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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 6 une Forme de guerre

Keep Watching the Skies! nº 6, janvier 1994

Iain M. Banks : une Forme de guerre

(Consider Phlebas)

roman de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

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Une Forme de guerre fut le premier des livres consacrés en 1987 par Banks à son univers de la “Culture”, un space opera qui constitue sa tentative de fournir au public une S.-F. commercialement viable avec tous les ingrédients du genre : aperçus de l'immensité de l'espace, batailles impitoyables à des année-lumière de distance comme au corps à corps, civilisations étranges découvertes au hasard des voyages, extra-terrestres que l'on pense tout juste comprendre malgré leur étrangeté…

Le protagoniste du roman, Bora Horza Gobuchul, est un mercenaire, mais pas pour de l'argent : s'il se bat pour une autre espèce que la sienne, les Idirans, qui ne sont pas des humains et le méprisent, lui et tous ses congénères, c'est par conviction. Sa race, les Métamorphes, ont été génétiquement modifiés et peuvent changer leur apparence et transformer leur corps en des armes mortelles. Leur planète se trouve dans la sphère d'influence des Idirans, espèce tripède à la longévité étonnante qui, au nom de ses principes religieux, s'est lancée dans une guerre impitoyable contre la Culture, conglomérat de mondes humains unis par une idéologie libérale, tolérante et hédoniste rendue possible par l'abondance matérielle accessible à chacun, et l'usage intensif des machines intelligentes, qui sont considérées comme des citoyens à part entière — et sont peut-être les véritables maîtresses du jeu. Horza ne peut pas supporter que des machines contrôlent les êtres vivants, et c'est ce qui fait de lui un de leurs ennemis jurés.

Les agents de la Culture, notons-le, sont pourtant des femmes de grande beauté, accompagnées de machines intelligentes — et un peu caractérielles — qui jouent le rôle de faire-valoir comiques. Et Banks ne peut pas dissimuler sa sympathie pour la Culture malgré la manière inexorable dont sa machine militaire se débarrasse de ses divers ennemis, qui ne semblent jamais que lui infliger des piqûres d'épingle. Je ne peux m'empêcher de comparer la Culture aux U.S.A. : offrant à ses citoyens un maximum de liberté — voire d'insouciance — grâce à une prospérité fondée sur la technologie, la Culture se veut aussi respectueuse de ses “minorités”, ici les machines pensantes, et le personnage du drone, choqué par le mépris de Horza à son endroit, tient un discours qui renforce ce parallèle avec l'Amérique d'aujourd'hui.

Dès l'ouverture du roman, il se tire au dernier moment d'une situation apparemment désespérée — et fort originalement inventée : ce qui donne bien le ton du livre dans son ensemble, Banks ne reculant devant aucun cliffhanger — et se trouve lancé par ses patrons sur une nouvelle mission, à savoir retrouver un “Mental” (une intelligence artificielle) super-performant de la Culture qui, lors de la destruction de son vaiseau, a trouvé refuge sur le Monde de Shar, planète morte défendue comme un sanctuaire par une race extra-terrestre aussi mystérieuse que puissante. Personne ne peut entrer, sauf un petit contingent de métamorphes chargés de l'entretien des artefacts historiques de la planète, contingent dont Horza a, dans le passé, fait partie.

Bien entendu, ce ne sera pas une sinécure que d'atteindre le Monde de Shar, et Horza va devoir enrôler la coopération plus ou moins volontaire de l'équipage d'un navire pirate (d'autres mercenaires, finalement, mais beaucoup plus vénaux), et ne pourra jamais se débarrasser de la filature insistante de Pérosteck Balvéda, agente de la Culture dont les buts sont totalement opposés aux siens, malgré l'évidente attraction mutuelle qui les unit.

Il serait fastidieux de faire le catalogue des épisodes du roman : qu'il suffise de dire que Banks ne déroge jamais aux règles du grand spectacle, accumulant au passage une secte incroyablement dépravée, un jeu de hasard aussi cruel qu'haletant, nous offrant des artefacts d'une taille impressionnante (les mégavaisseaux qui traversent les océans de l'Orbitale Vavatch, elle-même structure artificielle plus grande qu'une planète), des fuites à couper le souffle (au travers des docks d'un vaisseau de la Culture, en particulier), et des bagarres aussi violentes qu'imaginatives. Il en fait trop : comme son personnage, Banks a ici un côté mercenaire, et à force de se couler dans la tradition de Larry Niven ou Poul Anderson, il submerge totalement sa personnalité, même s'il est incontestable qu'il fournit une lecture saturée de plaisir immédiat.

On peut pinailler sur certains détails : par exemple, comme la plupart de ses collègues écrivains de space opera, Banks est fâché avec la vitesse de la lumière. Il parsème le texte de références obligées à la propulsion hyperspatiale et aux instruments de communication du même style, mais je pense qu'il se trahit page 44, en donnant trop de détails : Horza, flottant dans l'espace, est repéré par « un radar à basses fréquences, pas particulièrement puissant », qui se trouve à un centième d'année-lumière de lui. Or, s'il s'agissait vraiment d'un radar, ses signaux seraient des ondes radio, qui se déplacent à la vitesse de la lumière, et il faudrait une semaine pour que les signaux en question fassent l'aller-retour nécessaire au moindre repérage. Inutile de préciser que la scène en question se déroule en quelques minutes…

Commercial ou pas, Banks garde toujours par-devers lui sa flèche du Parthe, et arrivé à la fin du livre, une seule conclusion s'impose : cette guerre, combattue avec tant de fougue, n'avait finalement aucun but, tout le monde est mort pour rien, et tous ces combats — auxquels le lecteur a certainement pris plaisir au premier degré — non seulement, ne constituent qu'une note microscopique dans l'Histoire Galactique dont la fin du livre nous donne un aperçu, mais encore laissent un goût de cendre dans la bouche. Et c'est ce qui me pose problème : l'attitude de Banks finit par transparaître dans le livre, et les multiples péripéties par lesquelles passent Horza et compagnie sont trop souvent, trop évidemment gratuites pour retenir l'intérêt. Bien sûr, on passera un moment génial sur la plage avec ce livre (et un tube de crème solaire) ; mais il n'ajoute pas grand-chose à la gloire de son auteur, et paraît moins réussi que les romans suivants de la série de la Culture que Gérard Klein a eu l'astuce de nous présenter avant.