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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 24-25 Galaxies, imagine… & Solaris

Keep Watching the Skies! nº 24-25, juin 1997

Joël Champetier : Solaris 120

revue de Science-Fiction & de Fantastique

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

Paul-G. Croteau : imagine… 76

revue de Science-Fiction

Stéphane Nicot : Galaxies 3

revue de Science-Fiction

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

Stéphane Nicot : Galaxies 4

revue de Science-Fiction ~ chroniqué par Jean-Louis Trudel

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

En dépit des dates divergentes, j'ai reçu et lu les trois premières revues données ci-dessus pratiquement en même temps, ce qui confirme d'emblée qu'imagine… maintient son retard d'environ six mois.

Voyons d'abord les fictions, en commençant par "le Craqueur" d'Alain le Bussy dans imagine…, la nouvelle lauréate du Prix Septième Continent. Alain le Bussy a parfois signé des textes fort estimables dans leur genre, tel le roman Deltas au Fleuve Noir Anticipation. Cependant, rarement ai-je lu texte plus décevant de sa part que cette nouvelle, peut-être parce qu'elle essayait de faire preuve pour une fois d'innovation au niveau de l'imaginaire science-fictif.

Certes, narrativement parlant, c'est de la S.-F. bien carrée, presque archaïque mais pas entièrement démodée. Les personnages sont bien typés, à un niveau au-dessus — mais pas plus — des caricatures qui peuplent le village d'Astérix. Les rebondissements se succèdent sans temps mort et il y a quelques trouvailles intéressantes au chapitre de la nomination. C'est à peu près tout ce qu'il y a de positif à dire au sujet de ce texte.

Passons au passif… C'est l'histoire de la colonisation d'une planète éloignée par des humains, à raison de vagues de cent personnes environ tous les deux-trois ans. Les premières années sont idylliques : solidarité, défrichement, constitution d'un petit monde uni. Puis la population s'accroît et les conflits s'installent : jalousies, mésententes, drames passionnels… Mais alors que les colons sont sur le point de s'entre-déchirer, quatre ans environ après leur venue, un nouvel ennemi surgit des forêts environnantes, une créature mystérieuse appelée le “Craqueur”, plus redoutable que les “lupides” indigènes qui s'en prennent au bétail terrestre (faut croire qu'il n'y a pas d'incompatibilité protéinique). La menace resserre les liens distendus entre les colons ; une nouvelle cohésion s'instaure au fil des incidents de plus en plus inquiétants. Alors que les colons sont aux abois, ils organisent une battue dans la forêt, carabine en main, et le protagoniste de la nouvelle réussit à mettre le Craqueur hors de combat, découvrant à cette occasion que c'est un officier débarqué par le premier astronef et chargé à la fois de surveiller le moral des colons et de stimuler leur développement technique en prenant toutes les mesures (hostiles au besoin) qu'il juge nécessaires.

Sidérant… Par où commencer pour stigmatiser l'absence de réflexion qui caractérise ce texte ? Le concept de base, qui se laisse subodorer plusieurs pages avant la révélation finale, n'emporte pas la conviction. Comment croire à un officier qui aurait vécu en solitaire pendant trois années complètes avant de se manifester, qui finit par s'en prendre à des colons qu'il a pour mission de harceler et non blesser, et qui est censé incarner une sorte de facteur darwinien ? S'il n'était pas fou au départ (une hypothèse beaucoup plus plausible que ses propres affirmations faisant de lui un chargé de mission), il y aurait de quoi vite perdre la raison… Trois ans sans parler à quiconque ? Les bagnards les plus endurcis redoutaient de telles sentences… Et comment accepter que les instances ayant commandité cette opération aient pu consentir à laisser un seul homme remplir une mission d'une telle importance, alors qu'il pouvait facilement périr accidentellement avant de se faire remplacer au bout des cinq années prévues ?

