessaire de présenter de façon claire, c'est-à-dire “falsifiable” selon Popper, un ensemble de paramètres qui renvoie de la façon la plus solide possible à cette vaste accumulation de textes, qui se présentent comme relevant de la science-fiction pour des auteurs, des lecteurs et des critiques.

Nous ne pensons pas qu'il puisse exister une définition générale, définitive, et stipulative de la science-fiction, pas plus qu'il n'en existe une du roman en particulier, ou de la littérature en général. Donc quand nous parlerons de science-fiction ce sera d'abord en restant dans des frontières que nous tenterons de préciser. Par là même nous tenterons de spécifier l'idéal d'une approche critique spécifique de la SF. Mais auparavant il convient de situer la SF dans la place qui est la sienne dans le champ de la littérature.

La SF fait bien partie de "la littérature de fiction"

Le monde de la littérature a d'abord été l'univers de l'imaginaire, en ce sens que les premiers matériaux de ce qui sera exploité par la SF, à savoir les mythes, relèvent des textes écrits [1], cette référence à l'écrit constitue la première approche de l'univers de la littérature [2]. La plus grande partie de la production de SF actuelle relève encore de l'écrit. Le cinéma, la télévision, la bande dessinée — puis la musique — s'en inspirent, y puisent des images, des scénarios, ou des sons, mais l'origine et le lieu de la SF c'est bien l'espace littéraire.

Cependant tout ce qui relève du domaine de l'écrit, et de la “manipulation des mots” est il pour autant “littéraire” ?

La question se pose pour ce qui regarde les fictions. Une approche sociologique récente, aborde cette question [3]. Elle le fait en interrogeant la notion clé de “littérarité” [4].

Lafarge montre que

« l'étude de la littérature en tant qu'objet (les fictions) ne saurait en effet prétendre au statut scientifique, aussi longtemps que sa réalité même ne sera pas établie, ou autrement dit, que l'objectivité de ce savoir restera sujette à caution. »

En d'autres termes, l'on ne sait jamais a priori, devant un texte de fiction, s'il est ou non littéraire (p. 10). Il paraît donc impossible de

« construire une théorie de la littérature sur une propriété objective permanente et structurante de l'objet en tant que tel, puisqu'en effet on n'en connaît pas. » (p. 11).

Le discriminant serait il le style ? Il est présenté comme une propriété objective du discours littéraire, mais s'il est « manifeste dans les faits, son statut est théoriquement obscur ». (p. 12).

Quel serait donc le critère de différenciation ? Serait-ce donc la “valeur littéraire” ? On prétend que c'est ce qui détermine le corpus des œuvres reconnues comme littéraires par une institution. Lafarge montre que cette “valeur” n'intervient qu'a posteriori pour fonder l'illusion de l'unité du corpus sur la notion de “littérarité” (p. 14). Celle ci — dont on a vu le peu de contenu — justifie

« à la fois la production le commentaire et la consommation des récits littéraires ». (p. 27). Or « La valeur… n'est pas le produit de la nature du récit, de ce qu'il dit ou de la manière dont il le dit » (p. 29).

Ainsi toute utilisation de la “littérarité” se limite-t-elle à un jeu sur le classement d'un récit ou d'un groupe de récits au nombre de ceux qui prétendent au respect. Cette analyse se voit confirmée par l'exclusion ou l'inclusion dans “la littérature” de certains textes, sans que pour autant la définition de la “littérarité” ait avancé d'un pas [5].

À la question initiale qui portait sur la différenciation du littéraire et du non littéraire, la réponse de Lafarge est :

« il n'y a pas de délimitation juridique possible du corpus puisque la valeur littéraire n'est pas une propriété des objets, mais une sacralisation sociale » (p. 38).

À suivre Lafarge et les sociologues de la littérature, les théories sur la littérarité ne sont là que pour justifier une pratique qui entérine elle-même un choix et construit une tradition. Dans un second temps elles s'appuient sur cette tradition érigée en norme pour inclure/ exclure un certain nombre de textes, d'auteurs ou de genres. À l'intérieur du champ valorisant ainsi constitué, elles permettent permet de classer tel texte ou tel auteur dans tel genre, imposant par là même une hiérarchie des textes et des genres, qui ne repose sur aucune base sérieuse [6].

En outre, les temps changent, et comme le signale Régine Robin :

« Il n'y a plus une littérature. Il y a désormais des objets particuliers qui ont chacun leur manière de s'inscrire dans le littéraire, de produire du littéraire ou de penser le littéraire » (p. 47).

Elle rejoint sur ce point Jean Molino [7].

En d'autres termes, la SF étant une composante à part entière de l'ensemble littéraire, elle ne doit pas être valorisée ou dévalorisée en tant que telle, mais jugée sur la qualité, chaque fois singulière, des textes qu'elle donne à lire [8]. Sur ce point, elle doit être traitée sur le même plan que toutes les autres productions de fiction narrative.

La SF relève de la fiction narrative

Selon la formule d'Aristote, ce type de fiction « représente des hommes en action ». Lire une fiction de ce type c'est donc entrer, selon les directives d'ordre scénographiques, dans un quasi-monde, analogue au nôtre, pour lequel nous complétons, grâce à notre savoir, les indications lacunaires du narrateur [9]. La SF relève donc de la fiction narrative, ses textes y côtoient ceux d'Alexandre Dumas, de Marcel Proust, de Bram Stoker ou d'Hemingway.

Par contre, un programme politique — comme Le manifeste du Parti communiste — ou des textes à dominante descriptive et didactique comme L'Utopie ou La cité du soleil ne relèvent pas explicitement de la fiction narrative. Soit ils ne relèvent pas de la fiction (le programme politique, qui vise une action dans la réalité) soit ils relèvent de la fiction discursive, ou fiction didactique, comme l'Utopie, ou la Cité du Soleil.

