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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 6 Revues anglosaxonnes diverses

Keep Watching the Skies! nº 6, janvier 1994

Gardner Dozois : Asimov's science fiction, septembre, octobre & novembre 1993

Scott Edelman : Science fiction age, septembre 1993

Kim Mohan : Amazing stories, septembre 1993

David Pringle : Interzone 75, septembre 1993

Kristine Kathryn Rusch : the Magazine of fantasy & science fiction, septembre & octobre-novembre 1993

revues anglosaxonnes de Science-Fiction et de Fantasy ~ chroniqué par Sylvie Denis

On n'arrête pas de dire que la S.-F. devrait s'échapper des frontières du genre… que ce n'est pas vraiment de la littérature. Les gens disent fièrement : « Je n'écris pas vraiment de la S.-F. ; c'est plutôt un roman qui comporte des éléments fantastiques. ». Et on s'attend à ce que tout le monde applaudisse lorsqu'un auteur établi essaie ce truc-là : réinventer la roue, en général avec des coins carrés. Je ne supporte pas le snobisme.

Ian Watson interviewé par Peter Crowther

Interzone 75, septembre 1993.

Mais à chaque génération, il y a des écrivains dissidents en révolte qui essaient de produire des textes à l'avant garde de la littérature du pays exactement de la même façon. À bas les histoires ! Pas besoin d'idées, de personnages, d'émotions, inutile de créer un rythme, d'installer un décor…! […] De la salade de mots. On ne peut pas la lire, on ne peut pas la manger. Ce n'est pas bon à grand-chose. Ce que j'ai conclu de la lecture de New worlds, et de beaucoup de choses par la suite c'est que le texte “expérimental” est peut-être la plus conservatrice des formes littéraires.

Darrell Schweitzer : "the Conservative avant-garde"

Aboriginal, septembre 1993.

Il doit y avoir sur terre d'autres plaisirs que de se plonger dans une pile de revues américaines de S.-F., surtout par un après-midi d'août propre à faire fondre le goudron et griller les touristes, mais je n'ai pas envie de les considérer en ce moment. Le simple fait de penser à une “Pile de revues de S.-F.”, s'il ne me rend pas la température supportable, suffit à mon bonheur. Comme je suis bonne et généreuse, j'ai décidé de vous le faire partager, et de tenter de vous donner une idée, sinon exhaustive — je lis vite, mais tout de même — du moins instructive de ce qui se publie dans les revues américaines et occasionnellement anglaises.

La température, par contre renforce cette habitude de lecteur paresseux qui est la mienne : commencer par le rédactionnel, et laisser la fiction pour un moment où mon cerveau sera en état de l'absorber.

La mort d'Asimov a privé IASFM de ses inimitables éditoriaux, lesquels devenaient d'ailleurs dans la dernière année de sa vie, des professions de foi humaniste de plus en plus touchantes. Le magazine a donc parfois recours à des “invités” tel Michael Swanwick, qui s'y colle ce mois-ci avec un petit speech vaguement larmoyant, au cours duquel on apprend que le petit Michael s'est mis à lire de la S.-F. parce qu'il n'arrivait pas à trouver l'équivalent du Seigneur des anneaux chez son libraire. Et de nous démontrer via la dérive des continents, que S.-F. et Fantasy, espèces sœurs nées sur le même territoire, se sont peu à peu distinguées, pour devenir, pour le malheur (?) de tous, presque totalement distinctes. Et de terminer sur un “Don't be strangers” à faire pleurer dans les chaumières.

