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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 51 Tracés du vertige

Keep Watching the Skies! nº 51, septembre 2005

Al Sarrantonio : Tracés du vertige

(Redshift)

anthologie de Science-Fiction

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chronique par Philippe Paygnard

À la veille du changement de siècle, en 1999, l'anthologiste Al Sarrantonio essayait, avec un certain succès d'ailleurs, de réunir, en un seul ouvrage et en vingt-neuf nouvelles, la quintessence de l'horreur et du suspense signée par plusieurs maîtres (anglo-saxons) du genre et quelques outsiders de bon aloi. La palette des textes proposés par cette anthologie, fort justement intitulée 999, allait du Fantastique tendance onirique jusqu'au polar le plus gore et parvenait sans peine à atteindre le but que s'était fixé Al Sarrantonio.

En 2001, ce dernier récidive en rassemblant sous le titre de Redshift trente récits destinés à constituer l'équivalent, revu et mis à jour, des Dangereuses visions de Harlan Ellison. L'intention est certes louable, en ces temps où la Science-Fiction se cherche et surtout cherche son public, mais le résultat peut paraître surprenant.

Ainsi, deux des textes d'ouverture de Tracés du vertige abordent le même thème, celui d'une rencontre du troisième type. Le face-à-face terriens-extraterrestres est décliné de manière fort différente, mais très intéressante, par les deux auteurs. Dans "Sur le K2 avec Karanedes", Dan Simmons nous propose ainsi de suivre l'ascension du plus haut sommet du globe par quatre alpinistes, trois humains et un extraterrestre. Leurs motivations sont diverses, mais leur passion est identique et leur permettra de dépasser le mur de l'incompréhension. Pour sa part, Laura Whitton, dont c'est le premier texte publié, nous fait suivre les tentatives désespérées de prise de contact d'une xénoanthropologue avec les “Froggies”, habitants d'une planète lointaine en passe d'être colonisée par une corporation minière. Ces deux histoires mettent en évidence les difficultés rencontrées par deux races étrangères pour communiquer et se comprendre, comme hélas bien des humains entre eux dans notre réalité quotidienne.

Même si elles se révèlent très présentes dans cette anthologie, les rencontres du troisième type ne sont pas l'unique thématique des Tracés du vertige. Ainsi, la romancière Joyce Carol Oates nous invite à une étrange "Remise des diplômes", un texte plein d'humour (noir) qui pousse à leur paroxysme les rites de passage des universités américaines. Tandis qu'Elizabeth Hand, dans "Cléopatra Brimstone", nous fait découvrir une jeune femme qui transforme ses amants d'un soir en papillons rares. Alors que Joe Haldeman nous entraîne sur la piste d'un tueur en série, dans "Meurtre sur la route", avec un rebondissement final inattendu et bienvenu. Quant à Catherine Wells, on peut rêver que sa "'Bassadrice" incite les générations futures à redécouvrir la lecture. Mais l'un des textes les plus visionnaires de Tracés du vertige est peut-être "Tulipe noire" de Harry Turtledove qui raconte en parallèle le destin d'un soldat russe, Sergei, et d'un moudjahid, Satar, pendant la guerre d'Afghanistan. Écrit avant les événements du 21 septembre 2001 et bien avant le début du conflit irakien, ce récit a vraiment quelque chose de prémonitoire.

Ce ne sont là que quelques-uns des auteurs présents au sommaire de Tracés du vertige qui a le grand avantage de réunir des écrivains venus d'horizons divers et appartenant à plusieurs générations1. Même si l'on ne peut pas être déçu par la lecture d'un recueil de nouvelles réunissant des signatures telles qu'Ursula K. Le Guin, Michael Moorcock, Thomas M. Disch, Larry Niven ou Gene Wolfe, pour ne citer que ces quelques figures de proue du genre, on peut se demander si Al Sarrantonio a bien atteint l'objectif qu'il s'était fixé, à savoir concevoir une anthologie capable de rivaliser avec les Dangereuses visions de Harlan Ellison. Et je crains que la réponse soit négative. En effet, depuis la fin des années 60, il n'existe guère de tabou que la littérature de l'imaginaire n'ait déjà abordé et les textes réellement visionnaires ou sérieusement dangereux ont tendance à se faire de plus en plus rares. Quant à savoir si tous les textes proposés par ces Tracés du vertige relèvent vraiment de la Science-Fiction ou de la fiction spéculative, c'est un débat qui nécessiterait plusieurs dizaines de pages et imposerait avant toute chose de s'accorder sur une définition claire, cohérente et admise par la majorité du concept de Science-Fiction.

Tracés du vertige n'en reste pas moins un bon recueil de nouvelles appartenant à la littérature de l'imaginaire, avec des textes suffisamment variés pour intéresser le maximum de lecteurs. Et surtout avec un anthologiste, Al Sarrantonio, au mieux de sa forme qui, même s'il n'atteint pas la cible définie dans son introduction, présente avec passion des récits et des auteurs de qualité.

Notes

  1. En plus des auteurs cités au fil de cette note de lecture, le sommaire de Tracés du vertige propose également des textes de Kathe Koja & Barry N. Malzberg, James Patrick Kelly, P.D. Cacek, Stephen Baxter, Paul Di Filippo, Gregory Benford, Kit Reed (avec Brian Quinette), Robert E. Vardeman, Nina Kiriki Hoffman, David Morrell, Peter Schneider, Rudy Rucker & John Shirley, Catherine Asaro, Jack Dann, Michael Marshall Smith, Ardath Mayhar et Neal Barrett, Jr., sans oublier la participation exceptionnelle de Joe R. Lansdale (le temps d'une courte notice biographique consacrée à l'auteur Al Sarrantonio).