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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 26 Par tous les temps

Keep Watching the Skies! nº 26, novembre 1997

Colette Fayard : Par tous les temps

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Jean-Louis Trudel

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L'idée de départ est intéressante : pour changer l'Histoire, un petit groupe de maîtres du temps décide de superposer l'esprit d'un baroudeur de leur époque à l'esprit de Rimbaud, poète précoce devenu académicien autour de la quarantaine. Ainsi, Jean Le Monnier, aventurier déchu, s'incarnera en Rimbaud alors que celui-ci fait ses premières armes de poète, un peu avant 1870. La fusion catalyse l'apparition d'un poète autrement plus dynamique et désespéré. Dans une certaine mesure, cette fusion rappelle un peu l'aventure de Glogauer dans Voici l'homme de Moorcock, si je me souviens bien.

D'autant que ce Rimbaud-Le Monnier, devenu trop indépendant au goût de ses maîtres, est coupé de sa base dans le futur et que Le Monnier perd du coup ses racines dans l'humanité de l'avenir. Dès lors, ce sera le début de la déchéance pour Arthur Rimbaud, qui signe parfois Jean. Il ne sera visité et réconforté que par un autre maître du temps, qui s'est affranchi des contraintes des machines temporelles.

En une phrase, dans ce roman, la Science-Fiction est ridicule et l'écriture est magnifique. La question du paradoxe temporel instauré par les maîtres du temps qui envoient Le Monnier hanter Rimbaud, si lucidement traité dans un Paysage du temps de Benford, est ici complètement éludée, sauf par le recours à ce Stefano Capelletti qui échappe aux contraintes habituelles, grâce à la consommation d'une drogue chinoise et la pratique d'une discipline mentale particulière et ô combien commode ! Les contours du vingt-neuvième siècle esquissé par Fayard sont plutôt flous ; l'Islam socialiste, à la rigueur, ça peut aller, mais c'est le parcours historique qui passe par une personnalité d'exception et une guerre chimique victorieuse menée par le Kurdistan — contre le reste de la planète… — qui font plutôt rigoler. Et, dans le futur où Rimbaud est devenu le Rimbaud qu'on connaît, ça se traduit par la présence de princes-poètes. Sur ce qui touche à la possibilité d'une telle chose, Fayard est décidément d'une naïveté sans failles…

Néanmoins, l'idéologie de l'art et de la poésie que Fayard expose est séduisante et elle décrit avec maestria le parcours de Rimbaud. Malheureusement, elle semble prendre pour acquis que tous ses lecteurs seront des experts de la vie de Rimbaud au même titre qu'elle. Ce n'est pas mon cas ; je l'ai étudiée dans le temps, mais il y a bien des épisodes et des poèmes dont je ne me souviens que très vaguement. Ainsi, tout l'épisode entre Verlaine et Rimbaud à Bruxelles, se terminant sur un coup de revolver, est escamoté par Fayard, sans doute parce qu'il est trop bien connu d'elle, alors qu'il serait a priori importantissime pour la compréhension du personnage. Il suffit de comparer ce roman aux œuvres de Tim Powers comme le Poids de son regard pour voir à quel point l'histoire de Keats et Shelley se laisse lire de façon autonome quand Powers la recrée dans le cadre de son livre, tandis que l'histoire de Rimbaud narrée par Fayard flotte un peu dans le vague…

De plus, l'importance historique que Fayard attribue à Rimbaud semble relever d'un certain ethnocentrisme. Bon, d'accord, Rimbaud est une influence des surréalistes et il a été une référence des soixante-huitards, mais le surréalisme est surtout resté un mouvement artistique et Mai 68, vu d'Amérique du Nord, semble un épiphénomène plus qu'autre chose.

Disons que j'ai aimé lire ce roman, mais que je m'empresserai de le reléguer au sous-sol. Par contre, il m'a inspiré l'envie d'aller redécouvrir — à défaut de lire le prochain roman de Fayard — l'œuvre de Rimbaud, ce qui n'est déjà pas si mal.