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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 54 l'Anniversaire du monde

Keep Watching the Skies! nº 54, juillet 2006

Ursula K. Le Guin : l'Anniversaire du monde

(the Birthday of the world)

nouvelles de Science-Fiction

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chronique par Noé Gaillard

J'ose espérer que vous êtes nombreux à vous précipiter sur les œuvres de madame Le Guin, dont j'apprécie très fortement l'enseignement. Celui qu'elle dispense à travers ses romans et nouvelles. Celui qui, il me semble, est censé nous apprendre à être humains. Celui qui nous civilise…

Il passe ici à travers huit nouvelles affligées d'une préface de l'auteur (un peu façon Asimov : « J'ai écrit ce texte pour faire plaisir à mes compagnons de chambrée de l'unité 44/12 en plein cœur des Ardennes et c'est sans doute pourquoi elle se déroule au soleil… ») qui explique en partie son rapport à l'univers qu'elle a inventé. Disons-le tout de suite, tout l'intérêt de ce recueil n'est pas dans sa contribution à l'établissement d'un monde cohérent, il est, pour moi, dans ce que la cohérence du monde tient à la façon dont les personnes, les rapports entre elles et avec les choses ont été nommés, baptisés, appelés.

Sur huit textes, cinq ("Puberté en Karhaïde", "la Question de Seggri", "un Amour qu'on n'a pas choisi", "Coutumes montagnardes", "Solitude") sont, pour moi, liés par le comportement sexué dicté par la place que les mots/noms attribuent aux personnages. Le Guin essaye de “varier” les plaisirs en présentant diverses versions du “couple”, qui loin de faciliter le rapport réduisent la sexualité à un simple contact et mettent en évidence la “relation amoureuse” l'accord des mots et des souvenirs, la compatibilité des personnes à s'apparier… J'espère que vous avez compris ce que je veux dire. Tout cela me rappelle Molière et une de ses célèbres petites phrases : « Et voilà pourquoi votre fille est muette » (on se souviendra que la fille en question n'entend que ce qu'elle veut bien entendre). Essayez d'imaginer les débuts d'un monde de sourds et muets. Ajoutez à cela que le point de vue du narrateur est celui de l'étranger (façon "le Malentendu" de Camus), celui qui par son éducation et sa méconnaissance des accents et des particularités locales est parfois incapable de comprendre ce qui l'environne et les règles du monde où il joue l'intrus, et vous aurez une idée assez précise, je crois, de l'art de Le Guin.

Pour les trois restant, dont deux ("l'Anniversaire du monde" et "Paradis perdus" ) peuvent paraître manquer d'originalité, il est moins question de couple et de comportement sexué. Mais le rapport au langage, y est d'une importance capitale, ou au moins présenté comme tel dans : "Musique Ancienne et les femmes esclaves". Musique Ancienne est un ambassadeur de l'Ekumen au beau milieu d'une guerre civile dont les protagonistes “ne veulent rien entendre”. Le rapport oral et d'intermédiaire de l'ambassadeur avec les esclaves le sauvera… Dans "l'Anniversaire du monde", c'est l'étrangère, celle sauvée par “Dieu”, qui aide la “Prophétie” (verbale) à se réaliser alors que ceux auxquels elle est destinée n'osent l'accepter. "Paradis perdus" reprend notre bonne vieille idée de l'Arche Stellaire et des problèmes de générations… tout va bien tant que les deux héros SE parlent… et c'est par le Discours que les choses s'arrangent.

Si je m'en tiens à notre judéo-christianisme, on nous dit : « Au commencement était le Verbe » — certains l'appellent Souffle, Vie —, et je ne peux que vous inviter à entrer dans le monde créé par Ursula Le Guin…