Certes les fictions narratives peuvent mettre en scène des descriptions et des discours : que ce soit dans les romans historiques, les romans de mœurs ou ceux de SF, les exemples ne manquent pas. Pensons aux descriptions balzaciennes, à celles de Hugo dans Les Misérables, ou aux descriptions explicatives dans les textes de Jules Verne. Si l'on se reporte à Wells dans La machine à explorer le temps, on y trouvera une démonstration de la possibilité d'un voyage temporel [10]. Les textes de SF peuvent donc être appuyés sur des éléments discursifs ou didactiques que l'on rencontre dans les textes utopiques ou dystopiques [11]. Mais ils doivent intégrer ces plages informatives dans le cadre d'une narration comme on le voit de manière plus moderne que chez Wells, avec Les monades Urbaines, ou Les dépossédés.

À l'intérieur de ce type de fiction narrative, les textes que l'on dit appartenir à la SF, ou en être les précurseurs, présentent un certain nombre de traits communs, sans qu'il soit nécessairement question de “genre”.

La SF n'est pas un “genre” mais un “état d'esprit” qui donne lieu à des textes proposant une perspective singulière sur la réalité

La notion même de “genre”, en littérature, pose plus de problèmes qu'elle n'en résout [12]. Ce que l'on peut avancer, c'est que les textes que l'on dit relever de la SF présentent entre eux des “ressemblances familiales” pour emprunter le vocable de Wittgenstein. Ces ressemblances sont d'ailleurs plus évidentes quand les textes proviennent de la même période, mais on peut aussi trouver des traits récurrents, en nombre moindre, si l'on tente des coupes diachroniques. Cela ne signifie en rien que la SF — dont le nom est très récent — constitue un “genre”. Pourquoi ?

Rien ne dit que les premiers créateurs de textes que l'on assimile à la SF comme des précurseurs aient eu l'idée qu'ils écrivaient dans le cadre d'un genre distinct ou d'une activité littéraire séparée. Lucien de Samosate écrit son Histoire Vraie de la même plume satirique et ludique que Philosophes à Vendre. Cyrano de Bergerac veut illustrer des thèses philosophiques, mais il écrit Voyage dans la Lune dans le même style que ses Lettres. Restif de la Bretonne dans La découverte australe par un homme volant traite des mêmes thèmes que dans ses autres romans, Swift aussi. Poe écrit Hans Pfall de la même plume que Le double assassinat de la rue Morgue ou Ligeia. Maupassant écrit Toine, le Horla et l'Homme de Mars sans créer entre ces textes de hiérarchie, ou de séparations : ils figurent dans les mêmes recueils. Il en va de même pour Rosny, ou pour Wells. Et Jules Verne prétendait utiliser la science, et non, comme il le reprochait à Wells, l'inventer.

Ce n'est qu'avec la segmentation du marché de l'édition, la création de revues spécialisées que ce qu'après Gernsback va s'auto-proclamer "science-fiction" et va vouloir être définie comme un genre à part — et par là même se couper de l'ensemble du domaine littéraire [13].

Il ne faut donc pas confondre, car c'est une source infinie de malentendus, les “réalités littéraires” et les “réalités éditoriales”, même si elles se superposent parfois.

Cependant, à partir du postulat discutable, que la SF constituait un “genre” à part, et selon un processus que Borges analyse dans Les précurseurs de Kafka [14], une partie des critiques et des auteurs des années 1950 tentera de découvrir une homogénéité au champ couvert par ces textes, depuis l'origine de la littérature.

Ils rassembleront sous un même sigle (SF) et la même dénomination "science-fiction", ce qui avait d'abord été perçu comme : "conte philosophique" (Voltaire), "roman d'hypothèse", "voyages extraordinaires" (Verne) "merveilleux scientifique" (Renard) "scientific romances" (Wells) "Fiction interplanétaire" (Lovecraft), "roman extraordinaire" (Barjavel) ou "conjecture rationnelle" (Versins).

Cette volonté de rassemblement et d'homogénéisation, comme ce désir de légitimation par le recours à des auteurs anciens, est en soi remarquable. Mais cela a engendré, comme effet pervers, une ignorance condescendante non seulement du reste de la littérature, mais aussi de la critique littéraire. En particulier, ces “explorateurs” ont passé leur temps à vainement chercher la clé magique, la formule qui pourrait rendre compte dans le cadre d'une simple définition, de toutes les formes qu'a prise au cours des siècles, et même dans les périodes récentes, la littérature de SF. Nous n'en sommes plus là, nous pouvons aujourd'hui analyser de façon plus objective les caractéristiques de ces textes dans leurs contextes, et nous intéresser à leurs qualités intrinsèques à la fois d'un point de vue synchronique et diachronique.

Je propose cinq éléments de réflexion à titre d'hypothèse. Le dernier suscitera sans doute quelques controverses, dont l'impression que je tente de réinventer la roue.

1 — Les textes de SF proposent plus de possibilités fictionnelles que d'autres types de textes relevant de la fiction narrative

Si l'on en croit le critique Guy Bouchard, la SF engendrerait la possibilité de plus de quarante mille univers originaux, ce qui surpasserait, et de loin, la productivité des autres “genres” [15] Au point qu'on pourrait considérer, d'un point de vue mathématique, que le mainstream [16] lui même ne serait qu'un cas particulier de la SF, celui où les variations spéculatives sont nulles : le zero world où nous vivons.

