Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 56 les Souterriens

Keep Watching the Skies! nº 56, janvier 2007

Hervé Thiellement : les Souterriens (le Monde de Fernando – 1)

première moitié d'un roman de Science-Fiction par nouvelles

 détail bibliographique dans la base de données exliibris

 chercher ce livre sur amazon.fr [1] [2]

chronique par Pascal J. Thomas

Ce livre s'affirme dès la page de titre comme un « roman feuilleton d'anticipation post-atomique ». Autant dire qu'il ne se prend pas complètement au sérieux. À la suite d'un holocauste nucléaire dont on devine qu'il a été emprunté au magasin des accessoires de la S.-F. des années 50 plutôt qu'à une quelconque peur contemporaine, la race humaine s'est réfugiée sous terre, et — question d'efficacité — a abandonné la reproduction sexuelle pour se décliner en quelques modèles clonés à l'infini par les laboratoires profonds qui contrôlent tout le processus.

Fernando est un fernand, modèle humain généralement réservé à l'emploi militaire — une guerre larvée se perpétue entre humains et super-taupes, gigantesques, intelligentes, et bien entendu mieux adaptées au [sous]terrain. Mais, coupé de sa troupe, il accède à un individualisme dont il n'aurait jamais rêvé, et entraîne avec lui quelques autres humains en rupture de tribu, une carole, une michèle, un jules… Tout ce petit monde se confronte aux super-taupes, se rend compte qu'on peut communiquer au lieu de se battre, arrive à la surface, y fonde une colonie bucolique, et redécouvre les joies de la reproduction sexuée — celles du sexe n'ayant jamais manqué, sous terre comme au-dessus. Nous remarquerons même que la perspective de la paternité rend les humains émergés nettement plus possessifs qu'avant en matière sexuelle, et donc moins débridés.

Tout cela est bien sympathique, mais je ne pourrai pas dissimuler qu'il ne se passe rien de bien marquant au plan dramatique pendant les deux cents pages de cet ouvrage. On y rencontre régulièrement de nouvelles espèces animales, toutes super, et toutes super-sympa — hormis les ondulants, sortes de serpents géants anthropophages, dont on se doute qu'ils ne triompheront jamais au hit parade de la création. On y expérimente toutes sortes d'unions contre nature, ou contre la conception qu'on pouvait avoir de la Nature d'avant, et on se rend compte qu'elles sont fertiles. Les plus grands moments sont des réunions dans les troquets (principale modalité sociale et architecturale de l'Humanité future) et des prétextes sont trouvés pour expliquer l'impossibilité de transporter à la surface la technologie du sous-sol, histoire d'être sûr de demeurer dans la robinsonade. Il y a bien un double meurtre à résoudre, et une rivière à explorer, mais tout cela est expédié de façon assez sommaire.

Car — dût-il m'en coûter de le dire ici : l'auteur est un homme profondément sympathique et totalement respectable — le problème de ce livre est dans la façon, dans l'écriture. D'autres romans d'aventure sans guère plus d'imagination tiennent la route grâce à un cocktail roublard de suspense, d'humour et de peinture de personnages sans originalité, mais attachants. Ici, les personnages ont du mal à se détacher de leurs catégories respectives — le fait de leur donner des noms qui rappellent leur espèce ou leur clone n'aide guère —, et la narration est, soit désespérément démodée, soit incompétente : il n'y a presque pas de dialogue, et pas de point de vue des personnages, tout est raconté par la voix de l'auteur, avec une désinvolture qui finit par détacher émotionnellement le lecteur — ce qui tue la lecture.

Il y a dans ce livre des moments d'amusement, des créations sympathiques (comme celle des michèles, clones vraiment difficiles à distinguer les unes des autres et qui prennent un malin plaisir à s'éclipser et réapparaître, tout en restant en communication avec leurs “sœurs”), et bien entendu un univers dans lequel on peut se plonger. J'ai dû me lester de bonnes intentions pour arriver à me submerger. Mais on sera en droit de considérer que ma difficulté à accepter la forme narrative du livre relève du goût personnel. Et on prendra en compte que le côté un peu ennuyeux de l'intrigue tient sans doute au fait que le livre n'est que préparation pour le deuxième tome, les Hybrides, déjà paru chez le même éditeur.