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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 24-25 le Siège de Bruxelles

Keep Watching the Skies! nº 24-25, juin 1997

Jacques Neirynck : le Siège de Bruxelles

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Éric Vial

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Il y a deux ans, avec le Manuscrit du Saint-Sépulcre, au Cerf, Jacques Neirynck jouait avec — entre autres — la théologie, les restaurants romains et la nomenklatura pontificale. Cela donnait quelque chose qui, avec un peu de mauvaise foi, pouvait être rapproché de la hard science, et qui, en tout état de cause, renvoyait à la politique-fiction, avec entre autres l'élection d'un pape helvète, et au fantastique ou au merveilleux rationalisé, avec par exemple une hypothèse sur la façon dans le corps du Christ avait quitté ce bas monde. Il en a été question dans KWS (nº 9, octobre 1994, comme le temps passe…). Il en a été aussi question ailleurs, et pas seulement dans la presse confessionnelle. Il faut dire que c'était tout à fait réjouissant, et un large public a semble-t-il apprécié. Cette fois, chez un autre éditeur, mais lui aussi plus familier des sciences religieuses que de la Science-Fiction, le même Neirynck (Bruxellois par la naissance, Lausannais par les fonctions, scientifique de formation et accessoirement ancien directeur de Que choisir) s'en prend à l'existence de la Belgique (certes déjà bien éprouvée cette saison — c'est une coïncidence), et au-delà de celle-ci à la construction européenne — sans renoncer d'ailleurs à parler de spiritualité.

On est au tout début du xxie siècle. Demain. Le narrateur, conservateur des églises désertées de Bruxelles alors que la ville et la Wallonie ont été mises à genoux par la crise économique, est aussi le cousin du leader fasciste — porté à la tête de la Flandre, et qui rêve d'un état néerlandophone allant de Dunkerque à Rottumeroog (tout au bout des îles frisonnes… à vos atlas !). De complot en conciliabules, d'annexion de Bruxelles par le susdit leader en manœuvres douteuses d'un ministre français des Armées supposé d'origine corse, d'assaut flammingant contre un ghetto d'immigrés en discussions avec un roi des Belges dont le royaume se défait définitivement, on a un feuilleton sans temps morts qui parle de problèmes de fond pour nos voisins et amis, et qui touchent à l'identité et à l'existence même du pays. Au-delà, il est question de l'Europe, d'une Europe à deux vitesses, entre les pays ayant satisfait aux critères de Maastrich et les autres, d'une Europe où la Belgique, déjà aujourd'hui « le plus riche des pays ruinés », s'enfonce pour moitié dans la misère, et pour moitié dans le totalitarisme.

On peut ne pas apprécier certaines visions, trouver fort réductrice l'idée d'un affrontement entre Germains et Latins, regretter aussi que le meilleur rôle, au bout du compte, semble dévolu aux eurosceptiques britanniques… On peut aussi prendre en compte l'avertissement, qui veut que les opinions du narrateur n'engagent pas la responsabilité de l'auteur, et noter l'absence de manichéisme : que le narrateur soit aussi un poète flamand évite sans doute de tomber dans l'anathème brélien qui dépeignait les neerlandophones comme « nazis pendant les guerres et catholiques entre elles ». Le refus du manichéisme va d'ailleurs sans doute un peu trop loin, lorsqu'est transfiguré, ou du moins largement réhabilité, le leader fasciste déjà évoqué, dans la mesure où la façon dont d'autres puissances, à Paris et plus encore à Berlin, l'ont manipulé, et où celle dont il s'en est tiré, font oublier ses méthodes de politique intérieure… Il est vrai qu'à nouveau on n'a là que le point de vue du narrateur…

Plus important est peut-être le fait que ce roman symbolise la fin des peurs nées de la guerre froide, et l'arrivée ou le retour d'autres, qui sont bien celles de notre temps — entre la crise, les nouvelles barbaries tribales incarnées par les “nettoyages ethniques”, et l'inquiétude devant l'irresponsabilité de banques centrales qui font passer leurs présupposés idéologiques pour des lois incontournables, au mépris de la simple démocratie. Le tout, dans ce qu'il pourrait avoir de très sombre, comme l'illustration de couverture empruntée à Jérome Bosch, étant éclairé par infiniment d'humour et de tendresse pour l'humanité, celles-là même qu'il a été possible d'apprécier dans le Manuscrit du Saint-S épulcre.

On ne s'étendra pas ici sur l'aspect religieux, fort présent. D'aucuns le trouveront lourd. D'autres l'excuseront d'autant plus facilement que la piété massive n'empêche pas quelques charges contre l'Église catholique. D'autres encore trouveront peu plausible et infiniment agaçante la conversion du leader fasciste, devenant in fine, par la grâce d'un ermite, un personnage fréquentable. Il est par ailleurs évident que, pour ce qui est de l'ensemble du roman, l'avis d'un critique français, même amateur de bières belges, ne saurait faire foi. Et que l'avis de Warfa, ou de Delsemme, envoyé depuis Liège, serait plus que le bienvenu, même s'il devait être dévastateur.

Reste qu'au bout du compte, il y a là un ouvrage intéressant, et quelque peu plus que cela, et un roman qui ressort parfaitement du domaine de KWS. Comme ni le titre, ni la couverture, ni l'éditeur, ne l'indiqueraient de manière évidente, il était bon de le signaler, comme il serait bon que quelques amateurs le lisent…