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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 45 Girl in landscape

Keep Watching the Skies! nº 45, octobre 2002

Jonathan Lethem : Girl in landscape

roman de Science-Fiction inédit en français ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Le titre en est presque pédagogique : la Science-Fiction, nous le savons, s'intéresse au paysage plus qu'au protagoniste. Le lecteur étranger au genre ne l'aura peut-être pas saisi, on lui dit, mais en couverture — de cette édition, au moins —, c'est la girl qui s'arroge les feux de la rampe, sous forme de corps typographique surclassant largement celui du landscape. Les deux vont se disputer le cœur du roman.

Pella Marsh a bien des raisons de ne pas être bien dans sa peau : deux petits frères plus ou moins insupportables, un père (Clement) qui vient de manquer sa réélection et ne s'en relève pas, une mère (Caitlin) qui meurt en quelques mois d'un cancer du cerveau. Et surtout, elle a treize ans.

Pour compliquer le tout, Clement Marsh a décidé que son sort sera plus enviable sur la planète des Archbuilders, où s'installent petit à petit des colons humains. Son veuvage ne l'arrête pas, et il emmène ses trois enfants pour le voyage interstellaire. L'essentiel du roman se déroule sur la planète étrangère, où vivent des extra-terrestres qui, malgré leur étonnante passion pour la diversité linguistique en général, et un anglais fleuri en particulier, ne sont plus que l'ombre de leurs ancêtres (les bâtisseurs de ces Arches qui leur ont valu leur nom) ; et des colons humains dont l'attitude vis-à-vis de la planète couvre une vaste gamme (de la haine à l'amour mystique en passant par l'investigation scientifique et l'indifférence agacée).

Il y a plus, et Pella va découvrir la vraie influence de la planète sur son corps — qui lui donne par là même un moyen de savoir ce qui se passe derrière la façade que les adultes veulent encore maintenir à son égard. Les découvertes de Pella sur sa personnalité, et sur celles des autres, vont malheureusement entrer en collision avec les passions qui agitent le petit groupe des colons, isolés dans un recoin inhospitalier de la planète. Des passions que l'on peut lire selon la grille des positions moralo-politiques américaines (des liberals, correspondant à la gauche du Parti Démocrate, représentés par Clement Marsh, aux réactionnaires racistes dont Efram Nugent est le représentant haïssable — mais beaucoup plus subtil qu'il n'y paraît).

Mais la morale compte moins pour Pella — ou pour Lethem — que les sentiments et les caractères. Il n'est pas indifférent que le principal élément spéculatif du roman — au-delà de l'extrapolation de l'effet de serre ou des modestes particularités culturelles des Archbuilders — soit la capacité de Pella à sortir de son corps : adolescente pubère, elle se sent aussi mal dans ce corps que dans sa famille en délicate transformation, avec un père qui donne toute la mesure de son incompétence une fois sa femme disparue. La S.-F. de Lethem projette ici à l'extérieur le malaise intérieur de ses personnages, sans trop de soucier de parer sa création planétaire des atours de la vraisemblance. On peut se demander, par exemple, que diable les humains viennent-ils chercher sur cette planète où l'on n'aperçoit pas la queue d'une activité économique profitable — sans parler de compenser les coûts immenses du vol interstellaire. La planète des Archbuilders joue dans ce roman le même rôle que Mars dans les romans de Dick (le Dieu venu du Centaure, par exemple) : un désert, où l'humain se retrouve face à lui-même — sinon face à l'expérience mystique, comme dans le désert biblique.

Je n'ai pas encore réussi, au fil de mes rares lectures de cet auteur, à trouver chez Lethem des tics de création ou des motifs fétiches ; Girl in landscape, au-delà du rythme du titre, est radicalement différent de Gun, with occasional music. Il s'agit ici d'un roman psychologique déguisé en S.-F., tout en restant original du point de vue S.-F. Avec des retournements qui reposent sur les caractères des personnages. Belle réussite, même si elle peut paraître un peu austère.