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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 61 Eifelheim 1/2

Keep Watching the Skies! nº 61, décembre 2008

Michael Flynn : Eifelheim

(Eifelheim)

roman de Science-Fiction

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chronique par Noé Gaillard

Nous sommes, à mon avis, en présence d'un des rares livres de S.-F. dans lequel une bonne partie des éléments imposés par le genre (technologie, ET, physique, etc.) sont d'un intérêt secondaire. Et ça, au moins, c'est clairement annoncé en quatrième de couverture :

« Et le lecteur découvre peu à peu tout ce qui nous rapproche et tout ce qui nous sépare de ces formes anciennes de pensée et de celles des étrangers. On pense à Umberto Eco. C'est une expérience fascinante de relativité culturelle… ».

Je résume : à la fin du Moyen-Âge dans une contrée montagneuse entre Allemagne et Suisse, des ET apparaissent à cause de l'accident mécanique de leur vaisseau. À notre époque (artificiellement insérée dans le même temps que le Moyen-Âge, contemporanéité de lecture), un couple de chercheurs, l'un en cliologie, à distinguer de l'histoire narrative, l'autre en physique, planchent sur des projets très liés dont un au moins à trait avec la région concernée. Seul le hasard mettra en relation les éléments leur permettant d'aller plus loin.

Au Moyen-Âge, un prêtre (qui fut aussi escholier à Paris avant de devenir extrémiste et violent) qui accepte de considérer les ET comme des hommes et non comme des monstres se heurte à un problème de langage que le petit appareil électromécanique qui sert de traducteur ne peut résoudre. Et se doit de constater que les ET prennent toutes les expressions au pied de la lettre, ce qui du point de vue religieux est très dérangeant. Ainsi quand le prêtre baptise de noms grecs les outils des extraterrestres (elektronikos par exemple), ceux-ci pensent qu'il en connaît l'usage et la fonction. Pour ce qui est des ET (morphologiquement entre mante religieuse et sauterelle, dépourvus de sexe apparent, incapables d'unisson), on ne découvre qu'une partie minime de leurs mœurs, us et autres coutumes qu'au fur et à mesure que le prêtre les comprend mieux. Tous les passages qui relèvent du Moyen-Âge s'inscrivent dans le cycle de la nature et hors du temps des humains — celui-ci n'est pas encore unifié —, rythmés par des offices et des commémoraisons — la bonne vieille opposition entre nature et culture… au sens littéral.

Ainsi s'opposent d'une part la science et la foi d'un prêtre, en désaccord avec un autre religieux et avec le reste du village à propos des extraterrestres ; et d'autre part les rapports du couple de chercheurs à leurs recherches dans lesquelles ils s'oublient.

Tout cela relève d'un premier niveau de lecture, anecdotique certes, mais fort plaisant et passionnant — par la force des personnages imaginés, même les seconds rôles — mais aussi bien éloigné du deuxième niveau qui aurait à mon sens bien mérité le Hugo. Et qui pose sans proposer de réponse les grandes questions : Qui sommes-nous ? D'où venons-nous ? Où allons-nous ? Sommes-nous seuls ? Toutes celles que notre humanité (esprit emprisonné dans un corps) se pose, tout en laissant les personnages se les poser indirectement à notre place et en prenant Dieu et la nature comme témoins. On peut ainsi se dire comme les deux personnages contemporains de l'histoire : « l'important n'est pas ce que l'on dit mais la façon dont on le dit ». Et c'est bien ce qui fait la force de ce grand roman parfaitement maîtrisé.

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