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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 23 CyberDreams 08 & 09

Keep Watching the Skies! nº 23, avril 1997

Francis Valéry : CyberDreams 08 : les Mondes d'à côté

revue de Science-Fiction

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

Francis Valéry : CyberDreams 09 : Société sens dessus-dessous

revue de Science-Fiction ~ chroniqué par Christo Datso

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Prenons d'abord le temps de saluer les deux ans d'existence de la revue CyberDreams, qui jusqu'à ce jour, nous a livré sur neuf numéros, avec régularité et qualité, une belle brochette de textes, où nous compterons 31 nouvelles, dont 7 d'auteurs francophones, 7 études, plus les inévitables rubriques de lectures et le courrier des lecteurs.

Fortement marquée par la personnalité de son rédacteur en chef, Francis Valéry, la revue apparaît rétrospectivement, comme le premier signe du renouveau d'intérêt pour la Science-Fiction en France. D'autres revues ont vu le jour depuis, Galaxies et Bifrost, sans parler d'Ozone issu du fandom, et je n'ai qu'un seul souhait à formuler à toutes ces revues, sœurs et concurrentes : « Longue vie ! ». La pluralité des supports entraîne un dynamisme du marché qui ne peut que profiter à tous.

CyberDreams a donc quelques longueurs d'avance sur les autres, et ce qui apparaît comme la “marque” de la revue, réside selon moi, au-delà des mouvements d'humeur de son rédacteur en chef, dans l'exceptionnelle qualité et originalité des nouvelles qui s'y trouvent. Dans chaque numéro publié jusqu'à présent, il n'y a pas une nouvelle, au moins, qui ne me soit plus sortie de la tête après l'avoir lue ; pas une au moins, qui ne mériterait pas de figurer dans une anthologie idéale de la Science-Fiction de cette fin de siècle.

Ainsi en est-il encore avec CyberDreams 08, les Mondes d'à côté, qui propose trois variations brillantes sur le thème des univers parallèles. Seul regret à formuler, trois textes, aussi excellents soient-ils, cela me laisse un goût de trop peu.

La partie Magazine complète comme d'habitude la livraison de la revue. On y trouvera une étude très intéressante de Pierre Stolze sur "Médecine, Grand-Guignol et Science-Fiction". Le choix d'un pareil sujet se comprend aisément de la part de l'auteur de ces perles de la S.-F. française contemporaine que sont Marylin Monroe et les samouraïs du Père Noël, et sa suite, Greta Garbo et les crocodiles du Père Fouettard.

Dans son éditorial, Francis Valéry dresse un constat et pose quelques questions à ses lecteurs. L'une d'elles concerne la répartition “Nouvelles” versus “Magazine”, un des problèmes étant que la longueur moyenne des nouvelles ne cesse d'augmenter dans les revues anglo-saxonnes. Quelle partie de la revue conviendrait-il éventuellement de sacrifier ? S'il m'est permis d'y répondre ici, je dirai haut et fort que la qualité de CyberDreams tient aux textes de fiction qu'elle publie. Il existe d'autres supports (les revues sœurs et concurrentes mentionnées plus haut), et quelques excellents sites Web sur Internet, pour nous renseigner sur l'actualité du genre. Par ailleurs, le courrier électronique devenant de plus en plus banal, un nombre toujours plus important de lecteurs, d'auteurs et de critiques ont l'occasion de se rencontrer et de débattre sur des Forums ou au sein de Listes de diffusion. Mais où trouverons-nous à lire les nouvelles qui marquent nos mémoires et façonnent notre goût ? Après tout, si Francis Valéry tient à conserver une partie critique, pourquoi ne pas en faire une revue séparée, une sorte de Foundation à la française ?

Kim Newman : "Übermensch !" (New worlds 1)

L'auteur d'une histoire d'univers parallèles manque son but, si le lecteur issu de notre monde n'est pas suffisamment informé de la réalité alternative qui lui est présentée. À quoi bon tenter de le captiver, si le monde d'à côté n'évoque aucune étrangeté, aucun dépaysement ? Tout cela est question de “culture”, et en S.-F., nous savons que cette question est indissociable de l'écriture. Le genre se nourrit de lui-même, et entraîne le lecteur dans une auto-dévoration symbolique, source de plaisir en boucle. Le problème est que pour apprécier pleinement l'univers parallèle, invention typiquement S.-F., il faille être un lecteur “averti”.