Sans négliger ces calculs (ma)thématiques, j'aborderai le problème sous un autre angle, parce que le problème ne relève pas simplement du quantitatif, il renvoie à une qualité particulière de rapport au monde qu'instaure la SF et qui constitue son originalité.

Dans son ouvrage [17] Bruce Franklin distingue trois aspects de la fiction narrative : l'un tourné vers le passé, qui renvoie à la fiction historique de type Alexandre Dumas, l'autre qui s'ouvre sur le présent — le roman de mœurs classique d'un Flaubert ou d'un Dos Passos ; et la dimension du futur, qui est explorée par la SF.

Je me permets de m'inscrire en faux contre l'évidence de cette tripartition. Je n'y accepterai sans réserve que ceci : la SF s'intéresse effectivement à la dimension du futur, elle est la seule à le faire, mais elle ne s'y cantonne pas. Comme le signale Spinrad :

« La SF, qui peut envisager tous les espaces, tous les temps, et tous les tons, occupe tout le spectre des possibles » (p. 35) [18].

En effet ce qui la distingue ce n'est pas le domaine, temporel ou spatial, dans lequel elle situe ses intrigues, c'est l'esprit dans lequel elle le fait.

La SF peut s'intéresser au passé, tout comme le roman historique. Mais elle le fait dans le cadre de l'uchronie (Que se serait-il passé si l'invincible Armada avait gagné la bataille d'Angleterre : Pavane ; ou si Hitler s'était contenté d'écrire : Rêve de Fer ; ou si le Sud l'avait emporté dans la guerre de Sécession : Autant en emporte le temps, etc.)

Elle peut s'y attacher dans le cadre d'une pure spéculation fondée sur des prémisses qu'elle posera. Par exemple l'envoi d'un voyageur temporel pour différentes missions comme dans Voici l'Homme de Moorcock, De peur que les ténèbres, Sprague de Camp, ou encore Bradbury, Un bruit de tonnerre.

Elle peut tout aussi bien inventer des aventures dans un monde an historique celui des Atlantes ou de Mu, ou préhistorique comme le fait Rosny aîné avec "Les Xipehuz".

Mais elle peut s'intéresser au présent selon les mêmes types de critères : dans le présent peuvent surgir des restes du passé : Jurassic Park ou bien La nuit des temps Dans ce même présent, l'ailleurs aussi peut surgir, comme on le voit avec : Rencontre de troisième type. Le futur aussi peut nous contacter pour diverses raisons comme on le voit avec "La saison des vendanges". Dans tous les cas envisagés les exemples abonderaient. Cet “esprit” de la SF se traduit par une attitude qui peut être qualifiée de “spéculative” devant les multiples aspects de la réalité, et qui peut être rapprochée de ce qu'en peinture on nomme une anamorphose.

2 — La SF peut embrasser l'ensemble des strates temporelles et spatiales parce que sa visée est spéculative

En effet, la SF ne prétend pas peindre des réalités existantes ou ayant existé — en ce sens, bien que relevant de la littérature mimétique, elle n'est pas explicitement référentielle. Elle vise des possibles, mais elle le fait en se servant des outils et des caractéristiques de la littérature mimétique : les mondes qu'elle peint doivent être consistants et entrer dans la cadre d'une représentation, se donner à voir [19].

La SF propose de façon plus ou moins explicite selon les époques, une visée spéculative du type : que se passerait il si ? Et comment se comporteraient des personnages d'un récit dans un univers dérivé de ce "si", ce qui lui donne une dimension spectaculaire ?

La formulation du cadre de la question du "si" ainsi que de sa résolution a constitué longtemps l'axe principal du récit, puis les perspectives ont évolué.

Dans La machine à explorer le temps se pose et s'illustre la question de la faisabilité de cette exploration, lui apporte une réponse d'abord discursive en termes de démonstration métaphorique et enfin suit un héros qui en exploite les virtualités en termes d'aventures et de descriptions. On se souvient comment la démonstration s'articule à une analogie développée entre le voyage spatial et le voyage temporel, appuyée sur la galerie des portraits. Le lien entre le voyage spatial et le temporel passe par une image dérivée du connu, la “bicyclettoïde”. Les aventures du voyageur temporel ont pour effet d'illustrer une vision de ce monde lointain, et de le situer par rapport au présent., à la fois comme spectacle et comme interrogation.

On peut, de la même manière, se référer au chapitre premier de La guerre des mondes, où la plausibilité du récit de l'invasion est appuyée sur des allusions aux connaissances astronomiques et socio-biologiques de l'époque. La formule critique de Darko Suvin, qui définit "la SF" comme cognitive estrangement [20], et que l'on peut traduire par "distanciation à but cognitif" rend à peu près compte de la singularité des textes de cette époque de la SF, mais oublie l'aspect de mise en spectacle qui découle de ces “distanciations”.

Une fois la “démonstration” faite, c'est-à-dire l'arrière fond posé, d'autres textes ne s'y référeront plus que par allusions, puis finiront par considérer qu'il s'agit d'un “allant de soi”, et ils exploreront alors, des variantes de ce qui sera devenu un thème et une série de figures : celles du voyage temporel, ou de l'invasion des E.T.

On imaginera alors des effets de ces voyages temporels, avec les paradoxes qu'ils impliquent et les spectacles qu'ils proposent. Ou encore on envisagera d'autres invasions, d'autres colonisations, d'autres types de résistance des terriens ou des futurs martiens colonisés, comme on le voit dans Les Chroniques martiennes La question première, qui requerrait “démonstration” métaphorique posait une dimension spéculative. Par la suite celle ci étant acquise, cela signifie simplement qu'un arrière monde est posé, un monde dans lequel les personnages vivent des aventures, en rapport avec l'originalité de cet univers créé, et dans la lumière (lointaine parfois) de la question première.