Et comment croire à cette colonie où les colons (quelques centaines sur les milliards que doit compter la Terre à l'époque) semblent assez peu triés sur le volet, puisqu'on retrouve dans le tas un ancien employé de bureau explicitement décrit comme inapte à la vie de colon, un jaloux qui est violent au point de trancher le nez à la femme qui l'a dédaigné (au risque de sembler naïf, je ne crois pas qu'un échantillon aléatoire de deux cents personnes — probablement biaisé en faveur d'un certain équilibre mental — comporte nécessairement un détraqué du genre), un pinailleur irrépressible, etc. ? Comment croire que, deux ans environ après la colonisation, on se rende compte soudain que la planète, le soleil, les plans d'eau et autres éléments du décor n'ont pas encore reçu de noms ? Comment croire qu'une colonie, établie non sans mal puisque le voyage prend six à sept ans, n'ait pas de structure sociale pré-établie, pas de cadre juridique, pas de shérif ou de maire ? Cette improvisation totale contredit complètement la planification à long terme que l'existence du Craqueur incarne.

Au niveau de la construction de monde et de la description, le Bussy se rend coupable de quelques inepties. Il y a l'affirmation qu'il « y avait de la place en suffisance [sur cette planète] pour que les premières centaines de milliers de colons se taillent des domaines plus grands qu'un bon nombre d'États terriens. ». A priori, une seule interprétation semble permise : que chaque colon parmi les premières centaines de milliers puisse se tailler un domaine plus grand que les plus petits États terriens.

Or, prenons la Belgique, même s'il n'y a pas tant d'États terriens plus petits que la Belgique, et multiplions par 200000 : on trouvera alors que, si la planète en question ne compte pas un seul océan, elle doit avoir un rayon minimal de 22000 km, ce qui ne l'apparente pas beaucoup à la Terre, à laquelle elle est pourtant censée ressembler. (Sans compter qu'une planète terrestre d'une telle taille est assez peu vraisemblable.)

Ou bien il y a ces colons qui fondent tout naturellement un embryon de village alors qu'ils constituent une colonie essentiellement agraire à ses débuts. Pourquoi un village ? Sans doute parce que c'est un Européen qui est l'auteur de ce texte — encore devrait-il savoir pourquoi la campagne européenne est parsemée de villages ! Les véritables Nouveaux Mondes de l'histoire récente — e. g., la Nouvelle-France au xviiie siècle, le Haut-Canada au xixe, l'Ouest canadien au xxe — ont rarement fonctionné sur le modèle des champs communaux regroupés autour d'un village. Là où il y a de la place en abondance (voir plus haut…), des colons qui veulent se tailler des domaines (voir haut…), aucun moyen de se déplacer plus rapide que la marche à pied (cette colonie futuriste semble en être encore au xixe siècle pour ce qui est de la technologie ; pas un ordinateur n'est mentionné) et, jusqu'à l'apparition du Craqueur, aucun ennemi sérieux à redouter, les fermiers tendront à s'installer sur leurs terres. L'instinct territorial et la proximité des terrains à cultiver joueront en faveur d'un étalement de la population et non d'un regroupement…

Néanmoins, c'est la thèse principale qui insulte le plus l'intelligence. Cette idée du progrès, de la solidarité et du développement motivés par la peur d'un ennemi commun rappelle la philosophie à bon marché de Ronald Reagan épiloguant sur le besoin d'une menace martienne pour unifier la Terre (pensée dont Independence Day est l'illustration au cinéma…). Plus sérieusement, c'était aussi un peu comment Toynbee comprenait le développement des civilisations, mais le Bussy aurait avantage à relire ce que Toynbee disait des sorts comparés des colonies françaises et anglaises en Amérique du Nord…

En fait, si la nécessité était vraiment la mère du progrès et de l'invention, si la crainte de l'hostilité des forces extérieures suscitait le développement technique, le Canada, qui subit chaque année des hivers comme l'Europe en connaît rarement, serait à la pointe du progrès technologique, en compagnie de l'Islande, de la Mongolie et de la Russie… Qui niera que l'environnement et le climat sont plus brutaux dans ces pays qu'en Europe ? Ou, si on préfère, il faudrait croire que la Révolution industrielle aurait dû commencer dans le pays le plus pauvre et le plus persécuté de l'Europe en 1800 — disons la Pologne — et non dans le pays le plus riche et le plus confortable de l'époque, soit l'Angleterre. (En 1965, quand Landes analysa l'évolution technologique et industrielle en Europe occidentale, il cita des calculs montrant que l'Angleterre en 1800 avait un revenu par tête déjà supérieur à celui de nombreux pays du Tiers-monde en 1965, toutes proportions gardées et toutes corrections faites.) Ce que Toynbee avait compris, et ce que le cas des Inuit peut illustrer, c'est que ce n'est pas lorsque toutes les énergies d'une société sont consacrées à la survie qu'elle se développera le plus rapidement.

