Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 51 André Hardellet : une œuvre hors du siècle

Keep Watching the Skies! nº 51, septembre 2005

Françoise Demougin : André Hardellet : une œuvre hors du siècle

rédactionnel

 chercher ce livre sur amazon.fr

chronique par Éric Vial

Les hasards des bibliothèques font parfois tomber avec retard sur des ouvrages ayant quelques rapports avec la Science-Fiction, ou le Fantastique, ou le Merveilleux, et qui ont probablement échappé au “milieu” des amateurs. Comme le temps a passé, ils ne sont plus d'actualité… Par chance, reste KWS pour permettre de les signaler.

En l'occurrence, il s'agit de la présentation d'un écrivain, d'un poète, né durant l'hiver 1911, mort dans l'été 1974. Pas tout à fait oublié. Il est même réédité chez Gallimard : partiellement dans les collections "Poésie" et surtout "l'Imaginaire" depuis une douzaine d'années, intégralement dans la collection "l'Arpenteur", en trois volumes échelonnés de 1990 à 1992. Même de son vivant, il ne s'agissait pas d'un poète maudit, simplement d'un auteur ignoré salué par André Breton, ami de Brassens, de Fallet. Figurant dans la collection "Poètes d'aujourd'hui" de Seghers. Publié par Pauvert ou Régine Deforges. Condamné pour pornographie par un tribunal de la très intelligente France pompidolienne en 1973 pour Lourdes, lentes… paru quatre ans plus tôt, et réédité sans problème quatre ans plus tard en "10|18". Fournisseur de textes pour Guy Béart, dont le "Bal chez Temporel" qui eut, lui, quelque succès public. Copié sans référence explicite, pour trois vers de "l'Interdit de séjour", par Lavilliers. Adapté au cinéma, en 1970 avec Ils…, tiré de le Seuil du jardin, qu'il récusa, et en 1973 avec la Dernière Violette, qu'il réalisa lui-même d'après une de ses nouvelles, "le Tueur de vieilles" et qui fut beaucoup vu, sinon beaucoup regardé, le hasard l'ayant fait programmer longuement, en première partie d'Emmanuelle… Tout cela fait un itinéraire, pas une notoriété, et peu de lecteurs, peu dans l'absolu de son vivant, trop peu depuis malgré les rééditions.

Il a pourtant quelques rapports avec les genres qui nous intéressent ici. Avec la Science-Fiction sans doute, entre la politique-fiction pré-soixante-huitarde (?) du Parc des archers et la machine à vivre les rêves du Seuil du jardin (le film Ils… fut d'ailleurs projeté à la convention de Grenoble, en juillet 1974, et tant pis s'il aplatit le texte…). Avec le Fantastique surtout, car qu'il s'agisse de poésie, de faux roman policier, d'anticipation de ce qui fut plus tard la nouvelle Science-Fiction politique française (si !) ou d'apparence de texte pornographique, ses livres, romans ou recueils parlent perpétuellement du temps et de la nostalgie, du passé et des moyens de le retrouver, d'un monde situé au-delà des apparences, donc plus réel, que le nôtre, auquel on accède par des failles ou des labyrinthes. Paris y révèle « toute une machinerie masquée par des façades banales, comme un double-fond dans une boîte d'escamoteur » et « c'est à Londres qu'aboutissent et d'où partent ce que je nomme les corridors du Passé, ces voies parallèles qui vous permettent de sauter en marche sur une autre trajectoire du temps ». Il s'agit de retourner vers l'enfance, parfois vers une Belle époque mythifiée issue de tableaux impressionnistes, vers le jardin parcouru enfant, vers les premiers émois amoureux et les premières expériences sexuelles, vers ceux des souvenirs qu'il faudrait pouvoir conserver et reparcourir à l'exclusion des autres. On retrouvera là des stéréotypes, et quelque mauvais esprit pourra se laisser aller à une analyse sociologique un peu sommaire, un peu expéditive, mais difficile à contourner, en pointant l'héritier-rentier voyant se déliter les conditions permettant une existence telle que la sienne (celle de maints écrivains du siècle précédent…) et tonnant contre une évolution qui se fait sans lui — tout en se sentant par ailleurs coupable de l'aisance que ses amis n'ont pas ou n'ont pas toujours eue. Mais on retrouvera aussi des interrogations sur l'au-delà, avec des tentatives de réponse spiritualistes (mais non religieuses), faisant appel à la permanence du souvenir et à un paradis perdu qui relève de l'immanence. On retrouvera aussi des références à Nerval ou à Lewis Caroll, le thème du double, celui du labyrinthe déjà nommé, du revenant ou plutôt de la revenante, du parcours initiatique… et toujours celui de l'interpénétration du réel et du rêve, de présent et des souvenirs, de la circulation possible et du refuge offert.

Le livre de Françoise Demougin peut décevoir qui connaît déjà Hardellet. On peut s'irriter de la succession des trop brèves présentations des ouvrages, par ordre chronologique, de la biographie un peu plate, et, inversement, du désossage thématique. Mieux vaut considérer que ce travail participe d'une forme de reconnaissance : il est après tout le produit dérivé d'une thèse de doctorat, moins accessible mais plus profonde, et qui a valu à son auteur(e) d'être embauchée par une université, ce qui est une forme d'officialisation, de légitimation, de son sujet. Mieux vaut considérer aussi que c'est une invitation à la lecture, à la découverte ou à la redécouverte d'Hardellet, à l'usage des amateurs de littérature “générale”, “blanche”, “légitime” ou “académique”, bien entendu, mais aussi des “mauvais genres” qui nous intéressent ici. Certes, la circulation entre les deux se fait mal, et la bibliographie, qui explore le Monde et le Figaro, le Canard enchaîné et la Quinzaine littéraire, méconnaît feue Fiction où Christine Renard et Claude Cheinisse saluèrent pourtant Hardellet, leur ami, à sa disparition. Mais il n'y a pas lieu de faire de même. Qu'un auteur soit enfin reconnu universitairement n'est pas une raison pour le négliger. D'autant que celui-là vaut la peine d'être feuilleté, pour essayer, pour découvrir, puis, je l'espère, lire. Et dévorer.