Le premier qui a inventé la notion d'hyper espace était un poète, par les images latentes que cela impliquait, la légion des épigones qui s'y sont engouffrés pour y pondre des space operas, non.

3 — Visée spéculative et anamorphose

On pourrait poser que le point de vue spéculatif ressemble à l'anamorphose en peinture ou en sculpture [21]. Comme l'anamorphose, la visée spéculative déforme artistiquement l'image de réalité connue, sans aller jusqu'à la rendre incompréhensible. Elle crée ainsi les conditions d'une perspective éminemment singulière, mais en référence au monde de départ, et du savoir qui est le nôtre concernant les réalités de tout ordre. Le paradigme de la réalité de base (le zero world) n'est pas absent, mais il est utilisé dans une perspective qui le fait voir sous des angles autres. L'anamorphose permet une subversion des codes gnomiques, et des idées et des représentations de la réalité qui “vont de soi”. La visée de la SF aussi.

En ceci cette visée spéculative se distingue des créations d'un l'imaginaire délirant, tel qu'on le trouve dans l'Histoire Vraie de Lucien, explicitement ludique, ou encore de l'Écume des jours de Boris Vian — dont la préface se donne à lire comme le manifeste d'un pur jeu du type : « Cette histoire est vraie puisque je l'ai inventée ».

Le monde recréé par cette voie anamorphosique et qui caractérise la visée de la SF est évidemment une représentation, qui possède une consistance mimétique claire, fondée sur la présence d'indices et d'accréditants visuels et intellectuels qui se réfèrent explicitement ou non à un état du savoir. On peut repérer comment fonctionnent les “effets de réalité” créés par l'exploitation de ces possibles virtuels en comparant le texte de Lucien, purement ludique, à ceux de Wells.

Lucien, après nous avoir assurés dans son prologue qu'il allait conter des mensonges, nous entraîne dans un voyage imaginaire à travers les océans et nous fait rencontrer, comme chez Homère, des monstres et des merveilles, sans la moindre justification que celle du plaisir de conter [22]. Aussi peut-il nous emmener sur la Lune en coup de vent ou nous faire visiter, sans autre forme de procès et à toute vitesse, l'île baleine, l'île des morts ou les enfers. C'est très proche de la démarche d'un dessin animé de Tex Avery.

Wells, dans La guerre des Mondes, s'il nous entraîne aussi sur Mars, et nous en décrit les habitants, le fait non plus en fonction d'un imaginaire purement ludique, mais en vertu de ce que l'on peut savoir et imaginer à son époque des conditions de vie sur Mars, pour en extrapoler des caractéristiques de ses habitants — en forme de vampires, et techniquement plus avancés que nous. On est donc passé, de Lucien à Wells d'une imagination purement ludique à une imagination spéculative qui fait dériver ses représentations depuis le monde connu et un savoir historiquement situé. Les formes imaginées ne relèvent plus alors de l'inventivité pure, elles s'appuient sur un savoir extérieur en général neuf, pour donner sens à un arrière fond sur lequel le texte laisse se déployer des intrigues. Celles ci exploitent — dans le meilleur des cas — les possibilités induites par ces nouvelles possibilités spectaculaires, sans oublier les effets — recherchés ou non — d'intertextualité. Il en va ainsi des Chroniques martiennes par rapport à Wells, ou de L'Envol de Mars par rapport au texte de Bradbury.

4 — La SF propose un cas particulier d'inventivité littéraire au plan des images

La SF a exploité et renouvelé des thèmes, créé des variantes, recyclé des mythes, transposé des situations de voyage depuis l'espace vers le temps, interprété en termes technologiques certains miracles, donné à lire dans une perspective rationalisante des figures comme le diable ou les dieux.

Elle a un peu contribué à modifier le monde réel où elle trouve ses lecteurs et les autres, dans la mesure où elle sait marier, avec l'imaginaire, les prémices virtuelles d'actualités futures. On l'a vu dans les années 50 avec la conquête de l'espace proche (Lune, Mars, Spoutnicks, fusées etc.) à laquelle elle a donné une consistance avant même qu'elle ait eu lieu. Elle a aussi donné à imaginer la présence des ordinateurs dans notre vie. Elle l'a fait selon des images totalement délirantes et qui se sont parfois révélées fausses : pensons à cet ordinateur central et unique pour toute la planète, sorte de Big Father gentil et dépassé que met en scène Asimov dans Toute la misère du monde.

Mais si le message, ou même l'image, a été erroné, le “massage” a bien fonctionné [23]. On peut, de la même façon considérer que l'ensemble de la SF, quelle que soit par ailleurs la qualité des textes qu'elle propose, fonctionne comme un “massage” qui vise à une adaptation des lecteurs au monde en mouvement. Comment ?

La SF utilise, pour composer les arrières mondes imaginables sur lesquels elle laisse se déployer ses récits, nombre de néologismes. Certains ont survécu hors du champ de la SF, et ont pris pied dans la réalité, comme le terme "astronautique" créé par Rosny aîné, ou "robot" créé par Čapek. Actuellement "cyberpunk", a généré une série de dérivés en relation avec la racine "cyber" venue de "cybernétique" et qui a été popularisé par le roman de William Gibson, Neuromancien et le développement du multimédia ainsi que du réseau Internet [24]. D'autres ne sont demeurés valides qu'à l'intérieur de dans l'univers des lecteurs de SF, comme "conapt" ou "précog" pour les lecteurs de Philip K. Dick.

