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Keep Watching the Skies! nº 56, janvier 2007

H.G. Wells : la Guerre des mondes

(the War of the worlds)

roman de Science-Fiction

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chronique par Philippe Paygnard

Il n'est pas inutile, parfois, de relire ses classiques. Même si le texte ne change pas, le lecteur lui ne cesse d'évoluer, accumulant les expériences issues de ses lectures et de son quotidien. La Guerre des mondes fait bien évidemment partie de ces classiques incontournables de la S.-F. internationale et je me rappelle fort bien avoir lu ce roman dans mes lointaines années de lycée. Je n'aurais certainement pas songé à relire ce livre si je n'avais récemment eu l'occasion de voir la dernière adaptation cinématographique de ce classique de la Science-Fiction. En visionnant ce film bourré d'effets spéciaux et absolument hollywoodien puisque placé sous le double sceau de Steven Spielberg et Tom Cruise1, ce sont bizarrement les images du long-métrage réalisé par George Pal2 qui me sont naturellement revenues à l'esprit, et nullement le roman original. Ce sont d'ailleurs certaines différences évidentes entre les deux versions qui m'ont donné l'irrésistible envie de revenir vers le texte original (mais en V.F.) d'Herbert George Wells.

Ce retour aux sources m'a ainsi permis de constater, s'il en était vraiment besoin, combien la mémoire peut être volatile, trompeuse et maintes fois trompée. Il me semblait ainsi que l'adaptation produite par George Pal, dans les années 50, était relativement fidèle au livre. En me replongeant dans les écrits de Wells, j'ai pu vérifier que, mis à part son américanisation obligée et sa modernisation, c'est le scénario du film de 2005 qui est en réalité plus proche du texte de Wells. Ainsi, sans être la copie conforme du narrateur/héros du livre, le personnage de Ray Ferrier, interprété par Tom Cruise, partage de nombreux traits communs avec celui-ci et vit de dramatiques mésaventures proches de celles vécues par son modèle.

Loin d'être des guerriers, des résistants ou des scientifiques — comme le docteur Clayton Forrester de la version de 1953 —, les personnages principaux du livre comme du film de Steven Spielberg sont des hommes ordinaires pris dans le tourbillon d'événements extraordinaires. Ils font le maximum pour mettre leur famille à l'abri de la menace extraterrestre sans être certain d'y parvenir. Ni l'un, ni l'autre ne possèdent le moyen de vaincre les monstrueux envahisseurs et leurs machines à la technologie ô combien supérieure à celle de l'espèce humaine, les canons les plus puissants ne pouvant rien contre les tripodes, les rayons ardents et autre fumée noire. Ferrier et son modèle ne sont finalement que les témoins impuissants d'un conflit qui les dépasse et ce n'est que la chance ou un bienheureux hasard qui leur permet d'échapper à une mort toujours plus proche.

Outre son personnage principal, d'autres éléments scénaristiques font que la version 2005 de la Guerre des mondes est plus fidèle au livre que celle de 1953. On retrouve ainsi, dans le film de Spielberg, les célèbres tripodes extraterrestres3. Ces impressionnantes machines de guerre et de dévastation sont d'ailleurs splendidement recréées par Benjamin Carré en couverture de cette édition Folio — même si les chasseurs version US Air Force et les gratte-ciel de type new-yorkais semblent quelque peu déplacés vis-à-vis du texte original situé en Angleterre. Il y a d'autres points de convergence entre le roman et le long-métrage de Spielberg, en particulier le fait que les envahisseurs viennent coloniser la Terre en la modifiant selon leurs nécessités grâce à une étrange herbe rouge et en transformant l'espèce humaine en un cheptel de choix destiné à satisfaire leurs besoins alimentaires. Enfin, comme une adaptation cinématographique ne peut être qu'un condensé, ce sont pas moins de trois personnages du roman qui se trouvent fusionnés en un seul rôle au cinéma, celui d'Harlan Ogilvy, interprété par Tim Robbins. En effet, ce dernier apparaît comme une combinaison d'Ogilvy, un ami du narrateur dans le livre de Wells, du vicaire, avec qui le narrateur se retrouve piégé dans une maison en ruines, et de l'artilleur, qui s'imagine avoir trouvé le moyen idéal de survivre à cette invasion en se transformant en troglodyte dans les vastes égouts londoniens.