Certes, les conflits accélèrent parfois le progrès purement technique, mais il faut bien distinguer l'incitation à l'innovation du développement industriel — et d'une situation où des colons sont appelés non à innover mais à reconstituer des techniques déjà connues de leur monde d'origine. Typiquement, les conflits gaspillent aussi des ressources qui pourraient servir plus productivement ailleurs : dans la nouvelle, les colons abattent des dizaines d'arbres et consacrent une quantité faramineuse de fer à la confection de barbelés. Le Craqueur revendique l'endiguement de la rivière afin d'électrifier les barbelés et l'extraction du minerai de fer en quantité comme des effets positifs de son action, mais si le besoin de ces deux efforts ne s'était pas fait sentir jusqu'alors, c'était peut-être bien parce qu'ils étaient moins urgents qu'autre chose. (Le Bussy démontre ainsi une foi touchante en l'efficacité de la gestion par un agent extérieur, de préférence aux choix imposés par le jeu des forces de l'offre et de la demande dans un marché libre. Très européen…)

Bref, c'est une nouvelle qui donne une bien piètre opinion des autres textes en lice pour le Prix Septième Continent.

La seconde nouvelle du numéro 76 d'imagine… s'intitule "le Rabbin Moshe" par Hermann Rul (qui enseigne au Québec sous le nom de Claude Brouillette, un petit rigolo, quoi). C'est un texte qui se veut humoristique : style ampoulé et verbeux, rabbin qui s'interroge sur l'existence de Dieu, inventeur qui combine des cerveaux et un ordinateur muni de voyants clignotants, finale loufoque… Bon, on aime ou on n'aime pas. C'est quand même mené avec entrain et vaut bien les efforts de Thierry Di Rollo dans Galaxies 4.

La nouvelle "les Voleurs de futur" de Natasha Beaulieu est très longue, constitue un des rares efforts science-fictifs de l'auteure et se laisse lire sans déplaisir. Beaulieu rend bien la mentalité de son protagoniste et la parlure québécoise de ses personnages. Cependant, j'ai eu du mal à me passionner pour les ceux-là ; la situation, en dépit de la référence à des extra-terrestres, relève d'ailleurs du fantastique plutôt que de la Science-Fiction. Le tout est original sans être frappant.

Par contre, la nouvelle "le Pont" du nouveau venu Philippe Roy est plus intéressante, quoique maladroite. C'est peut-être bien le nouvel auteur le plus prometteur à paraître dans les pages d'imagine… depuis Natasha Beaulieu. "le Pont", c'est de la Science-Fiction franche, sans compromis. Narrativement, c'est un peu primaire : décor minimal, personnages efficaces sans plus, retournements rapides, mais le texte est émaillé de trouvailles dignes d'intérêt. La situation fondamentale n'est pas neuve, mais elle est traitée avec imagination, empathie et même un brin d'ambiguïté. Philippe Roy est assurément un auteur de S.-.F.C.F. à suivre…

Enfin, Thierry Di Rollo signe la nouvelle "la Ville où la mort n'existait pas". C'est une nouvelle agréable, bien écrite (la mieux écrite de ce numéro, d'ailleurs), qui mise sur l'atmosphère. La fin est un peu convenue, mais elle était sans doute incontournable. Un texte qu'il faut inscrire à l'actif du numéro.

Après le Prix Septième Continent, le Prix Solaris. Dans ce numéro de Solaris, on retrouve deux nouvelles finalistes — "les Petits pots" de Denis Bélisle et "Pharmacopées”" de Sylvie Bérard — et une BD finaliste — "l'Infidèle" de Michèle Laframboise.

En prime, il y a une BD de Marc Pageau : "Barbier municipal". Une idée amusante et un dessin fouillé. Charmant.