Par ailleurs, la SF a rendu familières à tout un chacun des notions, et des images, comme celles de voyages dans le temps, de paradoxes temporels, de quatrième dimension, ou d'hyper espace entre autres.

En fait, le bon texte de SF profite du moment où se balbutie une éventuelle avancée épistémologique, scientifique, ou technique pour frayer un espace vierge à l'imagination et l'exploiter de façon romanesque. Il tente d'y concrétiser, en spectacles, des hypothèses à la limite du crédible, en relation avec des bribes de savoir — scientifique et littéraire — de ses lecteurs potentiels.

La SF invente ainsi un imaginaire spécifique, résultat d'une curieuse alchimie, et qui traduit sur le plan poétique du “donner à voir”, les stimulations fantasmatiques des possibilités réelles ou virtuelles issues de la technique et de la science en mouvement.

Elle est donc en ceci un lieu d'engendrement d'images qui vont ensuite transhumer. Cela aboutira ailleurs à des effets spéciaux au cinéma, à des thèmes de musique électronique ou à des trucages de discours publicitaire.

C'est en quelque sorte un merveilleux gisement d'images à base d'inventions sémantiques, sur fond d'onirisme et de simulations. Il se renouvelle sans cesse puisque, comme l'humour, la SF est d'abord un état d'esprit, et on y puise sans vergogne.

5 — La SF et l'invention littéraire

La SF se situe dans l'univers du représentable, elle donc tributaire d'un certain code du vraisemblable. Ce code évolue, prenant des formes différentes selon les époques ainsi que les limites qu'elles confèrent à la création imaginaire, à sa capacité de transformations d'idées en spectacle. Limites plus ou moins liées à des contraintes religieuses et/ou scientifiques. Les récits de SF articulent, dans le cadre d'intrigues bien agencées, les images dérivées d'une fantasmatique personnelle à celles d'un imaginaire spécifique [25].

Pour ce faire, les auteurs de SF ont toujours utilisé les procédés romanesques en usage à leur époque sans tenter d'en inventer de spécifiques. En effet la SF n'a rien innové au plan narratif — pas plus d'ailleurs que le roman historique, le western ou le roman d'horreur [26].

Jules Verne use des procédés du roman réaliste et naturaliste, comme son contemporain Zola.

H G Wells se situe dans la tradition anglo-saxonne de la romance [27], compte tenu des thèmes qu'il aborde. Mais il n'est que de se reporter à La Guerre des mondes pour percevoir tous les “effets de réel” engendrés par le côté “correspondant de guerre” du narrateur à la première personne présent dès le second chapitre.

Rosny se place dans la mouvance de l'écriture artiste initiée par les Goncourt.

John Brunner utilise, dans Tous à Zanzibar, les techniques de montage textuel que Dos Passos inaugure avec La Grosse Galette. De nos jours, alors que certains continuent de se servir des procédés de la narration standard — le cas d'Hyperion est remarquable en ce sens — certains tentent d'utiliser des procédés venus de Raymond Roussel ou du nouveau roman, quand ils ne s'inspirent pas de Joyce ou de Faulkner.

C'est tout à fait normal, et c'est même assez excitant de voir que les auteurs de SF s'essaient à ne pas rendre compte du futur avec des instruments d'expression datant d'avant hier. Néanmoins, que la SF utilise des techniques déjà mises au point hier et ailleurs n'est pas rédhibitoire : l'essentiel étant qu'elle le fasse intelligemment et produise des textes et des images qui mettent le lecteur en contact avec l'imaginaire spécifique qui est le sien. En somme, et jusqu'à ce que la preuve du contraire soit sérieusement avancée, la SF dans son ensemble est le lieu, le moyen et le creuset d'un imaginaire vivant. Elle se nourrit des fantasmes engendrés par la fascination du changement issu de la transformation du monde que le développement technique, et scientifique vulgarisé, lié à un impérialisme culturel technique et économique, produit sous nos yeux, et qui affleure dans les images des textes de SF.

Cependant, cette création fictionnelle incessante n'a jusqu'ici pas débouché sur la recherche de structures narratives originales, de forme spécifique pour se déployer, sans doute parce qu'elle n'en a pas éprouvé le besoin.

C'est en ce sens qu'il faut sans doute comprendre la formule de Gérard Klein, qui soutient que la SF est « une littérature d'idées ». Elle joue en effet avec les images issues des savoirs nouveaux, ou d'anciens savoirs qu'elle régénère et métamorphose dans le cadre de récits. Pour ce faire, elle utilise, parfois avec brio, les formes narratives de l'époque, sans se focaliser sur la recherche de formes nouvelles. C'est pourquoi son rapport au langage serait à analyser. L'impression prévaut que le langage de la SF est surtout véhiculaire. Il semble le lieu et le moyen d'un jeu sur les signifiés, bien que, comme on l'a vu, il invente parfois des néologismes, et des signifiants, comme Big Brother.

C'est peut-être ce rapport spécifique au langage, différent de ce qu'il est dans d'autres domaines de la littérature, qui ressort de la comparaison que propose Kundera dans Les testaments trahis, entre 1984 et Le Procès de Kafka [28]. Voilà deux textes où un innocent est amené à se sentir coupable et se trouve condamné. Mais le texte d'Orwell se place tout entier dans l'illustration de l'idée de totalitarisme, qui est au centre de 1984, et dont le but final est d'amener le lecteur à se révulser devant l'image bien connue d'une botte écrasant un visage d'homme. Le texte de Kafka, dit Kundera, laisse errer son regard sur les choses, la fenêtre, un visage laid au premier rang etc. Et par ces “digressions” quelque chose comme un regard sur le monde réel se constitue, et une nouvelle dimension esthétique se constitue, qui ne se réduit pas au traitement rhétorique d'une idée préalable au texte qui l'incarne [29].