Avec cette nouvelle du britannique Kim Newman, il n'en est rien, ou presque. Qui ne connaît Superman, héros de la culture populaire héritée des comic books, archétype de l'impérialisme américain ? Le tour de force de l'auteur consiste à nous offrir un univers parallèle dans un univers parallèle. En effet, même si l'histoire du monde que nous lisons à travers la mémoire d'Avram, le juif allemand exilé, ressemble de très près à la nôtre — il y a bien eu une seconde guerre mondiale, l'Allemagne nazie a été vaincue, l'ancienne capitale du Reich coupée en deux est en voie de réunification — il y a de légères divergences dans la trame : par exemple, les lasers orbitaux de Reagan existaient du temps de la guerre froide, des robots sont préposés à la circulation.

À côté de cette première dérive de l'histoire, il y en a une autre plus profonde, qui l'explique, et qui nous renvoie à notre propre mythologie. Superman existe dans ce monde d'à côté. C'est bien un Kryptonien qui a vécu caché derrière une identité d'emprunt. Il a combattu les savants fous et les criminels dans les années trente. Il a été l'idole de la jeunesse. Mais ce n'est pas un héros américain. (Regrettons au passage l'indiscrétion de l'illustrateur de la revue, qui déflore le sujet).

Kim Newman nous offre un texte fort, un texte dense qui s'incruste dans notre mémoire et qui nous interpelle. Par-delà le brillant exercice de style, il y a certaines phrases qui résonnent longtemps, une fois la lecture achevée, comme par exemple : « Les enfants qui tracent des croix gammées ne savent pas ce qu'elles symbolisent. ». Et pour cette raison, il atteint le but véritable que se fixe l'écrivain, lorsqu'il nous invite à le suivre à côté, dans un univers parallèle, fiction au carré : donner du sens à notre monde, attirer notre attention sur les failles qui le minent, et d'où un jour, peut-être, si nous n'y prenons garde, une inquiétante étrangeté peut resurgir et dérouler sa longue cape d'ombre sur les consciences.

Gregory Benford et David Brin : "Paris conquiert l'univers" (F&SF, 1996)

Cette nouvelle a été reprise dans l'anthologie de Kevin J. Anderson, War of the worlds : global dispatches, pour célébrer le centenaire des premiers romans de H.G. Wells (la Guerre des mondes date de 1898). Chaque texte est une variation du thème de l'invasion martienne, telle qu'elle aurait pu se dérouler ailleurs que dans la campagne anglaise, ou racontée par quelqu'un d'autre que Wells. Benford et Brin ont situé la Guerre des Mondes à Paris, vue par un certain Jules Verne. C'est une manière élégante de rendre hommage aux deux maîtres fondateurs de la Science-Fiction. La terrible catastrophe qui s'abat sur le monde sera mise en échec par Jules Verne, digne représentant de ce génie français qui rassemble en un joyeux mélange, la physique, le bricolage, et les petites dames de Pigalle. Les tripodes wellsiens n'auraient pas succombé s'ils n'avaient rencontré l'amour en venant à Paris…

À travers la distance qu'impose le double pastiche, Benford et Brin ont capturé l'humour involontaire du scientisme triomphant, tel que Verne l'incarne malgré lui aux yeux de la postérité ; ils ont subtilement détourné l'angoisse de Wells en la laissant s'ébattre aux pieds de la Tour Eiffel, et le résultat est un retournement de sens qui laisse rêveur. C'est là, ironie suprême du texte, que nous avons peut-être à entendre un autre univers que celui qu'il nous est donné de lire, un véritable univers parallèle dans lequel la France aurait fini par dominer le monde. Paris Conquers All ! Nul cœur et nulle armée n'y résistent…

Roland C. Wagner : "H.P.L. (1890-1991)"

Avec l'étonnante biographie de Howard Philips Lovecraft, due à Roland C. Wagner, nous touchons aux limites du genre qu'illustre ce numéro de CyberDreams. Ici, le lecteur doit obligatoirement être un fan de S.-F., au minimun, s'il veut pleinement goûter les multiples délices de ce texte, ultra-référentiel, qui pousse le vice jusqu'à rendre la lecture des notes de bas de page indispensable et hilarante ! (Par exemple, nous n'étonnerons personne en révélant que la série d'anthologies consacrées aux pulps par les éditions J'ai Lu, est due aux talents conjugués de Jacques Sadoul et de Jacques Bergier…)

Mais une fois de plus, pour qui ne se laisse pas piéger par la réalité truquée des univers parallèles, le texte de Roland C. Wagner en dit plus que ce qu'il nous montre. Il constitue une forme de manifeste sur la Science-Fiction, et prend position sur certaines taches dans l'histoire du genre : par exemple, Ron Hubbard et son livre Dianetics : the evolution of a science, qu'H.P.L. critiquait en 1950 dans un article intitulé "Diuretics : the devolution of a fiction".