Le dessin de la BD de Michèle Laframboise est moins léché, mais l'auteure offre une des chutes les plus intéressantes des BD récemment parues dans Solaris, jouant sur l'ironie de la protagoniste qui est infidèle à sa famille dans la réalité virtuelle qu'elle visite, mais qui est véritablement infidèle parce qu'elle ne s'évade pas en compagnie de sa famille — elle est infidèle aux infidélités des siens…

Du côté des nouvelles, j'ai peut-être bien préféré "les Petits pots" de Denis Bélisle. L'auteur joue sur une certaine poésie du quotidien, flirte avec le fantastique, fait de Montréal le décor plein d'ambiance de sa nouvelle et sait éviter les longueurs. La fin ne renouvelle rien, mais c'est un texte d'atmosphère assez réussi dans son genre. Pas mémorable, mais vif et alerte.

Curieusement, alors que la nouvelle de Sylvie Bérard est pratiquement aussi longue que celle de Denis Bélisle, j'ai eu l'impression qu'elle l'était incommensurablement plus. C'est une nouvelle de Science-Fiction, dans un monde futuriste où le centre-ville s'oppose aux banlieues, où les urbains sont des cobayes et des artistes et des drogués… Quelque part, c'est un texte qui correspond à un certain stéréotype négatif des nouvelles de Solaris : c'est long, elliptique, imprécis, il n'y a pas grand-chose qui se passe et c'est fini avant d'être terminé. Ainsi, il est longuement question de la drogue (l'élyx, le LX-200) ingérée par la protagoniste, de ses réactions, de ses états d'âmes, de la spirale de la dépendance et des curieux incidents associés à l'élyx, mais on apprendra à peine ce que la protagoniste en fait ou comment il peut lui arriver ce qui semble lui arriver. Bref, malgré toutes les qualités d'écriture de cette nouvelle, je n'ai pas réussi à échapper à un certain ennui.

Ce numéro 120 de Solaris compte également un article que je tiens à signaler, soit "De quelques virtualités rituelles : l'état des genres" par Muriel Martin. La thèse verse dans l'évidence, mais c'est une évidence qui vaut la peine d'être répétée : en gros, l'âge d'or de la S.-F., c'est douze ans. Historiquement, la S.-F. de qualité a toujours dû se dégager d'un amas de scories littéraires nullissimes et l'apparente recrudescence de popularité de la fantasy s'explique en partie par le fait qu'elle s'est substituée à ce qui constituait autrefois des sous-genres de la Science-Fiction. Ces sous-genres correspondent à leur tour à des goûts particuliers d'un certain nombre de lecteurs qui croient aimer la Science-Fiction mais n'en estiment que les oripeaux.

De l'autre côté de l'Atlantique, la revue Galaxies a fait paraître ses troisième et quatrième numéros. Le troisième offre quatre nouvelles : "Guerres génétiques" de Paul J. McAuley, "la bonne étoile" de Michel Jeury, "une Journée comme une autre" de John Varley et "la Troisième lame" d'Ayerdhal.

J'ai lu le texte de McAuley avec un plaisir grandissant à chaque page : des scènes percutantes, des analyses politiques lucides, de l'extrapolation scientifique crédible pour un profane en biologie comme moi, du gâteau, quoi. Au moment où je me disais que l'histoire allait démarrer, cependant, McAuley a bouclé la nouvelle en deux temps trois mouvements, escamotant tous les problèmes soulevés par cette conclusion en prenant pour acquis un déterminisme technologique absolu. Et j'ai trouvé la dernière ligne particulièrement faiblarde, puisque découlant très peu de l'argument inscrit dans le reste du texte.

La nouvelle de Jeury est fort bonne. Cette histoire de colonies cherchant à optimiser le développement humain est bien racontée, même si elle dégage un certain parfum gentillet et presque suranné. Un très bel exemple de la manière de transcender la S.-F. bien carrée d'antan sans sacrifier ses forces propres.

J'ai l'impression d'avoir déjà lu la nouvelle de John Varley lorsqu'elle est sortie en anglais en 1989, sans doute dans une anthologie, puisque je ne lisais pas the Twilight zone magazine à l'époque. Et pourtant, je n'en jurerais pas… Quand on parle des mystères de la mémoire !

