Sauter la navigation

 
Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 13-14 la Mère des tempêtes

Keep Watching the Skies! nº 13-14, juillet-août 1995

John Barnes : la Mère des tempêtes

(Mother of storms)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Ellen Herzfeld

 Chercher ce livre sur amazon.fr

Texte chroniqué alors qu'il était encore inédit en français.

Ce “pavé” fait partie des présélectionnés pour le prix Hugo de cette année. Au tout début, il m'a rappelé le Vagabond de Fritz Leiber. Des scènes courtes où l'on suit une succession de personnages différents, en des lieux variés, et sans relation évidente entre eux en dehors du fait qu'ils vivent tous le même événement majeur, ici un ouragan dévastateur.

Ressemblance qui disparaît vite, il faut le dire.

Cela se passe en 2028, alors que l'influence mondiale des États-Unis est très affaiblie, que l'Europe-Unie a plus ou moins expulsé toute la population non blanche, et que les Nations Unies ont une véritable puissance. La Sibérie indépendante a entassé des armes au fond de la mer et l'UN, à titre préventif, bombarde le site, ce qui a pour résultat de libérer une grande quantité de méthane dans l'atmosphère accentuant l'effet de serre. Le réchauffement de la surface des océans crée des conditions particulièrement propice à la formation d'ouragans d'une violence dépassant tout ce qui a jamais été vu. Des millions de morts, la civilisation elle-même est en danger. On suit donc le développement de cette catastrophe sans précédent du point de vue d'une série de personnages, la plupart intéressants.

Les communications sont dominées par un réseau type Internet, et par un système, évolution de la TV, nommé XV. Le spectateur se trouve en prise directe avec la conscience du “journaliste”, qui est devenu en fait un hybride acteur-journaliste-star porno dont le cerveau a été câblé à cet effet. Évidemment, cette technologie est employée pour des “amusements” très divers, dont certains versent dans le carrément horrifique et criminel, comme le vécu en direct de viols, tortures et assassinats, du point de vue de l'agresseur et/ou de la victime, au choix du client.

Un des personnages que le lecteur suit est le père d'une fillette victime de ce trafic. Un autre est une actrice-journaliste dont le corps a été en plus transformé en une caricature de BD. On passe de la présidente des États-Unis, et des intrigues politiques qui l'entourent, à un astronaute en orbite dont on suit la transformation en quelque chose d'“autre”, à une météorologiste très spéciale et qui le deviendra encore plus, à un étudiant en mal d'amour, en passant par toute une série de personnes qu'on ne rencontre qu'une fois, le temps de les voir aux prises avec le danger, s'en sortir ou, plus souvent, mourir.

Sur le plan “scientifique” l'auteur semble s'y connaître suffisamment pour que tout soit crédible, ou du moins cohérent. Les explications météorologiques détaillées seront sans doute lassantes pour certains ; je les ai trouvées plutôt intéressantes, et Clem, l'ouragan, en devient un véritable “personnage”. De même, les considérations sur l'informatique et les multiples extrapolations qui en dérivent m'ont séduite. Par contre, la répétition et la méticulosité des descriptions de scènes de sexe, de viol, de violence m'a surtout rendue perplexe sur les motivations de l'auteur. J'ai rapidement atteint la saturation au-delà de laquelle s'installe l'ennui.

Tous les fils disparates de cette vaste fresque se rejoignent progressivement et de façon le plus souvent satisfaisante. Il y a pourtant une intrigue parallèle — que je ne peux dévoiler sans gâcher la lecture — qui est dénouée de façon complètement stupide à mon avis. Sauf si l'auteur veut insister sur l'absence de sens de l'univers, ce qui ne semble pas être son propos par ailleurs. La fin, c'est-à-dire le dernier cinquième du livre, semble un peu bâclée sur plusieurs niveaux, et Clem, l'ouragan monstrueux, passe au second plan puis à la trappe de manière un peu légère. Le deus ex machina salvateur pourra certainement agacer plus d'un lecteur ; il ne m'a pas dérangé en tant que tel mais seulement dans la mesure où les toutes dernières pages virent à l'eau de rose un peu croupie.

Alors, verdict final ? Je ne me suis pas ennuyée ; certains personnages sont très attachants, certaines idées — et il y en a beaucoup — sont excellentes et bien développées. Les deux ou trois défauts majeurs que j'ai perçus ne seront pas aussi négatifs pour tout le monde. Ça aurait pu être un livre excellent, il ne reste que très bon.

Notes

››› Voir autre chronique du même livre dans KWS 11