Parfois, la réalité est plus belle que ce que nous en savons. Le portrait de Lovecraft en humaniste, homme rationnel et généreux, matérialiste convaincu tout à l'opposé de l'image que fabriquèrent August Derleth ou Jacques Bergier, et qui marqua durablement de son empreinte la littérature de Science-Fiction, est un de ceux auxquels on aimerait croire. Ce n'est pas le moindre paradoxe de ce texte, d'arriver à nous persuader que le monde parallèle, c'est le nôtre !

Numéro attendu, CyberDreams 09, Société sens dessus-dessous, nous rassure tout de suite : c'est une des meilleures à ce jour ! La troisième année d'existence de la revue commence très bien, dans le remue-ménage, les avenirs qui dérangent, et bien entendu, les provocations, polémiques et autres rodomontades dont Francis Valéry nous gratifie dans son éditorial au juste titre, car comme il le dit : « Que ceux qui n'ont toujours pas compris que les auteurs de Science-Fiction doivent être les premiers à dire « Non ! » en tapant du poing, lorsqu'ils entendent Tchernobyl ou Rwanda, SIDA ou SDF, purification ethnique ou expulsion, que ceux-là passent leur chemin et aillent réveillonner devant leur poste de télévision. ».

Voila pour la couleur. Au sommaire, quatre nouvelles acides, vitriolées, d'impact maximal, une fiction délirante déguisée en étude de S.-F., plus l'habituelle rubrique du front et le courrier des lecteurs. Ce dernier, qui a permis d'instaurer un dialogue entre l'éditeur et le public, répond en partie aux questions posées par le numéro précédent, et nous permet de savoir par exemple, qu'il y aura une suite aux Mondes Virtuels, ainsi que des numéros nationaux : spécial S.-F. australienne, S.-F. écossaise… On attend avec impatience !

Brian Stableford : "L'Ère de l'innocence" (Asimov's science fiction, 1995)

Déjà présent dans CyberDreams 04 avec l'excellent texte "L'Homme qui inventa le bon goût", Brian Stableford nous livre ici un conte cruel pour ceux qui s'interrogent sur ce qu'est le point culminant de l'existence. Habituée à voir la vie humaine comme un cycle parti de l'enfance, et qui y revient après l'âge adulte, l'héroïne du récit, une fillette de onze ans, découvre la sexualité en regardant ses arrière-arrière-arrière-arrière-grands-parents jouer dans le parc. Fine observatrice des mœurs de l'être humain ayant atteint l'âge ancien, la petite Sybil comprend assez vite que ladite seconde enfance n'en a que le nom. Pourtant, quelle leçon de compassion, quelle pureté de regard et d'intention en elle, car ce monde qui nous est raconté, où les individus n'en finissent pas de mourir dans leurs corps possédés par une science gériatrique toute puissante, ressemble de trop près au nôtre pour que nous n'y reconnaissions pas, horrifiés, les ravages de la sénilité, et de la maladie d'Alzheimer. Ce sera, dit-on, une des plaies du siècle prochain, courbes de population et inversion de la pyramide démographique aidant, une fatalité dont la fréquence augmente presque linéairement avec l'âge, du moins à partir du troisième âge, ou du quatrième… Alors, de là à imaginer une société où l'on “vit” joyeusement ses trois siècles… Mais l'enfant, qui est le véritable père de l'adulte et de l'ancien, sait tout ce qu'il doit à la joie des générations qui le précèdent. Une fois terminée, cette très originale nouvelle de Brian Stableford, nous laisse un goût étrange dans la bouche, formol et lavande tout à la fois.

Paul Di Filippo : "La Ballade de Sally NutraSweet" (Science fiction age, 1994)

Nouveau venu dans CyberDreams, l'américain Paul Di Filippo nous livre une satire grinçante sur une société future où les gens appartiennent corps et âme aux marques dont ils portent le logo incrusté sur le front, ou le nom de famille. Sally, du clan NutraSweet, va y vivre une journée peu ordinaire. Petite secrétaire promue agent secret, elle va connaître la dégradation sociale, morale et financière qui consiste à ne plus porter le nom prestigieux d'une Marque, mais un infâme code barre. Réduite à consommer des produits génériques dans le Bac-à-Soldes où croupit la lie de la société, elle pourra néanmoins, avec l'aide de son fiancé, le beau Dan Duracell, déjouer le monstrueux complot qui vise à renverser sa société bien-aimée.

