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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 12 la Pièce d'à côté – 1

Keep Watching the Skies! nº 12, mai 1995

Jack Finney : la Pièce d'à côté

(Woodrow Wilson dime)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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La verve est de ces qualités littéraires qui ne franchissent qu'à grand peine la barrière du langage. La traduction que nous propose “Présence du Futur” de Woodrow Wilson dime illustre à nouveau ce fait incontournable, en dépit des efforts méritoires et souvent réussis de Nathalie Serval, qui ne condescend jamais au bas de page des NdT tant prisés par certains de ses confrères. Mais la Pièce d'à côté est truffée de références culturelles quotidiennes précises, nom d'actrices, titres de journaux, marques de voitures, qui sont indispensables au sel du discours, et bien difficiles à rendre. Ces allusions passent d'ailleurs aussi difficilement la barrière du temps que celle de la langue, et j'ai été passablement surpris de voir des voitures de la marque Subaru se promener allégrement dans le New York de 1968 ; mais quand Cindy Lauper s'est trouvée mentionnée (p. 24), j'ai commencé à nourrir des soupçons : la traduction ne se serait-elle pas accompagnée de mise à jour ? C'est malheureux, car par certains autres côtés (la vision très floue du monde de l'entreprise, la fascination encore intacte pour les photocopieuses), le livre trahit ses origines soixantenaires. Mais il paraît que Finney lui-même s'est parfois complu à réviser sa copie, auquel cas il faudrait rendre hommage à l'éditeur de son choix de la version la plus à jour de l'œuvre.

Ben, notre héros, médite dès la première page son statut de raté, qui lui semble inscrit dans son emploi sans intérêt (dans la publicité), et dans son épouse, Hetty, pour qui il n'éprouve plus une lueur d'amour. Une pièce de menue monnaie le fait basculer dans un univers parallèle où Manhattan, privé d'un building ou deux, n'a plus la même physionomie… mais surtout où sa situation est renversée.

Ce n'est pas l'univers parallèle qui intéresse Finney, comme le fait remarquer Éric Vial ; on ne sait même plus s'il faut parler de parallèles tant la situation est dissymétrique : il y a l'univers de la grise réalité, et l'univers du rêve — cela rappellerait plutôt l'Univers en folie de Fredric Brown, vu de façon strictement individuelle. L'humour de Finney est hélas moins décapant et cède vite la place au conte moral, sur le vieil air de “il faut se contenter de ce que l'on a”. Même l'invraisemblance totale de la péripétie finale (un homme déguisé en chien, sans que rien dans les paramètres du monde parallèle rende telle mascarade moins impossible) n'a pu ramener le sourire sur mes lèvres.

Finney reste distrayant, le livre tout à fait lisible, bénie soit sa brièveté (qualité réelle et peu appréciée aujourd'hui). C'est une variation sur un mode mineur du thème d'un livre comme l'Échange d'Alan Brennert (qui est naturellement bien postérieur au livre de Finney), et on peut se demander ce qui a pu déterminer la parution en “Présences” d'un livre de SF pure comme Gens de la Lune de John Varley, alors qu'un livre comme celui-ci, du Fantastique à cheval sur la frontière avec la SF, se retrouve en “Présence du futur”. La réponse est, je le crains, que celui-ci est modeste dans son développement (celui d'une novella) et ses ambitions, et qu'il a été d'un prix de vente d'une modestie correspondante, “Présences” visant des terrains plus giboyeux…