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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 47 l'Ignoré

Keep Watching the Skies! nº 47, août 2003

Bentley Little : l'Ignoré

(the Ignored)

roman fantastique ~ chroniqué par Philippe Paygnard

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Il s'appelle Bob Jones. Mais il aurait pu tout aussi bien s'appeler John Smith, Hans Müller ou Jean Dubois. C'est un homme ordinaire. S'il fallait le décrire, on pourrait dire de lui que c'est un Américain moyen. Il mène une vie moyenne, sans surprise, dans la banlieue ordinaire d'une ville américaine normale. Embauché par Automated Interface, Inc., Bob devient fort logiquement un employé moyen dans cette entreprise moyenne. Pourtant, peu à peu, Bob se rend compte qu'il passe inaperçu aux yeux de la majorité de ses collègues. Et cela n'a rien d'une simple impression ou d'un sentiment fugace, c'est une réalité. Sans aucune haine, ni aucun ressentiment, ses collègues l'ignorent.

Même si l'Ignoré n'est que son troisième roman publié en France [1], Bentley Little a déjà une longue et prolixe carrière d'écrivain derrière lui. Il compte à son actif plus d'une centaine de nouvelles. Trois d'entre elles ont été traduites. "Le Lama" a ainsi été publiée dans l'anthologie le Choix ultime (J'ai lu, 1995) et "la Peau et les os" dans la prestigieuse anthologie périodique d'Alain Dorémieux : Territoires de l'inquiétude (nº 8, Denoël, 1995). Alors que "le Théâtre" est parue dans l'anthologie du millénaire 999 (Albin Michel, 1999), aux côtés de textes de Stephen King, William Peter Blatty, Ramsey Campbell et d'autres maîtres du Fantastique réunis par Al Sarrantonio. Bentley Little est également l'auteur d'une douzaine de romans, parmi lesquels Dominion et the Store, où il donne une vision très personnelle et très angoissante des États-Unis.

Dans l'Ignoré, Bentley Little nous présente l'archétype de l'Américain moyen, Bob Jones. Il a fait des études moyennes dans une université de second plan. Il a une compagne, Jane, qui n'est ni laide, ni belle, et avec qui il vit une aventure sentimentale qui n'a rien d'une grande histoire d'amour. Il a un diplôme qui ne lui ouvre pas toutes les portes qu'il voudrait, mais parvient à décrocher un emploi de rédacteur qui se révèle bien vite sans grand intérêt. Bref, Bob Jones est un homme très ordinaire qui ressemble à des milliers d'hommes ordinaires et à qui il est extrêmement facile de s'identifier. En fait, même si, en tant que lecteur, on refuse de lui ressembler, il est terriblement difficile de ne pas trouver au moins un point commun avec cet individu d'une moyenne désespérante. Et lorsque l'on commence à se confondre un tant soit peu avec Bob Jones, on tombe alors dans le piège de Bentley Little. En nous entraînant à la suite de Bob Jones, Little se sert d'une des grandes peurs de notre société moderne hyper-médiatisée, l'anonymat. Prenant le contre-pied d'une télé réalité qui transforme des gens ordinaires en vedettes d'un jour, Bentley Little plonge ses personnages dans un anonymat éternel pire que la mort. Mais il sait fort bien personnaliser cette angoisse. Il la rend crédible à travers le quotidien de Bob Jones, cet homme qui devient peu à peu transparent pour ses collègues. Loin d'être un cas isolé, Bob Jones n'est qu'un Ignoré parmi d'autres et Little nous entraîne à sa suite dans cet univers parallèle au nôtre. Mais le romancier ne commet pas l'erreur de donner une explication à ce phénomène. Il se contente de laisser ses personnages imaginer qu'il peut s'agir d'une maladie, d'une mutation génétique ou d'autre chose. Quoi qu'il en soit Bob Jones et les autres Ignorés doivent faire face à une situation qui les dépasse et à laquelle ils ne sont pas préparés.

Comme dans la plupart des œuvres de Bentley Little, le point de départ de l'Ignoré est un quotidien d'une banalité affligeante que le romancier transforme ici, par petites touches successives, en une inquiétante plongée dans l'angoisse. Il est alors difficile de ne pas lire d'une seule traite ce roman à l'écriture fascinante et angoissante. Pourtant, s'il ne fallait retenir qu'une phrase de ce livre, ce serait peut-être ce message d'espoir : « Nous ne sommes pas des Ignorés pour ceux qui nous aiment. » Une citation qui résume assez bien une des facettes de cet excellent roman de Bentley Little.

Notes

[1] Le Postier (Pocket, 1995) et Révélation (Pocket, 1999) sont les deux autres romans de Bentley Little à avoir été traduits en France. Le second, qui est en fait le premier du romancier, a d'ailleurs obtenu le Bram Stoker Award du meilleur premier roman, en 1991.