Comme j'ai mauvais esprit, j'avoue que ce genre d'appel à la paix m'énerve à peu près autant que n'importe quelle déclaration de guerre. D'autant plus que l'argumentation de Swanwick me semble fort douteuse. Il doit être possible de prouver que la Fantasy, sous la forme de romans publiés en poche, s'est surtout développée ces quinze dernières années, mais on doit pouvoir également démontrer qu'au moins dans les revues, il y a toujours autant l'une que l'autre. Ce à quoi Swanwick répondrait, je suppose, qu'il vivait dans un trou et n'avait rien à lire qui ressembla aux Seigneurs des Anneaux. Nos érudits locaux ont peut-être une idée sur la question ? Si on doit parler étiquettes, que ce soit au moins une lanterne à la main… À propos de lanterne, Scott Edelman, dans son éditorial de Science fiction age, conseille à ses lecteurs d'éclairer la leur en (re)lisant Shakespeare. J'aurais tendance à penser que le conseil relève de l'évidence, mais bon, tout le monde n'a pas eu la chance de tomber amoureuse de Laurence Olivier dans Hamlet dans son jeune âge, et l'idée semblera peut-être délicieusement exotique aux lecteurs de SF age qui lisent en priorité les rubriques télé, comics et jeux vidéo… Contre lesquelles je n'ai rien, soit dit en passant. Il en faut pour tous les goûts, et elles sont loin de prendre le pas sur les nouvelles ou sur les illustrations, à mon avis bien plus léchées et originales que dans Amazing stories.

Pas d'éditorial dans le F&SF de septembre. Dans celui du mois précédent, Kristine Kathryn Rush invitait ses ouailles à se souvenir que le but essentiel de l'écriture est la communication, d'idées, d'émotions, peu importe, du moment que ça passe. Encore une idée des plus simples et essentielles qui semblent avoir, on ne sait pourquoi, tant de mal à se loger dans la tête des gens. À preuve les critiques de Darrell Schweitzer dans Aboriginal SF, qui s'en prend à ces auteurs qui veulent créer la nième avant-garde du siècle. Je n'ai pas pu m'empêcher de le citer au début de cette rubrique, tant il me semble parler d'or, de même qu'Ian Watson, dont l'interview dans Interzone est fort agréable à lire. Que conclure de tout cela ; fort peu, sinon que l'on constate, lorsqu'on lit ces éditoriaux, ces articles, et d'autres qui ornent les pages d'anthologies anglaises ou américaines, on constate qu'outre manche et outre atlantique, on peut, lorsqu'on est directeur de collection, rédacteur en chef d'une publication quelconque ou autre, user des pages dont on dispose pour faire autre chose que prendre les nouvelles générations pour des blancs-becs, insulter son voisin de palier ou se fâcher tout rouge dès que quelqu'un, quelque part, ose être d'un avis différent du sien, avant de repartir bouder derrière une barrière de livres. On peut exposer des opinions sans qu'on vous soupçonne de déclarer la guerre, y tenir sans être traité de sectaire, les défendre sans passer pour obscur ou intellectuel. Bref, il me semble qu'il règne encore là-bas cet esprit d'ouverture et de discussion qui passait pourtant pour avoir son origine en Europe, terre de la littérature, des salons, des Lumières et de toutes ces choses dont on pourrait de temps en temps se souvenir…

