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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 15 le Prisonnier de l'entre-deux-mondes

Keep Watching the Skies! nº 15, octobre 1995

Hugues Douriaux : le Prisonnier de l'entre-deux-mondes

roman de Fantasy ~ chroniqué par Jean-Louis Trudel

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Ce roman fait suite aux romans la Porte de flamme et le Dernier des Aramandars qui avaient pour héroïne Gahonne-la-Rouge, une jeune femme aux multiples talents d'aventurière et de combattante, qui détenait aussi un mystérieux pouvoir lui permettant d'ouvrir les portes entre les univers.

Dans ce livre, on retrouve Gahonne-la-Rouge alors qu'un être cher vient de lui être enlevé. A l'occasion des aventures qu'elle connaît pour le retrouver, elle s'engage à libérer un peuple opprimé du démon responsable. La promesse est hardie, car elle devra lutter dans l'Entre-deux-mondes, où elle est à la merci d'adversaires bien plus puissants qu'elle.

Je commencerai par signaler une assez belle couverture de Marc Mosnier. Je trouve l'illustration un peu décentrée et la conception d'une guerrière comme Gahonne-la-Rouge en prêtresse païenne néo-celtique aux longs cheveux flottants me paraît un peu risquée et pas tout à fait fidèle à l'esprit du roman, mais l'ensemble demeure très séduisant.

Je ne sais pas si c'est parce que j'ai relu plusieurs albums des aventures de Thorgal récemment, mais j'ai cru déceler des parentés thématiques. Dans plusieurs albums, l'enlèvement du fils de Thorgal ou un danger qui le menace sert de ressort dramatique à l'histoire ; et puis, le fils de Thorgal a hérité de pouvoirs que son père exerce peu ou n'a pas…

Cependant, Douriaux invoque d'autres archétypes tout au long de son texte. Il y a l'idylle dans la forêt sauvage mais généreuse, la rencontre de la Belle et de la Bête, les duels obligés entre amis forcés de se tuer pour survivre… Le résultat est un roman qui manque un peu d'unité, mais non de moments forts. La plume de Douriaux sait se montrer sensuelle lors des scènes d'amour et lors des scènes de mort violente, mais sa prose a un peu plus de mal à soutenir l'intérêt du lecteur quand l'histoire ne comporte ni ébats amoureux ni combats à mort.

J'ai tenté de m'armer d'indulgence en abordant ce roman, surtout que je savais à quoi m'attendre puisque j'avais lu précédemment la Porte de flamme. Mais dès les premières pages, quand Gahonne-la-Rouge cherche une caverne pour hiverner ou qu'elle aperçcoit des glaciers du haut d'un chêne, j'ai sursauté. Le texte ne précise pas si les glaciers se trouvent en altitude et j'ai tout de suite eu du mal à croire à l'existence d'un chêne, qui exige un climat tempéré, à portée de vue d'un glacier à la même altitude !

Cette recherche d'une caverne pour hiverner m'a également paru absurde. Ce ne sont pas tous les reliefs qui se prêtent a la création de cavernes. A ma connaissance, le Canada compte relativement peu de cavernes, par exemple, et celles que l'on trouve ne semblent avoir été utilisées qu'épisodiquement par les premiers habitants du territoire. Dans le cadre de l'histoire, l'auteur précise bien que le peuple de Gahonne avait pour coutume d'hiverner dans des cavernes et on comprend que Gahonne pourrait ne pas dissocier le passage de l'hiver du séjour dans les cavernes et qu'elle ne remarquerait pas si le relief s'y prête ou non. Cependant, Gahonne a beaucoup voyagé et j'aurais cru qu'elle aurait appris d'autres façcons d'hiverner. (D'ailleurs, une peuplade qu'elle rencontre dans ce roman passe l'hiver sans s'enterrer dans des cavernes.) Je suis naturellement porté à évoquer mes propres ancêtres qui passaient des hivers extrêmement rigoureux sans bénéficier de l'abri (discutable) de cavernes, que ce soit en recourant à des wigwams d'écorce ou à des cabanes de rondins.