Épilogue

Si ce que je propose comme hypothèses ci dessus est juste, il en découle que l'approche critique des textes de SF, tout en usant des procédés et des acquis de la critique littéraire en général, devrait y ajouter les instruments d'une lecture spécifique. La question est de savoir si ce qui s'apparente à un souhait peut se traduire par une pratique réelle. Quelle en serait la visée idéale ?

Cette lecture ne devrait pas ignorer les résultats auxquels aboutissent les autres approches critiques qui abordent les textes selon divers angles.

Elle devrait, comme pour tous les autres textes, utiliser les approches sociologiques, faire ressortir les liens de ces œuvres avec l'histoire des idées et leur évolution, avec les contextes littéraires, techniques, scientifiques, philosophiques et politiques, et s'intéresser à leur dimension stylistique.

De plus le texte de SF devrait aussi être saisi dans les liaisons intertextuelles qu'il établit avec la tradition culturelle qui le porte. Ceci vaut à la fois pour l'aspect de SF nationale et pour les rapports que celle-ci entretient avec les SF des autres cultures, qui sont surtout à notre époque, les anglo-saxonnes.

Cependant elle ne devrait aller plus avant, car ces approches, pour valides qu'elles soient, rien ne dit qu'elles rendent compte de la spécificité du texte de SF en tant que tel, et dont le statut, comme le style dont parle Lafarge, s'il est « manifeste dans les faits… est théoriquement obscur ».

Or pour être cohérente et spécifique, la critique de SF devrait rendre compte de la qualité “d'émerveillement”, c'est-à-dire des qualités proprement poétiques, produites par un texte de SF — surtout lorsqu'il fait partie des 1 % désignés implicitement par la loi de Sturgeon.

Mais pour ce faire ne semble pas utile de chercher des clés universelles, ou une définition intangible de la SF. Une définition, pour être opératoire, se doit d'être locale dans l'espace et dans le temps, comme on le voit avec celle inventée par Darko Suvin, et qui permet avec une certaine efficacité de “discriminer” les textes de SF jusqu'aux années 60.

Mais il est impossible d'aborder des textes modernes comme Crash, Sommeil de sang, ou Neuromancien dans l'optique normative qu'elle propose. Et même si elle permet de “discriminer” un certain nombre textes [30], elle ne donne pas les moyens d'en marquer la richesse et l'originalité. En d'autres termes, de rendre patente la créativité poétique qui prend sa source dans l'exploitation narrative et spectaculaire d'un univers issu d'une série de virtualités.

C'est là, me semble-t-il, ce qui devrait être l'objectif d'une critique de SF dont on peut suivre l'évolution l'historique.

Elle a d'abord tenté essai de globalisation du champ de la littérature de l'imaginaire, ce qui a été le lot des premiers chercheurs, dont les découvertes ne sont pas négligeables et assurent une base de comparaison intéressante.

Ensuite, elle a tenté la confection d'une définition tendant à rendre compte de manière exhaustive, de l'ensemble des textes ainsi rassemblés. Dans le meilleur des cas cela a abouti à une formule qui devait permettre de distinguer les textes de SF de ceux qui ne l'étaient pas. De plus cela ne vaut que pour les textes d'une certaine période.

Entre temps, la SF a été analysée par la critique littéraire traditionnelle, et prise dans le filet de nombreuses théories qui vont de la sociologie à l'analyse des mentalités, en passant par la linguistique et l'histoire littéraire [31].

Il faudrait aujourd'hui tenter de rendre compte de la façon dont la SF ne se contente pas de représenter. Il serait nécessaire de montrer comment elle métamorphose, tout en les mettant en travail, dans des fictions narratives spécifiques, les possibilités imaginaires des idées nouvelles et des images excitantes qui en découlent.

Une piste, peu suivie, a été inaugurée par Marcel Thaon, et renvoie à une voie d'approche par un biais psychanalytique, où il distingue une problématique externe d'une interne [32]. Il signale d'emblée que

« la nature même des règles de construction d'un récit de fiction scientifique est un appel au fantasme » (p. 1).

Mais s'il en déduit une relecture du statut du rapport à l'objet dans un historique de la SF, il laisse ouvert l'aspect de l'appréhension esthétique [33], et de la jouissance qu'elle suppose. Il en va de même des propositions, par ailleurs roboratives, de Gérard Klein [34].

Reste donc en somme à rendre compte de la spécificité du plaisir — intellectuel et fantasmatique — que la SF procure au lecteur. Plaisir qui est évident, incontestable, mais jusqu'ici indéfini.

Liste des textes cités

BALLARD (James G) Crash Calmann Levy. 1974

BARJAVEL (René) La nuit des temps Presse Pocket. 1968

BEAR (Greg) L'Envol de Mars Laffont. 1995

BERGERAC (de) Cyrano. Voyage dans la Lune. Laffont. Bouquins. 1990

BRADBURY (Ray) "Un coup de tonnerre" in Les pommes d'or du soleil. Denoël. 1956

BRADBURY (Ray) Les Chroniques martiennes. Denoël. 1954

BRETONNE (Restif de La) La découverte australe par un homme volant. Laffont. Bouquins. Op. cit.

BRUNNER (John) Tous à Zanzibar Laffont 1971

BRUSSOLO (Serge) Sommeil de sang. Denoël. 1981

CAMPANELLA (Thomaso) "La cité du soleil" in Voyages aux pays de nulle part. Laffont. Bouquins. 1990

DOS PASSOS La Grosse Galette. Livre de Poche.