Et la fiction dans tout cela ? Eh bien, le jeune génie dérangé fait toujours recette. Brian Stableford, qui en a créé quelques-unes dans les pages du magazine anglais Interzone, nous en offre un de plus dans l'Asimov de septembre. Contrairement à ses prédécesseurs, il (le génie, pas Stableford) n'invente pas grand-chose de remarquable — encore que… — et fait face à une situation familiale bien tristement contemporaine. Les parents du malheureux sont bien les personnages les plus antipathiques qu'il m'ait été donné de rencontrer depuis un certain temps. Don Webb, dans SF age, fait aussi dans le jeune génie dérangé, avec le réalisme familial en moins, un peu plus d'humour et de diable en prime. Et Mars. Il y aura des canaux sur Mars. Je ne plaisante absolument pas. S'il y a jamais quoi que ce soit qui ressemble à une installation permanente de l'humanité sur cette planète, il y aura des canaux, des vaisseaux des sables, et un Asimov Boulevard. La raison en est fort simple : si nous allons sur Mars — je dis “nous” car je suis optimiste, car “ils” iront sur Mars, un petit nombre de “ils”, qui auront réussi à convaincre les autres qu'il y a une raison d'aller sur Mars… —, donc s'ils vont sur Mars, ceux qui iront ne pourront qu'être les arrière-arrière petits enfants spirituels de ces allumés qui ont lu Bradbury, Brackett et les autres. Et ceci pour la bonne et simple raison que les autres s'en foutent. Car, qui de nos jours, à part quelques astronautes, une poignée de scientifiques et une autre de lecteurs de S.-F. a envie qu'on aille sur Mars ? Personne. CQFD. Donc, si les visions du futur doivent être autre chose que de l'auto-vaccination, de la branlette mentale destinée à nous faire oublier que rien de tout cela n'existera jamais, de la compensation pour ce que de toute façon, on ne pourra pas vivre, même à la télé, si les visions du futur doivent en être les graines, alors, dans la mesure où ceux qui iront sur Mars seront ceux qui auront partagé les rêves de la planète rouge, soit il n'y aura rien, soit il y aura des canaux sur Mars. Il est donc approprié que le Texte de Webb s'intitule "the Canals of Mars" et qu'au-delà de l'histoire du personnage principal — qui s'inscrit dans une longue tradition d'artistes et savants consumés par leur œuvre —, il s'inscrive dans cette lignée relativement récente de textes sur ce que faute de mieux j'appelle “Méta-Mars”. “Méta-Mars” étant la Mars imaginaire, la Mars composée de la totalité de ce qui a été écrit, rêvé, espéré depuis E. R. Burroughs jusqu'à Robinson. Amen.

Je n'ai pas trouvé "the Shadow knows" (IASFM de septembre) de Terry Bisson très passionnant. Une histoire de premier contact avec une race extraterrestre qui n'apporte pas grand-chose à l'humanité, ni au lecteur. "Close encounter", de Connie Willis, parle de chats, d'hôpital, et — tiens donc ! — de rencontre avec des extraterrestres. Ce n'est pas de la S.-F., mais on s'en fiche : c'est bien écrit, amusant, sensible, original. On en redemande. Passons sur "Grant us this day" de Nancy Kress qui a fait bien mieux que cette historiette sur Dieu et son œuvre. Je me fiche complètement de savoir s'il a oui ou non obtenu son diplôme de créateur d'univers. Il est probable que si je n'avais jamais regardé Magnum, je n'aurais jamais entendu parler du roi Kamehameha. J'aurais également lu Kamehameha's bones de Kathleen Ann Goonan sans voir des images de palmiers télévisuels, mais peu importe : c'est une excellente histoire de fantôme, d'univers parallèles et de voyages dans le temps. Et d'amour. Et quand on me sort des histoires d'amour avec des princesses hawaïennes nommées Kaiukani, je ne résiste pas.

Beaucoup d'histoires de parents et d'enfants dans Asimov d'octobre, F&SF de septembre et octobre/novembre.

D'abord "Papa", d'Ian MacLeod — encore un auteur qui fit ses débuts dans Interzone —, qui avec "Tha Dakna" de Jamil Nasir, et "Nanobot River God" de Paul Di Filippo, est la seule nouvelle située dans un avenir proche et radicalement différent. Dans "Papa", le fossé entre les générations, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'est plus à la mode, reprend du poil de la bête : dans un monde où tous les grands problèmes ont été résolus, ceux que la technologie maintient en vie après que tout leur univers a à jamais disparu ont les plus grandes difficultés à communiquer avec leurs descendants. La solitude et le désarroi de ceux que la technologie a laissés de côté ont rarement été aussi bien rendus. Dans the Dakna, il s'agit d'un père et da fille, et de clones. Lisible, mais on n'en garde pas un grand souvenir. Dans the Winter of love, la dépression économique mondiale conduit de vieux ex-hippies à reprendre la route et à revenir en Californie. Une idée qui serait restée amusante, un commentaire intéressant sur les illusions de nos sociétés et sur l'amère revanche de ceux qui s'étaient laissés “reprendre” par le système, si la nouvelle ne finissait pas sur le suicide larmoyant des principaux protagonistes ; j'aurais préféré qu'ils continuent à camper joyeusement sur les ruines !

