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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 60 En route pour la gloire

Keep Watching the Skies! nº 60, juillet 2008

Robert A. Heinlein : En route pour la gloire

(Glory road)

roman de Science-Fiction

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chronique par Éric Vial

Voilà un roman sans doute irritant, mais aussi tout à fait attachant tant il est j'm'enfoutiste. Et qui constitue une heroic fantasy faite pour les amateurs de S.-F., ou peut-être un hymne d'amour décalé à la S.-F. la plus archaïque, plus une profession de foi d'anarchiste de droite (en américain : de libertarien), et aussi un curieux témoignage sur la France vue d'Outre-Atlantique.

Un ancien bidasse, “conseiller militaire” dans le sud-est asiatique (le roman date de 1963 : la guerre du Việt Nam n'est alors pas encore officielle), démobilisé, se paie un peu de bon temps sur l'Île du Levant1 grâce à un billet de loterie, quand il tombe sur une superbe blonde, et sur une petite annonce d'embauche réclamant un “héros”, laquelle petite annonce le ramène à la dite blonde. Laquelle l'entraîne illico dans un monde étrange, où il lui faut combattre un golem, des sortes de minotaures, des dragons, d'autres bestioles tout aussi antipathiques, se brouiller avec un seigneur féodal faute de connaître les règles d'hospitalité sexuelle du lieu, ne pas pouvoir utiliser d'armes à feu pour des raisons quelque peu compliquées à expliquer mais garanties parfaitement rationnelles et même scientifiques, et devoir s'en remettre (beaucoup) aux armes blanches et (un peu) à sa matière grise. Ce qui renvoie aussi bien à la Fantasy qu'à des choses vaguement étiquetées S.-F., du côté du cycle de Mars de Burroughs par exemple. Le tout est raconté de façon plutôt nonchalante, mais avec un plaisir jamais dissimulé. Et en insistant sur le fait que technologie ou magie reviennent au même, et qu'on peut toujours parler de “pouvoirs psy” au lieu de “magie”, « encore un exemple de la supériorité des monosyllabes sur les polysyllabes » (on soupçonnera que la formule est plus convaincante en anglais — en revanche « un magicien, c'est un ingénieur qui fonctionnerait empiriquement » ne doit rien avoir perdu à la traduction) même si un peu de vraie magie serait en fin de compte satisfaisante pour l'esprit “pour faire plus joli”. Le tout étant en réalité d'un rationalisme total, mais si, mais si, et malgré tout ce qui précède. Enfin, bien autant que n'importe quel space opera. Et entrecoupé de commentaires goguenards (du genre : « C'est tout de même malheureux de ne pas être capable d'escagasser un dragon sans avoir le cœur gros après ») et de considérations sur l'inutilité des lois, des contraintes et des impôts.

Ces dernières correspondent au volet libertarien (tendance “scrogneugneu”, oui, déjà) du livre. Le côté “scrogneugneu” a d'ailleurs des effets intéressants dès qu'on daigne se souvenir de la date de première publication : « notre époque où l'ignorance crasse a droit de cité et où l'opinion de n'importe qui vaut celle de tous les autres », c'est le début des années 1960, les adolescents de l'époque ont maintenant atteint l'âge de la retraite légale en France, et il sera difficile même à un gnome hongrois surdopé (mais de moins en moins dans les sondages) de démontrer que c'était déjà la faute de Mai 68… Par ailleurs, le relativisme tant honni par nos versions rétropolitiques ou panzerpontificale de la psychorigidité autosatisfaite, en prend certes un coup avec la citation précédente, mais revient en force — c'est le côté plus libertarien que “scrogneugneu”, même s'il s'accompagne d'une bonne dose de machisme aussi lubrique qu'assumé (“décomplexé” kon dit depuis la dernière pluie) — quand il est question de liberté des mœurs, ou de variabilité des normes morales : Heinlein explique par ailleurs que « toutes les libertés naîtraient de conflits de cultures, dans la mesure où toute coutume qui n'est pas contredite par la coutume opposée est alors une obligation et a par conséquent force de “loi naturelle” » tout en ajoutant une autre hypothèse moins optimiste, selon laquelle « la liberté n'est qu'un heureux hasard, toutes les races humaines s'entendant avec un ensemble parfait pour redouter et abhorrer la liberté sous toutes ses formes, pas seulement chez les autres, mais chez soi également. ». Reste la France. Il en a vaguement été question plus haut. En particulier de l'Île du Levant. Et on est amené à supposer que pour un libertarien conséquent, notre pays, dans sa version des tout débuts de la république monarchique actuelle, était sinon un paradis, du moins un endroit plus qu'acceptable. Préférable aux États-Unis, en tout cas. Ce qui pourrait étonner quelques prophètes libéraux bien nichés dans l'État nourricier, leurs commentateurs audiovisuels et nombre d'autres idéologues. Mais c'est comme ça. Et cela donne un charme de plus à ce roman, que l'on n'est pas tenu de prendre au sérieux, mais qui amusera. Ce qui n'est pas du luxe et change agréablement, dans le quinquennat en cours.

Notes

  1. Une des îles d'Hyères, en Provence.