GIBSON (William) Neuromancien. La découverte. 1985

KAFKA (Franz) Le Procès. GF.

KUNDERA (Milan) Les testaments trahis. Folio.

LE GUIN (Ursula) Les dépossédés. Laffont. 1975

LUCIEN Histoire vraie. Laffont. Bouquins Op cit.

MOORE (Catherine L) "La saison des vendanges". in Histoires de voyages dans le temps. Livre de Poche. 1975.

MOORE (Ward) Autant en emporte le temps. Denoël. 1979.

MOORCOCK (Michaël) Voici l'Homme. Lausanne. L'Âge d'Homme. 1971

MORE (Thomas) L'Utopie. in. Laffont. Bouquins op cit

ORWELL (George) 1984. Livre de Poche.

ROBERTS (Keith) Pavane. Opta. 1971

ROSNY aîné. "Les Xipehuz". in Récits de science-fiction. Marabout. 1975

SILVERBERG (Robert) Les monades urbaines. Laffont. 1974

SIMMONS (Dan) Hypérion. Laffont. 1991

SPINRAD (Norbert) Rêve de Fer Opta. 1973.

SPRAGUE DE CAMP (Lyonnese) De peur que les ténèbres Marabout. 1972

VIAN (Boris) L'Écume des jours. 1947

WELLS (HG) La machine à explorer le temps. La guerre des mondes. Tallandier. 1980.

Notes

[1] Y compris si l'on veut remonter au déluge, l'Épopée de Gilgamesh, texte sumérien accessible sur plaquettes cunéiformes, et bien antérieur à la Bible.

[2] Même si les mythes, avant d'être écrits ont été oraux. Ils ont en commun avec ce qui sera la SF de créer un sense of wonder devant l'inimaginable.
Un autre argument est proposé par ROSSET (Clément), Le choix des mots. Éditions de Minuit. 1995, à propos des textes philosophiques, mais qui vaut aussi pour la SF : ils appartiennent à la littérature par le seul fait qu'ils « sont… exclusivement constitués de mots » et que « l'opération qui consiste à réfléchi ne se matérialise et donc ne se constitue, comme pour le roman ou la poésie, que par la manipulation des mots » p. 62-63.

[3] Lafarge (Claude) La valeur littéraire. Figuration littéraire et usages sociaux des fictions. Fayard. 1983. Un ouvrage dans la stricte mouvance de P. Bourdieu.

[4] Todorov (Tzvetan) Poétique de la prose. Seuil 1971 cite Jakobson « la littérarité, c'est-à-dire ce qui fait d'une œuvre donnée une œuvre littéraire » p. 10. Mais il ne fournit aucun critère de discrimination

FRY (Northrop) Anatomy of criticism. Princeton UP 1957 « nous n'avons pas de critères sûrs pour distinguer une structure verbale littéraire d'une qui ne l'est pas » (p. 13).

[5] Ainsi la “paralittérature” peut-elle être considérée simplement comme un ensemble littéraire que les instances de légitimation critique reconnues ne prennent pas en compte. Elle a donc une histoire sans avoir pour cela une essence avérée. Cf. BOYER (Alan-Michel) La paralittérature. Que Sais Je nº 2673. 1992 « Les débats dont la paralittérature fait l'objet n'impliquent pas nécessairement qu'un tel objet existe » p. 121.

[6] Les instances de légitimation critique ne sont pas les seules à prédéterminer le statut d'un texte. Le fait de publier dans telle ou telle maison d'édition, d'être publié dans telle ou telle collection est souvent déterminant — y compris pour l'appartenance à “la paralittérature”. Mais ce qui joue alors c'est un aspect qui relève à la fois des instances de légitimation, supposées être neutres et qualifiantes, et du contexte éditorial, ce qui renvoie à la sphère de l'économie.

[7] ROBIN (Régine) Extension et incertitude de la notion de littérature in Marc ANGENOT et alii Théorie littéraire PUF 1989.
MOLINO (Jean) "Interpréter" in L'interprétation des textes. Éditions de Minuit 1989.
« Pour parler du texte littéraire il faut être sûr qu'il existe quelque chose comme la littérature. Or le concept de littérature est flou, variable selon les cultures ; il mériterait à lui seul une analyse comparative » p. 43.

[8] C'est ce que confirme la fameuse “loi de Sturgeon” : « 99 % de ce qui s'écrit en SF est de mauvaise qualité, mais 99 % de ce qui est édité ailleurs est aussi de mauvaise qualité. »

[9] MOLINO (Jean) op. cit. p. 45.

[10] WELLS (H.G.) La machine à explorer le temps Ch I ; ou encore, pour justifier la présence d'une supériorité technique des marsiens, ainsi que leur physiologie, les chapitres liminaires de La guerre des mondes.

[11] Il existe même des textes charnière entre les deux types. Par exemple, la dystopie, de type Le meilleur des Mondes, ou 1984. On peut les recenser comme ouvrages dystopiques ou comme textes de science-fiction (qualification que les auteurs de ces œuvres ont toujours refusée).

[12] Si un genre peut se définir par des traits formels, comme le distique ou le sonnet, aucune confusion n'est possible et le concept de genre est alors opératoire. Il en va tout autrement quand il s'agit de tragédie, comédie, roman, poème etc.

[13] ANGENOT (Marc) "La science-fiction : genre et statut institutionnel". Revue de l'Institut de Sociologie. Bruxelles ; 1980 ; nº 3 & 4

[14] BORGES (J.L.) "Kafka et ses précurseurs" in Autres inquisitions. Œuvres complètes Tome I. Pléiade. Gallimard. 1993. p. 751.
Après Kafka, des écrits et des auteurs antérieurs semblent, rétrospectivement, apparaître comme des précurseurs des textes de l'auteur pragois. Ainsi se constitue l'idée d'une généalogie qui ancre la nouveauté dans une tradition dont en fait elle est, paradoxalement, la source.