Allen Steele et Jerry Oltion, dans F&SF de septembre et octobre-novembre ont en commun parents, enfants et centres commerciaux. Dans le texte de J. Oltion ("Blue light special"), un gamin est “kidnappé” par le système robotisé d'un grand magasin, qui l'intègre à un décor de Noël (en tant que Jésus). Malheureusement, il ne peut être récupéré sans déclencher les systèmes antivol : il ne reste plus à la mère qu'à attendre les soldes ! Un joli texte d'humour qui grince juste ce qu'il faut. Le centre commercial de A. Steele est virtuel, et c'est pour ma part un des textes qui développe l'idée de la façon la plus intéressante et la plus humaine que j'ai lue depuis longtemps. Dans "Lost in the shopping mall", le personnage principal travaille pour une société qui vend des installations de Réalité Virtuelle. Lorsque des enfants, cherchant à fuir la réalité, se perdent dans leurs univers, il va les chercher. Un traitement assez surprenant pour A. Steel, qui nous avait habitués à moins de sensibilité, et un intéressant commentaire sur les pouvoirs et les conséquences de l'imaginaire dans un monde superficiel et sans attraits, représenté par une mère riche, stupide et incapable de donner à sa fille l'amour dont elle a besoin. "Point man" de Lynn S. Hightower (F&SF de septembre) est exactement le genre de nouvelle fantastique qui me tape sur les nerfs. Il s'agit à nouveau d'une mère et de ses enfants. Cette dernière passe son temps à s'inquiéter pour eux : à la plage, vont-ils se noyer ? Se perdre ? Être kidnappés, etc…? Justement l'un d'eux manque de se noyer, mais est sauvé par un homme qu'elle seule voit : noyé lui-même il est demeuré sur cette plage pour y sauver les malchanceux et les imprudents. Acceptera-t-elle de la remplacer, d'assumer ses responsabilités, d'être pour toujours sur le qui-vive ? Je n'ai pas aimé le personnage : son obsession n'est pas touchante, elle est exaspérante : on a envie de lui conseiller un psychiatre, ne serait-ce que pour que ses gosses n'aient pas à pâtir de l'angoisse permanente dans laquelle vit leur maman. On retrouve Steven Utley dans Asimov's en octobre et en novembre : avec "There and then" ou le bonheur retrouvé au temps préhistorique, et "the Country doctor", une charmante histoire d'extraterrestre échoué sur terre, qui est peut-être la plus intéressante d'un numéro un peu terne, dans lequel la novella "Down the river" de R. García Y Robertson, fait trop dans la description pour me satisfaire : les héros sortent d'un portail temporel sur le Mississipi d'avant la guerre de Sécession, descendent le fleuve et empruntent un autre portail. Soit.

Le numéro de septembre d'Amazing stories est dans l'ensemble agréable. La nouvelle de Mike Resnick, "the Tarnished diamond", sur les erreurs que ne cessent de commettre les humains lorsqu'ils rencontrent des civilisations moins avancées que la leur dit bien ce qu'elle veut dire, mais j'ai trouvé "Dancing to Ganam", d'Ursula Le Guin, sur un thème proche (comment on peut se tromper sur les intentions et les mythes d'une société extraterrestre), bien laborieuse. À mon grand désespoir, je constate que Mme Le Guin se regarde écrire et s'écoute penser. On s'ennuie.

Je finirai donc par un extrait des éditoriaux d'Isaac Asimov compilés par sa femme et publiés dans le numéro de novembre d'Asimov's : « Cela me fait plaisir de relire mes propres œuvres, parce que quand les mots reviennent dans ma tête, ils s'adaptent très exactement à l'endroit d'où ils étaient sortis. Enfin, ce n'est pas tout à fait exact en ce qui concerne mes textes les plus anciens, car j'ai suffisamment changé pour qu'ils ne trouvent pas leur place ; ils m'embarrassent juste un peu. ».

Notes

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