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Keep Watching the Skies! nº 58, novembre 2007

Greg Bear : Quantico

roman de Science-Fiction inédit en français

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chronique par Pascal J. Thomas

Dans un futur très proche — et prudemment non daté —, les États-Unis ont connu une deuxième attaque terroriste de l'ordre de grandeur du 11 septembre, et la guerre au Moyen-Orient s'est étendue à l'Arabie Saoudite, dont la monarchie est sur le point de tomber. La réponse du gouvernement américain aux événements a constitué, comme toujours, à multiplier les organismes nationaux de sécurité, qui sont désormais quatre ou cinq à se disputer les affaires les plus sensibles et, le plus souvent, à se tirer dans les pattes et à livrer leurs confrères aux critiques acerbes des politiciens. Et au milieu de toute cette agitation, le vieux FBI continue d'agir, et de faire tourner son exceptionnelle école d'entraînement à Quantico, Virginie.

“Three FBI agents, one Armageddon” annonce la couverture de l'édition poche de ce livre que j'ai entre les mains. Comme les Trois Mousquetaires, il me semble plutôt que les trois agents sont quatre : William Griffin et Fouad Al-Husam sont recrutés en fin d'études ; Rebecca Rose une agente expérimentée, particulièrement au courant des affaires de bioterrorisme ; et le mystérieux Sam un agent qui a tourné casaque et ourdit désormais seul — ou presque… — ses plans criminels. Mais Rose ne le sait pas, bien entendu ; elle traque sans relâche les auteurs inconnus de l'attaque à l'anthrax par voie postale perpétrée dans les derniers mois de 2001, tandis qu'Erwin Griffin (le père de William) est sur la piste du Patriarch, le gourou d'un groupe de chrétiens extrémistes, racistes et anti-sémites.

Tous les fils vont se nouer, on s'y attend. Et le suspense va monter au fur et à mesure que l'on prend conscience de la nature et de l'ampleur de l'attaque terroriste qui se prépare, en suivant les faits et gestes des protagonistes. L'enquête est assez classique, mais constamment entravée par le manque de coopération entre les différents services de police. Déjà vu, me direz-vous, mais l'avantage du Thriller de S.-F. est de pouvoir donner une dimension politique, et même stratégique lorsque le champ des opérations s'étend au Moyen-Orient, à ce qui ne pourrait être que mesquines rivalités de boutique.

Après En quête d'éternité, Bear — que l'on avait connu auteur de space opera cosmologique, de Fantasy à références musicales, de politique-fiction planétaire du xxive siècle, de catastrophisme sur le mode du basculement biologique — semble se diriger de façon de plus en plus résolue vers le roman commercial mainstream, tel qu'on peut le lire sous la plume des successeurs d'Ian Fleming, style Tom Clancy ou Jeffrey Archer. Si En quête d'éternité regorgeait encore d'hypothèses biologiques audacieuses et de développements d'Histoire secrète rocambolesques, Quantico est nourri avant tout de documentations qui le font dérailler vers le naturalisme engagé. Un motif commun avec En quête d'éternité : l'extrême inquiétude que manifeste l'auteur vis-à-vis du destin de la démocratie américaine, menacée par les lois liberticides — et des gouvernements à courte vue.

Il ne faudrait pourtant pas croire que Bear (gendre de Poul Anderson !) joigne sa voix à celles de la gauche américaine. Et ce roman est son éloge d'une de ses cibles traditionnelles, le FBI, qui sous la direction de J. Edgar Hoover avait tant fait pour se transformer en police secrète politique. Depuis, argue Bear, il a eu bien pire à la tête de l'État américain, et ce bon vieux FBI, toujours vilipendé par les liberals (gens de gauche, en américain), se distingue par son obstination et son professionnalisme quand il s'agit de pourchasser les vraies menaces qui se dressent contre les États-Unis. Et le but avoué de ce livre est de tresser des couronnes aux agents de base, qui sacrifient leur vie à la défense des “civils” inconscients — que ce soit dans leur sang, dans leur intégrité physique, ou dans le calvaire qu'ils font subir à leurs proches et finit par avoir raison de leur vie de famille.

Est-il toujours convaincant ? On peut regretter qu'il n'ait pas plus creusé les débats intérieurs de ses personnages les plus ambigus. Ou que la nécessité d'un découpage rapide l'empêche d'expliquer en détail les intrigues en coulisse des différents services de sécurité — dont les différents sigles ont fini par me noyer dans un potage d'alphabet. Les motivations de ses fanatiques religieux semblent taillées à l'emporte-pièce — il est certainement très difficile pour la plupart d'entre nous de rentrer dans la tournure d'esprit de telles personnes. Bear reste par contre éblouissant dans ce qu'il maîtrise le mieux, la construction de technologies imaginaires — mais effroyablement plausibles —, et choisit comme menace biologique une maladie du siècle dont j'oublierai de citer le nom — un indice : elle était au cœur de Rainbows End, dernier roman de son ex-voisin sud-Californien, Vernor Vinge. L'air du temps porte plus d'un germe contagieux… En tout cas, si vous goûtez les romans d'action perchés sur le fil du présent, ne manquez pas celui-ci.