Keep Watching the Skies! nº 19, mai 1996
Alain Dorémieux : Territoires de l'inquiétude 8
anthologie de Fantastique ~ chroniqué par Philippe Paygnard
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Avec ce huitième volume des Territoires de l'inquiétude, Alain Dorémieux nous invite à découvrir l'obsession sous toutes ses formes et ceci au travers d'une sélection de dix-huit textes d'origines diverses.
La thématique de l'obsession est assez floue pour permettre à Alain Dorémieux de réunir des textes suffisamment variés pour plaire à un maximum de lecteurs. L'obsession peut ainsi prendre de multiples formes, celle d'un objet ou d'une maladie. Elle peut également prendre des visages différents, celui d'un être cher ou de la mort elle-même. Les dix-huit textes présentés ici nous démontrent tout aussi bien que la littérature fantastique peut également être une douce obsession.
On retrouve au sommaire de ce huitième volume quelques-uns des auteurs habituels des Territoires de l'inquiétude. Ainsi, Steve Rasnic Tem joue-t-il la carte d'un fantastique au quotidien avec deux textes, "Ses nouveaux parents" et "Brimades". Sont également présents : Charles L. Grant ("Toutes les chances dans la vie"), Lisa Tuttle ("Oiseaux de lune") et Robert R. McCammon ("Le temps est assassin").
À travers ces textes et au delà de la thématique commune proposée par Alain Dorémieux, il faut remarquer que la majorité des nouvelles anglo-saxonnes tournent autour de la famille. Elles décrivent les relations difficiles qui peuvent exister entre parents et enfants, frères et sœurs, surtout lorsqu'un élément incongru vient compliquer les choses.
"Mort-né", de Nina Kiriki Hoffman, est symptomatique de cette approche toute américaine de l'obsession. Et ce n'est pas sans raisons qu'Alain Dorémieux décrit ce texte court en ces termes : « bizarre et effrayant ». La thématique fraternelle de cette nouvelle se retrouve, traité de manière plus classique, dans "Affaires de famille" de Gary A. Braunbeck. Quant à Bentley Little, il donne une vision anthropophagique de la vie familiale dans "La peau et les os".
Mais le texte le plus fort de cette sélection américaine est, paradoxalement, celui dont l'élément fantastique est le plus discret. En effet, comment ne pas être touché, effrayé ou terrorisé par cette description d'une mort annoncée dans "Le sifflet" de David B. Silva.
Pour compléter cette sélection anglo-saxonnes, on découvre avec "C'est en août" que Garfield Reeves-Stevens sait tout aussi bien manier le fantastique que la poésie, alors que Richard Matheson, grand ancien de la littérature fantastique américaine, donne immédiatement la tonalité de ces huitièmes Territoires de l'inquiétude avec quelques "Messages personnels".
Si l'école américaine se taille encore la part du lion dans cette anthologie, on se doit de constater une véritable montée en puissance de la francophonie. À ce sujet, Alain Dorémieux, dans son avant-propos, prend le temps de dresser la déjà longue liste des auteurs francophones retenus pour les prochains volumes des Territoires de l'inquiétude qui ne seront hélas qu'annuels.
Joëlle Wintrebert se livre à un exercice de style en offrant à "L'œil rouge du coutelier" deux points de vue pour une seule aventure. Le duo Jacques Barbéri-Emmanuel Jouanne joue avec les mots dans "La fille 200", un texte qui aurait très bien pu figurer dans le volume précédent des Territoires de l'inquiétude consacré aux héritiers de Dracula. Enfin, Alain Dartevelle nous entraîne dans un monde parallèle, celui de "Fictif K. Dick".
À côté de ces professionnels de la science-fiction et du fantastique, trois jeunes auteurs français issus de l'univers des fanzines viennent se mesurer à leurs glorieux aînés. Avec "Futur antérieur", Jean-Michel Blatrier livre un texte intéressant qui a pour unique défaut d'être bâti sur deux idées fortes qui s'entrechoquent sans réussir à fusionner. Raymond Iss fait court, efficace et l'on retrouve dans son "Bas les pattes" des influences anglo-saxonnes certaines. Pour terminer, Patrick Raveau nous parle d'un amour fantastique et obsessionnel à souhait dans "L'autre rivage".
Cette huitième livraison des Territoires de l'inquiétude offre également à Alain Dorémieux l'occasion de rendre un ultime hommage à Robert Bloch. Disparu le 23 septembre 1994, l'auteur de Psychose est représenté ici par "La citrouille", un petit récit sans prétention mais de grande qualité.
