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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 26 Lectures pressées

Keep Watching the Skies! nº 26, novembre 1997

Honoré de Balzac : Jésus-Christ en Flandre ~ Melmoth réconcilié

H.P. Lovecraft : les Rats dans les murs

(the Rats in the walls)

Jean Ray : le Psautier de Mayence

nouvelles fantastiques

Jack London : Construire un feu

(To build a fire)

nouvelle de littérature générale

Barbara Sadoul : la Dimension fantastique, tome 1

anthologie de Fantastique ~ chroniqué par Christo Datso

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Lectures pressées ou à dix balles.

Cherchez l'intrus ! Dans ma liste de bouquins à dix balles se glisse un texte que l'on ne classerait pas a priori dans la catégorie du “Fantastique” [1].

Parlons-en, du Fantastique ; il a bon dos en cette année, centenaire vampirique oblige, de nous être servi à toutes les sauces sanglantes des recettes destinées, soi-disant, à faire peur [2]. Ridicule ! Le Fantastique, ça n'a rien à voir — ou si peu — avec des histoires de Grand Guignol. Voyez plutôt…

Les légendes qui sentent bon la campagne ou l'air marin, comme ce "Jésus-Christ en Flandre" dû à l'auteur de la Comédie humaine ; voilà une belle entrée en matière pour rêver d'une autre vie, à petites doses, pour prier qu'un miracle survienne pendant le déchaînement des vents et des marées, telles ces âmes simples qui seront sauvées.

Les histoires de marins — grande source classique d'histoires brumeuses, voyez le pays d'Armor si riche en légendes de la Mort… Mais elles prennent aussi l'allure des voyages vers les glaces : Arthur Gordon Pym était passé par là ; et Jean Ray aussi, avec ce "Psautier de Mayence" ambigu, dérive folle d'un navire et de son équipage, hanté d'une présence maléfique, jouet des forces magnétiques entre les mondes… Peut-être est-ce de la Science-Fiction qui s'ignore ? Toute l'histoire tient en un objet, “porte entre les mondes”, dispositif classique, diabolique, ou… extraterrestre. Qu'importe ! L'effet se glisse, lent et subtil, on lit et on a — un peu — peur. Mais le style rude, les silhouettes au couteau, les pipes d'écume et le lard salé valent bien le détour, le temps d'une insomnie…

Alors, s'il le faut, treize nuits de suite faudra-t-il vous réserver, pour diluer le venin de la Dimension fantastique dans votre sang épais. Attention à certaines toxines très violentes !

Une parenthèse s'impose ici, car malheureusement, malgré tout le louable effort qui consiste à présenter, pour dix balles, une bonne anthologie de nouvelles fantastiques, classiques pour la plupart, à un public tout-venant — la collection Librio s'achète vraiment n'importe où, même dans les gares —, une critique acerbe s'impose, question de détail-qui-tue.

C'est du Fantastique classique disais-je ; très bien, passons vite des attendus Hoffmann, Gautier, Poe ou Nerval, à Erckmann-Chatrian, moins connu, l'alsacien bicéphale, ou Alphonse Daudet, que l'on n'attendrait pas en ces pages, de même que George Sand. Bien. Viennent alors les fantastiqueurs fin de siècle, Villiers de l'Isle-Adam ou le génial Maupassant (mon préféré dans la bande) avec son obsessive Chevelure ; nous passons alors à travers Lovecraft (évidemment, quoique…), Jean Ray (un Belge !), et Claude Seignolle (le chantre des légendes du terroir). Le parcours pourrait s'arrêter, et nous en serions émus, plus riches, repus. Mais voila, une surprise de taille : car de nouvelles, il y en a treize, et c'est avec Richard Matheson que se conclut cette Dimension fantastique. Ah ! Et avec quel texte ! Je me précipite pour relire "Escamotage", un de ses plus purs chefs-d'œuvre. C'est du Fantastique moderne que celui-là, très très moderne.