La nouvelle commence bien, en utilisant le concept de l'homme dont la mémoire en tant que faculté de mémoriser les événements est morte à une date donnée et n'emmagasine plus les souvenirs au-delà d'une journée (concept inspiré par un cas fameux dans les annales médicales étatsuniennes et qui a aussi servi à Gene Wolfe). Le protagoniste, en se réveillant dans un contexte très particulier, commence par lire la lettre que lui a adressée celui qu'il a été la veille (et l'avant-veille, et la veille du jour d'avant, et…). En la lisant, il apprend que la Terre a été envahie par des extra-terrestres qui ont remanié le temps et l'histoire. À ce moment précis, je me suis dit que si les extra-terrestres avaient également le pouvoir de modifier les souvenirs des humains dont la mémoire est “active”, le héros dont la mémoire est “morte” en 1986 représenterait alors le seul témoin de l'histoire de l'humanité avant les manipulations extra-terrestres. Ce qui aurait été une exploitation géniale de son cas spécifique, non ? Mais Varley bifurque dans une autre direction, celle de l'amour toujours neuf que le personnage éprouve pour une femme (tout en patinant plus qu'un peu au moment d'expliquer pourquoi une femme saine d'esprit aimerait ce type qui doit réapprendre à l'aimer chaque jour). Le rapport avec les Martiens ? Perdu en court de chemin. Bref, j'ai eu l'impression que Varley avait débuté l'écriture de sa nouvelle avec une bonne idée, puis en avait eu une autre, puis en avait eu une troisième, et qu'il ne s'était pas forcé pour les relier. Cependant, pour cette raison justement, c'est tout de même un texte à idées très réussi.

Il reste donc la nouvelle d'Ayerdhal. De toutes celles que j'ai lues dans les trois premières revues, c'est celle qui offre la meilleure histoire, à mon avis. La nouvelle de McAuley est un meilleur texte de Science-Fiction, mais l'histoire est un simple prétexte. La nouvelle de Philippe Roy souffre de certaines confusions et la nouvelle de Sylvie Bérard brode beaucoup sur un propos assez mince. Les nouvelles de Jeury, Varley et Bélisle sont plus ou moins réussies dans leur genre, mais elles sont moins ambitieuses.

Certes, la nouvelle d'Ayerdhal s'inscrit dans son histoire du futur, quelques générations après les événements racontés dans la Bohême et l'Ivraie, ce qui risque d'égarer les lecteurs qui découvrent son œuvre. Néanmoins, "la Troisième lame” témoigne des améliorations dans l'écriture ayerdhalienne depuis la parution de cette tétralogie au Fleuve Noir Anticipation. C'est l'histoire, au départ classique, d'une colonie qui manifeste des velléités de révolte et qui reçoit un émissaire des mondes centraux chargé de la remettre dans le droit chemin de la loyauté. L'émissaire est doté de certains pouvoirs psychiques, qui, croit-il, lui faciliteront la tâche ; au bout du compte, il sera contraint de prendre des mesures déplaisantes afin de protéger des colons en apparence sans défense. Mais la conclusion de la nouvelle est à triple détente, comme l'indique le titre… Là où on note une nette amélioration par rapport à la fin de la Bohème et l'Ivraie, c'est que les chutes successives de la nouvelle reposent non sur une simple surenchère des pouvoirs psychiques mais sur le dénouement logique des contradictions inscrites au cœur de la situation.

On aime ou on n'aime pas le style survolté d'Ayerdhal. C'est pourtant ce style, mâtiné d'analyses politiques, où les mots servent d'objets contondants, qui permet à l'auteur d'éviter les poncifs du space opera ou du roman à pouvoirs parapsychiques. Le résultat, en ce qui me concerne, est hautement lisible et roboratif.

Passons à Galaxies 4. C'était l'heure des premiers bilans pour la revue, ce qui excuse (cette fois) l'éditorial trop long d'une page.

Par contre, le premier texte laisse perplexe. La nouvelle "le Chat de Schrödinger" de Thierry Di Rollo représente l'équivalent littéraire d'un épisode moyen (au mieux) de Star trek : voyager. Si c'est censé être comique, Di Rollo n'a pas compris qu'on ne peut pas parodier Jean-Pierre Garen, qui le fait déjà lui-même de manière insurpassable. C'est une nouvelle disjointe, incohérente, schématique, avec une ou deux trouvailles (ces sculptures rocheuses flottantes à la Magritte), où la solution de l'énigme est d'une bêtise… Si la personne dont l'identité était usurpée avait souffert d'une laryngite l'obligeant à se servir d'un clavier pour communiquer, le dénouement aurait été raté. Et la physique quantique ne sert à rien, en fin de compte, dans ce texte. Les amateurs iront plutôt relire la nouvelle de Sawyer dans Yellow submarine ou le roman Isolation de Greg Egan.