Au-delà de ces relectures cinématographiques, le roman de Herbert George Wells, écrit à la fin du xixe siècle, est un véritable ouvrage de Science-Fiction. À ce titre, il intègre dans un récit de fiction les dernières découvertes scientifiques du moment, à commencer par les observations des astronomes Giovanni Schiaparelli et Henri Perrotin, citées dès les premiers chapitres par le romancier. Mais, comme tout bon auteur de Science-Fiction, Wells profite de son récit pour livrer son sentiment sur la société contemporaine. Il distille ainsi dans sa prose un efficace réquisitoire contre le colonialisme à une époque où l'Empire britannique brillait encore de tous ses feux. Il n'est pas certain que les spectateurs de La guerre des mondes version 2005 aient pu lire le même message dans ce film hollywoodien4.

Si les deux films et le livre proposent une fin analogue, les envahisseurs étant vaincus par les bacilles, bactéries et microbes terriens, la dernière version filmée fait disparaître l'évidente référence à la religion que le film de 1953 présentait dans ses scènes finales, juste avant la chute des Martiens. Par contre, on retrouve dans les deux longs-métrages cette même idée que la science terrienne et tout particulièrement les armes nucléaires ne peuvent rien contre la technologie martienne.

Enfin, je ne peux m'empêcher de signaler que, grâce à un sympathique clin d'œil, les deux films hollywoodiens sont désormais éternellement liés. En effet, Steven Spielberg a eu la bonne idée d'offrir, aux deux acteurs principaux du premier long-métrage, une brève apparition dans l'une des dernières scènes de son film.

Dans son introduction, partiellement reprise en quatrième de couverture, Norman Spinrad dit que « La Guerre des mondes s'est hissée depuis longtemps au rang de ces œuvres exceptionnellement rares […] qui ont transcendé leur origine littéraire pour devenir des mythes fondateurs, des histoires archétypales de notre inconscient collectif ». Pour ma part, je me contenterai de dire qu'il y a des livres que l'on peut lire et relire sans se lasser. Même si elle a été écrite à la fin du xixe siècle, la Guerre des mondes est une œuvre d'une grande modernité, par la forme comme par le fond. Les idées qui sous-tendent ce récit d'invasion extraterrestre restent d'une redoutable actualité et c'est, à mon humble avis, une lecture indispensable pour tout amateur des littératures de l'imaginaire.

Notes

  1. La version 2005 de la Guerre des mondes est réalisée par Steven Spielberg, sur un scénario de Josh Friedman et David Koepp, avec Tom Cruise dans le rôle principal et Tim Robbins dans un second rôle relativement bref, mais bigrement impressionnant. C'est une production Amblin Entertainment (Spielberg) et Cruise/Wagner Productions pour Paramount Pictures et DreamWorks Pictures, avec des effets spéciaux visuels signés Industrial Light & Magic.
  2. La version 1953 de la Guerre des mondes est réalisée par Byron Haskin, sur un scénario de Barré Lyndon, avec Gene Barry et Ann Robinson dans les rôles principaux. C'est une production George Pal pour Paramount Pictures, avec des effets spéciaux de maquillage de Wally Westmore.
  3. Il est à noter qu'il n'est pas fait référence à l'origine martienne des extraterrestres dans le film de Steven Spielberg puisque tout le monde sait, depuis les explorations des sondes Mariner, Viking et autres Mars Express, que la quatrième des huit planètes du système solaire est inhabitée. Le cinéaste Spielberg partageant ici le souci d'exactitude scientifique du romancier Wells.
  4. Au-delà du grand spectacle de ce blockbuster, il est évidemment possible d'assimiler les agresseurs extraterrestres aux terroristes qui perpétrèrent les attentats contre les tours jumelles du World Trade Center le 11 septembre 2001. Mais ce n'est qu'une interprétation parmi d'autres.