Cette réflexion ne me semble pas dépourvue d'enseignements. Il arrive souvent qu'on phantasme sur les prétendus attraits d'un voisin alors qu'on ignore les attraits propres de sa situation. Ainsi, dans le genre de la Fantasy, dont relève pour l'essentiel le roman de Douriaux, les Américains sont souvent portés à phantasmer sur la tradition médiévale et chevaleresque de l'Europe occidentale, tandis que les Européens sont encore sous le charme de l'idée du “bon sauvage” de Rousseau et de son mode de vie idyllique. Dans la Fantasy de plusieurs auteurs européens ou d'origine européenne, on retrouve d'ailleurs des passages qui font songer aux romans à dix sous décrivant des aventures en Territoire indien. Prenons le Seigneur des anneaux de Tolkien, par exemple, surtout aux alentours du troisième livre : la traversée de la Lorien, la descente du fleuve en canots sous un bombardement intermittent de flèches, la longue poursuite à pied des Orcs qui ont enlevé les jeunes Hobbits, Aragorn qui, dans la meilleure tradition des pisteurs amérindiens, rapproche l'oreille du sol de la plaine pour entendre ce qui se passe au loin… (Si vous ne voyez pas quelques points communs, vous n'avez pas assez lus de westerns dans votre jeunesse et je recommande un ou deux livres de Karl May pour vous familiariser avec les phantasmes européens au sujet des Peaux-Rouges…)

Et, dans l'autre sens, faut-il recenser tous les romans de fantastique épique rédigés surtout par des auteurs étatsuniens prenant plaisir à créer de somptueux cadres médievaux ? Faut-il rappeler les Fêtes Médiévales qui sont désormais organisées chaque année à Québec, une ville qui, en dépit de ses remparts, est postérieure au Moyen-Age et même à la Renaissance ?

Je me souviens de la réflexion d'une auteure américaine de Fantasy au congrès mondial de La Haye (ou peut-être à un Readercon). Cette auteure originaire du Midwest américain n'avait jamais obtenu la permission de ses parents de lire des contes de fée. Le fruit défendu peut sembler diaboliquement exotique. Faut-il s'étonner si les jeunes étatsuniens d'une certaine génération, gavés de westerns à la télévision et au cinéma, se sont passionnés pour la Fantasy néo-épique et néo-médiévale de Tolkien, il y a trente ans ?

Je n'éprouve aucune passion particulière pour la Fantasy, même si je peux en lire avec plaisir au niveau de l'aventure (Steven Brust), de la fable (Jack Vance, Yves Meynard) ou de la reconstitution historique (Guy Gavriel Kay). J'avoue que je me demande si c'est parce que j'ai passé environ la moitié des étés de mon enfance dans un bourg dominé par le plus ancien donjon — relativement intact — de France. J'éprouve encore moins d'intérêt pour les histoires de vie sauvage idyllique dans les bois, et c'est peut-être parce que j'ai aussi grandi avec les histoires de mes ancêtres métis qui chassaient le bison dans les Plaines et de mes ancêtres cris qui participaient à la traite des fourrures un peu plus au nord. C'est historique, quoi, et c'est donc à la limite du prosaïque, dans un certain sens, pour moi. Alors, c'était peut-être forcé que je découvrirais l'exotisme au moyen de la Science-Fiction…

Quant aux aventures exotiques de Gahonne, elles se terminent sur une note positive. Elle retrouve ses êtres chers et les puissances maléfiques sont vaincues, non sans qu'elle ait eu à livrer des combats épiques.

Bref, le roman de Douriaux est un digne successeur de la Porte de flamme, mais ce sont surtout les amateurs du genre de la Fantasy épique qui apprécieront.