Je n'ai pas relu la nouvelle "Kirinyaga" de Mike Resnick, l'ayant lue en anglais il y a des années. D'ailleurs, c'est en substance la même problématique que dans la nouvelle précédente de Resnick, dans le numéro 2. Le reste, c'est, histoire d'inventer une locution, du tirage de larmes.

Venant après le texte de Di Rollo, la nouvelle "Sur le seuil" de Jean-Jacques Girardot m'a fait l'effet d'une œuvre géniale. Prenant un certain recul, on peut se dire que c'est un peu la transposition sur le plan de la réalité virtuelle (via Moravec) du schéma de Varley dans les années 70 où le clonage et le transfert de mémoire permettaient la résurrection à répétition. Mais la maturité du style et l'habileté de la narration en font un excellent texte.

La nouvelle "Déchiffrer la trame" de Jean-Claude Dunyach vend la mèche dès les premières lignes, mais Dunyach est un conteur redoutable, au style mûr, qui nous offre des émotions franches et sans fard. On peut se poser des questions ontologiques : est-ce de la S.-F. si la S.-F. n'est qu'une interprétation, ou même une hypothèse ? Mais c'est avant tout un texte qui permet de passer quelques moments de lecture fort agréables.

La nouvelle "Chimères" de Paul J. McAuley est longue, riche, sait agencer à souhait l'action, la création de mondes et la mise en place de personnages intéressants, dépeint un monde façonné par de nouvelles technologies et l'extrapolation de certaines tendances actuelles… De la vraie S.-F. et une vraie histoire. Juteux !

L'article de Pierre K. Rey "S'il te plaît, fabrique-moi un mythe" m'en a appris un peu sur McAuley. J'en ai cependant beaucoup plus appris grâce à l'article de McAuley lui-même : "l'Univers des données et le domaine des fées". Je note que, là où un auteur français (Ayerdhal) s'attardait sur le contexte sociologique et philosophique de sa création science-fictive, les auteurs britanniques dans Galaxies (Banks, McAuley) s'intéressent autant au contenu qu'à l'infrastructure technologique de leurs mondes science-fictifs.

La couverture de Galaxies fait plutôt mignon. Du coup, on voit bien que c'est une revue pour quadragénaires, n'est-ce pas… Là où la publicité de lancement de Bifrost s'ornait d'une belle poupée gonflable, histoire de rejoindre son public d'adolescents dotés d'une saine ( ?) libido, Galaxies vise, à en juger par cette couverture de Caza, les jeunes pères de famille !

Puisque l'heure est aux bilans, notons que Galaxies continue à améliorer sa présentation (surtout la couverture) et publie des textes de plus en plus intéressants. En quatre numéros, mes préférences sont allées à certains textes longs (Ayerdhal, McAuley dans le numéro 4) et à certains textes courts (Banks, Shepard et Frazier, Jeury, Dunyach, Girardot), aussi bien du côté des traductions que du côté des textes écrits en français. (Les plus gros ratages sont peut-être bien des textes francophones, par contre, soit Valéry et Di Rollo — ou sinon, c'est la preuve que je n'ai pas le même sens de l'humour que le collectif de Galaxies). À mon avis, l'aventure démarre bien.

Bref, nous avons là trois revues de qualité, deux couvertures d'Escalmel, une de Caza et une de Francescano (Escalmel obtient la palme, car la couverture de Francescano ressemble à une simple variante de la couverture du premier numéro de Galaxies, il n'y a pas si longtemps, tandis que la couverture de Caza est plus mignonne qu'autre chose), de nombreuses fictions intéressantes (au moins une par revue, mais là j'accorde la palme à Galaxies) et des articles variés.

Franchement, j'ai l'impression d'assister à une véritable floraison de la S.-F. francophone et de trouver des raisons d'espérer partout, partout, partout…