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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 50 le Dernier Homme

Keep Watching the Skies! nº 50, janvier 2005

Jérôme Leroy : le Dernier Homme

anthologie de Science-Fiction et autres

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chronique par Pascal J. Thomas

Stratégie tordue, mais attirante : faire plancher sur un thème solidement implanté dans le répertoire de la Science-Fiction1 (ici, le dernier représentant de l'Humanité) une foule d'auteurs, en grande partie éloignés du genre. Les Belles Lettres sont coutumières du fait, et Noirs complots avait été une réussite.

Ces vingt-deux nouvelles sont signées par un peu le même groupe d'écrivains — parmi lesquels sont surreprésentés des critiques littéraires ou de cinéma, écrivant pour le Figaro ou des publications liées. Il y a des retours surprenants, comme ceux de Jean Mazarin (qui fut un temps un fournisseur régulier du Fleuve noir "Anticipation") ou Jacques Sternberg, maître français de la nouvelle ultra-courte. Malheureusement, l'aspect le plus remarquable de leur contribution est la présence de leur nom au sommaire…

Le Dernier Homme n'atteint pas, hélas, le même niveau de réussite que Noirs complots. Bien des textes ne se rattachent au thème que par raccroc, et ne frappent guère non plus l'imagination ; il en est même non pas un, mais deux, à se rabattre sur le même calembour ("le Dernier rhum") pour justifier leur inclusion dans le volume. Il y a, naturellement, des auteurs qui poursuivent incessamment les mêmes obsessions. Daniel Walther fournit un exemple insigne. On peut aimer, mais dans son cas, mon intérêt est depuis longtemps épuisé.

J'ai parfois été attristé par la tonalité réactionnaire de certains textes, sur l'air bougon du « on nous fait un monde de merde ; les vrais plaisirs disparaissent ». Tonalité dans laquelle se rejoignent, au demeurant, gauche et droite souverainistes, et qui ne déplaît pas, on s'en doute, à maint pigiste du Figaro… sans que la corrélation soit inévitable ou irréfutable.

Désormais je vais me borner à relever quelques textes marquants, à un titre ou un autre.

On peut être bougon et spirituel, et imaginatif dans son refus du changement. Michel de Pracontal déploie des trésors de mauvaise foi pour défendre l'indéfendable cause des cigarettiers dans "le Dernier fumeur", dans un texte qui place une intrigue d'inspiration policière dans un futur proche — et inquiétant —, et sait distiller le récit en flashes inattendus. "Le Mot de la fin", de Sébastien Lapaque, réussit à nous faire prendre au sérieux, l'espace de quelques pages, l'hypothèse d'une privatisation de l'alphabet au profit de quelques éditeurs rapaces2.

Plus loin du domaine qui nous intéresse, si les auteurs issus du “noir” se livrent souvent à des variations SF qui ne renouvellent pas le genre. Jean-Baptiste Baronian, par contre, donne une histoire policière nourrie de références littéraires et retorse, tout à fait agréable ; les références de Marc Villard, dans "la Secte", seraient plutôt cinématographiques (Fenêtre sur cour), mais là encore, le récit est compact est réussi. Le lien au thème, toutefois, est ténu.

Roland Wagner s'éloigne aussi du thème — à moins qu'on considère que toute secte, avec ses illusions apocalyptiques, s'y rattache. Mais sa connaissance fine de l'histoire des années soixante californiennes lui permettent de donner une uchronie subtile, qui cache son jeu jusqu'au bout — en fait, elle se situe juste au moment du point de divergence avec l'Histoire connue ; ce qui, d'un certain point de vue, nous prive du plaisir uchronique, celui du développement des conséquences d'un changement historique ponctuel. L'auteur en reste à une exquise esquisse uchronique, et on souhaiterait qu'il brosse une fresque. Les croquis doivent en traîner dans son atelier, espérons…

Finalement, les écrivains qui s'en sortent le mieux prennent "homme" au sens sentimental. Même quand ils font de la SF, comme dans "Dernière idylle", de Gérard Klein — une nouvelle agréable, même si son intrigue tient plus du fantasme que de la rationalité chère à son auteur. Sophie Loubière donne un texte de littérature générale sur des rapports de couple inhabituels. Satirique et cruel, il marche fort bien. Dans le même registre, Serge Quadruppani est moins percutant, mais relève le mélange d'une pointe de mise en abyme.

Enfin, l'anthologie est dominée de la tête et des épaules, à mon avis, par le texte de Jean-Pierre Andrevon, "Hurlement". Il faut dire que le thème du recueil semblait taillé sur mesure pour lui : solitude et fin du monde, sous les aspects autant sociaux qu'écologiques ou sexuels, voilà qui constitue le propos de plus de la moitié de son œuvre. "Hurlement" est un enchaînement de fragments de cauchemars, dont les décalages successifs révèlent chacun un pan nouveau de fantasme, ou de réalité sous-jacente. L'intensité émotionnelle ne faiblit jamais, malgré les nécessaires, les lancinantes répétitions. Si vous appréciez Andrevon, ou tout simplement les récits qui vous cueillent au creux du ventre, ce texte à lui seul pourrait justifier l'achat du volume.

Notes

  1. On trouve d'ailleurs, sur deux pages en fin d'ouvrage, une bibliographie consacrée au thème.
  2. En 2000, une plaisanterie courait les campus américains : Microsoft allait faire breveter les dix chiffres de 0 à 9, et facturer leur emploi à tout un chacun. Quant on se penche sur les façons d'agir de l'industrie du logiciel, on a moins envie de rire…