Cochonnerie ! Rage ! Ils ont massacré son texte ! Qui ? Oh, non, pas le traducteur, Alain Dorémieux avait fait correctement son travail, en 1973 lorsqu'il proposait le texte dans la magnifique anthologie qu'il consacrait à Matheson, les Mondes macabres… Non, pas lui, et pourtant, il y a des erreurs qui se répètent, des détails qui tuent à la peau dure, d'indignes méprises. Présentant le texte, Dorémieux écrivait : « Pour sa première parution en français, dans la revue Fiction en 1956, cette nouvelle fut victime d'une mésaventure qui devait demeurer proverbiale. Le récit, rédigé à la première personne par le héros et narrateur, se concluait dans le texte américain par un mot laissé volontairement inachevé, sans la moindre ponctuation terminale. Toute la force d'impact de la chute reposait précisément sur ce mot tronqué net, qui évoquait l'idée de quelque couperet tombant pour clore brutalement le fil de la narration. ».

Dorémieux explique ensuite comment, à la dernière minute, un correcteur d'imprimerie trop zélé, croyant avoir affaire à une coquille, rétablit l'orthographe au détriment du sens…

Barbara Sadoul, qu'as-tu fait ? Ou qu'as tu laissé faire, une fois de plus, quarante ans après ! Tu avais pourtant sous les yeux la traduction de Dorémieux. Ou ne l'as tu pas lue ? Je ne sais… mais un malin génie s'est amusé cette fois-ci à un double contresens, puisqu'il a “corrigé” le mot tronqué, mais “oublié” le point final. En psychanalyse, cela s'appelle une “formation de compromis”, un bel assemblage inconscient pour un acte manqué !

Que dire d'autre ? Le Fantastique se glisse dans le réel, dans le corps même des lettres, des nouvelles fantastiques que nous lisons. Inquiétant.

Cela dit, mon hypothèse d'un acte manqué doit être bonne, puisque sur la page de couverture, nous lisons en sous-titre “13 nouvelles d'Hoffmann à Claude Seignolle”. Hé non ! Matheson a subit son propre Escamotage. Alors un bon conseil si vous achetez ce Librio : déchirez la dernière nouvelle, et procurez-vous une copie de la traduction de Dorémieux, à la lettre (moins une) !

Alors voilà, après cette virée fantastique, le reste de nos lectures pressées manque de goût. Témoin, ce grotesque Lovecraft. On prétend que c'est un des grands écrivains fantastiques du siècle. Mais les fans et autres zélotes derlethiens en mal d'écrivain maudit qui ont cru trouver dans le reclus de Providence une sorte d'Edgar Allan Poe moderne, se sont, à mon humble et personnel avis, fourrés le doigt dans l'œil. J'avoue n'avoir pas “tout” lu du “maître du macabre”. Que voulez-vous ? L'ennui s'installe vite lorsque j'ai le sentiment de relire constamment la même histoire, de me refaire une leçon de Grands Anciens à chaque page. Bah ! Il en faut pour tous les dégoûts…

Reprenons Balzac alors. Quoi de plus frais dans cette débauche de gros effets fantastiques, qu'une novella comme "Melmoth réconcilié" ? Le cher Honoré de pratiquait déjà la littérature référentielle, puisque son Melmoth, diable d'homme qui dévore les âmes déchues, et qui finira "réconcilié" par la Bourse et le Capital, renvoyait ironiquement à l'œuvre frénétique de l'Irlandais Charles Robert Maturin.

Je garde le morceau de choix pour la fin. L'intrus, si l'on veut, question de définition, est ce superbe texte que je vous recommande séance tenante, qui vaut largement tous les autres, "Escamotage" mis à part, cette nouvelle, "Construire un feu", de Jack London, grand écrivain américain, précurseur de Science-Fiction (la Peste écarlate, le Talon de fer…), aventurier, chercheur d'or dans le Klondyke, marin…

"Construire un feu" fait partie des récits qui ont pour cadre le Grand Nord. L'histoire est toute simple : un homme lutte contre un froid effrayant de moins quarante degrés. Tout tient aux fragiles allumettes avec lesquelles il pourrait se faire un feu, et sauver sa vie. Rien d'autre que lui, la nature, et le chien. Le regard que ce dernier porte sur l'agitation humaine est sans appel. C'est beau, et terrible. L'écriture est parfaite : sèche, dure, efficace. Taillée pour servir son but : nous renvoyer à presque rien. Du grand art ! Et c'est cela, une des véritables dimensions fantastiques ; l'intrusion brutale de ce qui nous dépasse, mais dans l'extériorité du point de vue, la clarté, la précision décapante des mots et des idées.

Notes

[1] Et si vous pensez que c'est celui de Balzac, vous avez perdu !

[2] Bram Stoker : Dracula, 1897 — si vous ne le saviez pas encore…