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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 53 les Amazones de Bohême

Keep Watching the Skies! nº 53, mai 2006

Joëlle Wintrebert : les Amazones de Bohême

roman historique

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chronique par Pascal J. Thomas

Quand Joëlle Wintrebert avait par le passé mené des incursions sur les terres du roman historique, elle l'avait fait sous les couleurs du roman pour adolescents, et travaillé des périodes bien documentées (fin xixe, début xxe siècles). Elle s'aventure aujourd'hui aux confins de l'Histoire et de la légende, au milieu des tribus slaves qui peuplaient la Bohême juste avant la fondation de Prague. À leurs frontières, les brutales exactions des Francs (Charles, qui n'était pas encore Magne, venait de soumettre la Saxe à grands renforts de massacres). Et chez eux, la coexistence malaisée entre une religion traditionnelle peu crédible, et un christianisme qui montre le bout de son nez missionnaire.

Au vu du titre, on n'en sera pas surpris : un trio de femmes joue les rôles principaux dans l'intrigue de ce livre. Libuse, reine de Bohême par héritage ; Wlasta, une femme sortie du peuple qui s'est imposée comme chef de sa garde personnelle ; et Danna, conseillère (et ancienne amante) de la reine.

Personnage historiquement le plus connu1, Libuse est de santé fragile, et s'efface devant les autres. Et surtout devant l'homme qu'elle finit par se choisir, Premysl, paysan séduisant promu prince consort promu roi à l'inévitable mort de Libuse. Rôle difficile à tenir dans une cour qui, pour être primitive, n'en est pas moins complexe. C'est un des péchés mignons2 de Winterbert : les personnages sont multiples, et nombreux sont ceux dont, un instant, nous suivons les motivations. Les choses se compliqueront encore quand, au décès de leur reine et protectrice, les femmes combattantes menées par Wlasta (les Amazones du titre) quitteront le château de Premysl pour établir une cité nouvelle. Pacifiques ou non, les interactions, les interactions entre les deux centres ne cesseront pas, et demandent de suivre le fil des événements partout à la fois.

Les tensions religieuses évoquées plus haut s'incarnent dans l'antagonisme entre la prêtresse païenne Bota et les missionnaires, Waldo et son jeune acolyte Eigil. Waldo est un missionnaire idéalement tolérant — au point d'en être en délicatesse avec ses supérieurs —, et — curieusement au regard de l'histoire globale de l'Église — il se retrouve compagnon de route des Amazones. Nouveauté et vecteur de culture, le christianisme se vit ici comme révolte contre l'ordre établi. Un autre aspect est moins accentué : depuis le Moyen Âge au moins, la tradition populaire prête aux clercs maints exploits de séducteurs — en tant qu'hommes sans attache, et prestigieux, ils peuvent faire figure de recours pour les femmes. La sexualité, bien présente dans les Amazones de Bohême, n'est que timidement évoquée en ce qui concerne les ecclésiastiques. Une affection avunculaire de Waldo pour Eigil, la fascination de celui-ci pour une de ses séduisantes élèves, certes, mais tout ce monde reste bien sage.

L'essentiel du propos demeure, quand même, la construction d'une société de femmes. Héroïque, Wlasta s'arrache à son destin d'esclave pour inventer sa propre vie. Elle doit fare face à des affreux masculins de toute sorte3. Surprise — ou pas, finalement —, au milieu de tous ces protagonistes, la figure qui finit par émerger comme centrale est celle de Danna, la conseillère trop séduisante, tentée par les hommes, victime de ses faiblesses. L'ambiguïté gagne insensiblement sur l'héroïsme. De même que les hommes du livre qui restent supportables sont ceux qui gardent leur part féminine (Waldo, ou le toujours modéré Ctirad).

Ou peut-être que mes propres goûts me dictent cette interprétation ! En tout cas le livre est assez riche, assez varié pour intéresser bien des lecteurs différents. Et même s'il n'y a pas autant de “cuirasses et d'épées” que le promet la présentation de l'éditeur, il tient sans cesse en haleine.

Notes

  1. Sinon le seul attesté ? Je suis bien ignorant de la période, et le roman ne regorge pas de commentaires historiques, ce dont seuls les pervers de mon espèce songeront à se plaindre.
  2. L'autre, mais c'est sans doute pure question de perception de ma part, étant que les dialogues sont parfois rendus d'une façon qui me paraît trop autoriale, trop abstraite pour des échanges entre des êtres de chair. Même en prenant en compte l'indispensable artificialité d'un dialogue littéraire.
  3. Dont le pire s'appelle Radovan. Un choix de prénom dont on ne pourra pas croire qu'il est dû au hasard !