[15] BOUCHARD (Guy) 44210 univers de la Science-fiction. Le Passeur. Sainte Foy. Québec. 1993.

[16] La notion de mainstream est une des inventions les plus connues de la SF, à l'époque où les idéologues du “genre” entendaient se couper de toute la tradition littéraire.

[17] FRANKLIN (Bruce. H) Future Perfect — American Science Fiction of the nineteenth Century. New York. Oxford U.P. 1966. p. 3-5.

[18] SPINRAD (Norman) Science fiction in the real World. Southern Illinois UP.1990. Il distingue les romans d'énigme centrés sur l'intrigue, le roman historique centré sur une époque, le western cantonné à une époque et un lieu, le gothique et l'horreur qui visent des effets sur la sensibilité du lecteur. Il oppose à ces “genres” marqués par des limitations, la SF qui n'en aurait pas.

[19] La SF relève de la littérature mimétique en ceci qu'elle tend à représenter comme appartenant au monde d'une réalité palpable les univers virtuels qu'elle invente. Elle se distingue ainsi du merveilleux ancien et du fantastique. Pour ce faire elle utilise les techniques d'accréditation en usage à l'époque où ses textes sont écrits. BOZZETTO (Roger) L'obscur objet d'un savoir : fantastique et science-fiction. Presses de l'Université de Provence. 1992. p. 6-7.

[20] SUVIN (Darko) Pour une poétique de la science-fiction. P.U. du Québec. Montreal. 1977. p. 11-20.

[21] […] l'humanité semble condamnée à l'Analogie, c'est-à-dire en fin de compte à la nature. D'où l'effort des peintres, des écrivains, pour y échapper. Comment ? Par deux excès contraires, ou, si l'on préfère, deux ironies, qui mettent l'Analogie en dérision, soit en feignant un respect spectaculairement plat (c'est la Copie, qui, elle, est sauvée), soit en déformant régulièrement — selon des règles — l'objet mimé (c'est l'Anamorphose) […]
BARTHES (Roland), Roland Barthes, p. 48.

[22] Chez Homère l'aède chante la parole de Muses. Chez Lucien, comme il l'annonce dans son prologue, ce seront des choses inventées à plaisir.

[23] ASIMOV (Isaac) "Toute la misère du monde" ("All the troubles with the World") in Après. Anthologie présentée par. Charles Nuetzel. Marabout nº 345.1970.

La notion de “massage” provient, en ce sens précis, de MAC LUHAN (M) Pour comprendre les médias. Seuil. 1968.

[24] WARFA (Dominique) "Parler cyber. La dissémination du vocabulaire imaginaire". in CyberDreams nº 04. 1995. p. 93-108.

[25] Il est question ici des récits de SF qui entrent dans les 1 % de la loi de Sturgeon.

[26] Je ne vois, comme contre exemple, que les textes de William Burroughs et certains de J.G. Ballard dans La foire aux atrocités et Ada de Vladimir Nabokov, que l'on a pu lire comme relevant de la SF, ce qui, connaissant les textes de Nabokov et leur souci de jouer avec les formes romanesques, au plan du langage me paraît relever de la captation d'héritage. Ces textes posent donc problème, sinon à la SF, au moins à la critique.

[27] Il qualifiera ses textes de SF de "scientific romances". Voir "Wells et Rosny" in Europe, spécial Wells et Rosny, nº 681-682, janvier février 1986. p. 44-48.

[28] KUNDERA (Milan) Les Testaments trahis. Folio. 1993 p. 268-9.

[29] On pourrait reprendre ici une analyse des procédés d'“irréalisation” de Nabokov dans Ada, qui, s'ils créent un espace romanesque singulier, ne se rattache en aucun cas — sauf par raccroc — à la SF. Voir MAIXENT (Jocelyn) Leçon littéraire sur Vladimir Nabokov, de La méprise à Ada. Presses Universitaires de France. Paris. 1995. Il insiste sur le fait qu'Ada nous incite « à voir la littérature comme essentiellement et fondamentalement irréaliste, à nous dépouiller de nos réflexes d'illusion mimétique, puisque le récit, lui, s'interdit d'être mimétique » (p. 179). Or la SF, on le sait, s'inscrit dans l'espace de la représentation, et donc de l'illusion, mimétique.

[30] SUVIN (Darko) On What Is and is Not an SF narration. Science fiction studies V. 14.45.

[31] On peut en trouver des exemples réussis dans de nombreux articles publiés dans Science fiction studies.

[32] THAON (Marcel) et alii. Science-fiction et psychanalyse. Dunod, 1986. p. 6-7.

[33] La dimension esthétique de la SF relève d'une approche très récente, c'est un domaine peu et mal exploré. cf. BOZZETTO (Roger) L'obscur objet d'un savoir : fantastique et science-fiction. op. cit. p. 193-202.

[34] in THAON (Marcel) op. cit. KLEIN (Gérard) "Trames et moirés". En particulier "l'œuvre comme objet social et comme rêve" in THAON (op. cit.) p. 48. La SF y est présentée dans une perspective à la fois semblable à celle de Thaon et différente en ce que son soubassement est plutôt sociologique, mais qui se signale par la même absence de visée esthétique.

Les références bibliographiques sont sous la seule responsabilité de Roger Bozzetto ; celles qui ont été vérifiées par Quarante-Deux sont repérées par un astérisque.