KWS : comptes rendus de lecture sur la Science-Fiction

Laurent Genefort : les Vaisseaux d'Omale

roman de Science-Fiction, 2014

chronique par Éric Vial, 2014

par ailleurs :

Deux des grands plaisirs du roman populaire, dont la Science-Fiction procède largement, sont la nouveauté et la répétition. L'œuvre de Laurent Genefort offre l'autre et l'une en abondance. L'univers unique qu'il explore, structuré par les artefacts de “grands anciens”, assure la continuité de roman en roman, tout comme depuis un certain nombre d'années ce qu'on n'osera à peine qualifier de rétrécissement de la focale, la polarisation sur le plus vaste à ce jour de ces artefacts, le monde d'Omale, immense sphère creuse entourant à bonne distance une étoile, et à la surface intérieure de laquelle sont installées des sociétés et des espèces pensantes en nombre sinon infini stricto sensu, du moins virtuellement telles au regard des possibilités du narrateur et des lecteurs : de quoi assurer du nouveau sans discontinuer, d'autant qu'il n'y avait aucune raison qu'un récit épuise les possibilités offertes par un groupe, ou par ses contacts avec l'échantillon de l'espère humaine lui aussi embarqué dans ce zoo, cette réserve ou cette arche de Noé, et que Genefort s'est bien gardé d'une telle systématicité. Des humains, deux autres espèces humanoïdes, et ici une troisième beaucoup moins facile à appréhender, dont l'habitat naturel est l'espace interne de la sphère, plus quelque autre chose moins définissable, en forme de scolopendre : cela offre déjà de quoi s'occuper pour quelques décennies. Avec du nouveau. Avec l'exploration d'un monde hors échelle. Avec les liens le reliant à l'ensemble de l'œuvre, dont les portes entre différents points de l'univers.

À côté de la métahistoire, et d'une méga-cosmologie où la sphère portant l'équivalent de milliers et de milliers de fois la Terre n'est qu'une petite parcelle du monde, la loupe se pose effectivement sur les espèces susmentionnées, leur psychologie globale, les rapports entre elles pour ce qui peut en être perçu — avec un trait marquant chez Genefort, la communication, même un peu imparfaite, même un peu tronquée, entre espèces pensantes, y compris celles relevant de la mécanique, de l'artificialité. Les conflits ne relèvent pas du biologique mais du politique, de la volonté de puissance — et pas celle des peuples, celle des individus. Et sur la loupe de cette Histoire générale s'en superpose une autre, et encore une : la première loupe, c'est celle de l'histoire avec une minuscule, même si elle est d'une grande importance pour l'autre, celle avec sa grande hache : premier vol spatial (intérieur et non extérieur à l'immense sphère, s'entend), compétition et coups de force, manœuvres politiques aussi, et déploiement ici de forces obscurantistes ou simplement rétrogrades contre lesquelles les personnages ont à se cogner, à lutter (et qui sont bien répartis, les sectes des uns répondant fort bien aux traîneurs de sabre des autres — les répulsions de Genefort n'ont hélas guère plus de raisons de changer que nous ne pouvons avoir d'espoir de les voir disparaître de notre réalité) ; la seconde loupe, c'est celle qui fait suivre ces mêmes personnages, leur donne chair, fait s'intéresser à leur vie avant et pendant le roman, un peu moins après sans soute mais simplement parce que si Genefort ne fait plus comme autrefois — quand de roman en roman il tuait les personnages principaux de ses premiers chapitres à la fin de ceux-ci, après avoir planté le décor —, il n'est pas très tendre avec eux : l'immensité de l'univers décrit permet quelque gaspillage de personnel, et ne pousse pas à la réutilisation de ce dernier. En tout cas, les échelles différentes du récit, et des espaces (l'univers/Omale/les petites flaques à taille de planète abritant chacune pour l'essentiel une espèce/les lieux du récit) s'emboîtent bien ; je ne sais pas si la couverture de Manchu, entre rose passé et marrons, est très vendeuse, mais elle est remarquable et reflète fort bien cet aspect du contenu, avec ses surfaces, ses ombres, ses immensités elles-mêmes hétérogènes mais aux natures inidentifiables, ses allusions à des mécaniques démesurées, et tout petit, soigné dans ses détails, un appareil volant, ou se mouvant le long d'un câble, et dont l'ombre se reflète au sol… le jeu des emboîtements me semble ainsi très bien rendu.

Par ailleurs, l'étrangeté et la familiarité sont d'autres formes de la nouveauté et de la répétition. Et l'univers de Genefort se prête bien à leur mélange, avec une tension très forte entre une super-science démesurée, et des sociétés hébergées par les produits de celle-ci, mais ayant atteint un stade de développement inférieur à ce que nous connaissons dans notre vie quotidienne. D'une certaine façon, le steampunk est enchâssé dans les restes désertés de la Culture banksienne (si on ose dire). Mais ce steampunk, ce niveau technologique maîtrisable par nos capacités de non-scientifiques, a pour partie l'inestimable vertu d'être extraterrestre, avec en particulier une civilisation qui fait pousser, littéralement, ses immeubles et ses véhicules, et ici son premier engin spatial (le pluriel du titre est peut-être quelque peu abusif, sauf à prendre en compte des ratages que l'on qualifiera ici d'agricoles, ou les potentialités).

Bref, chacun pourra s'accrocher soit aux énigmes cosmogoniques ou technologiques dont une partie à peine est éclairée au terme de l'aventure, soit au double voyage terrestre puis spatial, qui a quelque chose de vernien et constitue l'essentiel de ladite aventure, soit aux rapports entre espèces pensantes et à la description du fonctionnement des extraterrestres, soit à l'histoire politique de la communauté humaine décrite (et qui occupe bien l'équivalent d'une planète on l'a dit), soit à l'histoire personnelle des personnages. J'oublie sans doute d'autres entrées possibles, et de toute façon, rien n'interdit d'en associer plusieurs, voire de les réunir toutes. De quoi contenter une gamme importante de lecteurs, ce qu'on ne peut que souhaiter à ces mêmes lecteurs, à l'auteur et à son éditeur. En attendant d'autres morceaux de l'univers d'Omale, bien entendu. Parce qu'au-delà du désossage d'un compte rendu, tout cela fait évidemment quelque chose de bien intéressant et de bien agréable à lire entre, chez l'auteur, talent et métier.

Éric Vial → Keep Watching the Skies!, nº 74, septembre 2014

Lire aussi dans KWS la chronique du roman Omale [ 1 ] [ 2 ] par Noé Gaillard ou Jean-Louis Trudel

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