Même si l'intrigue au premier degré laisse à désirer, le propos de Di Filippo se situe quelque part entre les délires d'un Robert Sheckley et l'incontournable Planète à gogos de Cyril M. Kornbluth et Fred Pohl, qui en 1950 dénonçait déjà les méfaits de la société de consommation. En ces temps d'ultralibéralisme il serait intéressant de relire, cette véritable dystopie capitaliste. Il faut saluer au passage la trouvaille géniale de l'auteur qui fait du soleil lui-même un écran de pub !

Martha Soukup : "Plaidoyer pour les contrats sociaux" (Science fiction age, 1993)

Ce texte poursuit l'exploration des sociétés futures dominées par une loi toute-puissante : l'obligation au bonheur ! Dans le fond, qu'est-ce qui dérange le plus une société totalitaire, sinon l'amour et ses débordements incontrôlables ? Au lieu de laisser les individus vivre leurs liens dans l'anarchie, la société mettra en place des contrats, en bonne et due forme, qui permettront aux individus, quelle que soit leur tendance, leurs préférences du moment, de s'y retrouver en toute sécurité, sans violence ni passion, sans problèmes personnels ni névroses.

C'est compter sans Anli, habitée par des sentiments aussi grossiers que l'attachement pour une seule personne, qui se rebelle contre le système. Évidemment, sa révolte individuelle ne peut pas renverser le cours des choses, et à la fin, nous pleurons sur son destin tragique.

Excellent texte, un des meilleurs publiés à ce jour par CyberDreams, ce “Plaidoyer” doit plus au 1984 de Georges Orwell qu'à tout autre chef-d'œuvre de la littérature dystopique. Sous le voile d'une solution parfaite aux misères relationnelles de nos existences, le fond est d'une terrible noirceur. Cette nouvelle pose avec une pertinence remarquable dans le champ de la Science-Fiction, la question de l'amour : de quoi s'agit-il au juste avec ce sentiment qui fait de nous des anges et des démons ? N'est-ce pas une force dangereuse dont il serait bon de prévenir les effets par une hygiène sociale appropriée ? « Qu'est-ce que la passion ? » demande Martha Soukup en filigrane ; « soyez rationnels » : il n'y a pas d'autre choix possible, telle est la réponse finale de son personnage.

Alain le Bussy : "Copyright garanti"

Alain le Bussy est de ces auteurs à succès qui prennent leurs aises avec le roman d'aventure et les grandes sagas. Pourtant, ce court texte nous prouve qu'il manie très bien l'effroi à petite dose que procure toute bonne anticipation sociale, puisqu'évidemment demain sera pire qu'aujourd'hui. Imaginons le cauchermar, amoureux des livres que nous sommes tous, d'un monde où nos objets favoris deviennent littéralement jetables, des objets que l'on ne peut consommer qu'une seule fois. Nous sommes avertis ! Constituons nos réserves de livres non-périssables dès aujourd'hui, en grande quantité, de quoi tenir les longs sièges de l'ennui que l'avenir nous réserve.

Jean-Jacques Girardot : "l'Heure de la résurrection"

L'auteur est bien connu sur Internet. Il anime un site Web en français, consacré à la Science-Fiction, et affirme son intérêt pour les technologies de pointe, bio-informatiques et nano de préférence. Il est donc bien placé pour nous livrer cette première contribution à CyberDreams, commentaire de l'œuvre de l'australien Greg Egan, grande découverte S.-F. de l'année 96, en particulier du roman la Cité des permutants dont il nous donne des clés de compréhension magistrales. Il en profite aussi pour analyser plusieurs références regroupées sur une page Web par un certain Joe Strout, sur le thème du Mind Uploading. Fort bien tout cela, extrêmement documenté et convaincant. En gros, le message est le suivant : l'immortalité sera assurée à nos descendants (ceux qui peuvent se la payer), sous la forme de copies informatiques de leurs cerveaux, qui seront stockées et qui s'ébattront comme les anges d'Éden dans les paradis du réseau divin (le futur du Net). Formidable ! Enfin, l'angoisse de mort qui tenaille l'humanité depuis le paléolithique, presque vaincue ! Car tout cela est une question de technique efficace dont les balbutiements sont déjà visibles dans le monde d'aujourd'hui. Qui sait si dans un siècle ou deux, les prophéties de ces auteurs de S.-F. du nom de Saint-Jean ou de Saint-Paul, qui prévoyaient la résurrection de l'humanité (les justes uniquement), dans ses corps, ne se réalisera pas ? Nous voulons croire aux miracles. Grâce à la vision des auteurs de S.-F. et à la fougue apostolique de Jean-Jacques Girardot, nous sommes bien près d'y adhérer sans limite.