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Vous êtes ici : Quarante-Deux KWS Sommaire du nº 20 Bifrost 1 & Galaxies 1

Keep Watching the Skies! nº 20, juillet 1996

Olivier Girard : Bifrost 1

revue de Science-Fiction & de Fantastique

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

Stéphane Nicot : Galaxies 1

revue de Science-Fiction ~ chroniqué par Pascal J. Thomas

 Détail bibliographique dans la base de données exliibris.

Depuis plus de quatre ans, nous l'avaient promis les prophètes, chantons tous son avènement, Galaxies est paru ! Pour une revue fignolée par tant de gens honorables pendant tant de temps, on ne peut qu'être déçu du résultat graphique : la maquette est d'une sobriété voulue, visant l'aspect d'une livre, mais son réalisateur, Jean-Claude Dunyach, n'est pas maquettiste — on ne peut avoir tous les talents. Décevante aussi cette couverture, malgré le dessin de Francescano : pas laide, et néanmoins glauque, inapte à mon sens à accrocher l'œil de loin.

Mais j'espère que vous vous en foutez, tous alléchés que vous êtes par le contenu de l'objet et non sa présentation. Celle-ci ne saurait nuire qu'à l'efficacité de la diffusion en points de vente, alors que l'objectif semble être de miser sur les abonnements en priorité.

Que trouve-t-on donc dans Galaxies ? Un ton retenu — on sent que la revue est réalisée par un comité et, qui plus est, un comité qui a choisi de gommer toute aspérité. Il en résulte parfois une sorte de grisaille. Même la critique de livre signée par Jean-Pierre Lion n'a rien pour faire bondir, c'est dire ! L'article sur la science de Jean-Claude Dunyach — sur les ordinateurs — n'évite pas les écueils du genre (le panorama de tel ou tel thème scientifique en SF donne souvent une sensation de déjà-vu) mais sauve les meubles avec une série d'observations originales.

À part ça, il y a une entrevue de Robert Silverberg qui ne nous apprend rien — et révèle une tendance de Galaxies au name-dropping, à l'inclusion d'auteurs célèbres même si leurs réalisations, en l'espèce, n'ajoutent rien à leur gloire. Cas flagrant : le texte anecdotique de Norman Spinrad. On remarquera que CyberDreams tient depuis six numéros un cap radicalement différent, privilégiant (ce n'est pas sans risque non plus) la découverte de nouveaux auteurs.

Puisque nous rentrons dans les nouvelles, signalons tout de suite le meilleur, à savoir le “dossier” sur Iain Banks. D'autres auteurs devraient être ainsi mis en exergue dans les numéros à venir, et cela semble une bonne chose. Ici, nous avons une “bibliographie” qui se limite en fait à une liste des romans parus en France (pas de quoi mériter une ligne dans le sommaire !), une nouvelle placée dans le cycle de la Culture qui vaut plus par son point de départ que par son aboutissement (mais quel point de départ !), et un article de Banks, passionnant, sur la façon dont il a conçu l'univers de la Culture. Sans doute le morceau de bravoure de ce numéro, qui montre comment Banks a su fondre conceptions politiques et réflexion sur le space opera existant pour forger un cadre fascinant.

J'aimerais pouvoir être aussi enthousiaste pour les nouvelles françaises. Bien sûr, Lehman fait toujours preuve d'imagination, et d'intelligence politique — trop manifeste, sans doute ; cette dénonciation enflammée de la mondialisation et de la pensée unique finira par dater le texte. Non que les phénomènes en question soient éphémères, mais que la façon d'en parler sent ici fortement le milieu intellectuel et politique français des années 90. Heureusement, le texte adopte pour l'essentiel un ton Laffertyien, qui tranche sur les habitudes de Lehman, même si on peut se demander en fin de course où était la logique dans le parcours. On a suivi les coureurs, c'était l'essentiel. Mais Lehman ne finit-il pas par imiter de trop près ce qu'il entend montrer, l'aveuglement du public par le scintillement médiatique ?

Boireau est beaucoup moins intéressant. Rien à redire sur l'écriture, mais j'ai trouvé que son texte était tout en… texture, pour une substance plutôt mince : un artiste tourmenté se coupe du monde, bonjour la nouveauté. En un sens, j'aurais pourtant mauvaise grâce à reprocher à Galaxies à la fois son manque de personnalité et l'inclusion de Boireau : chacun d'entre nous, critique ou anthologiste ou simplement passionné du genre, doit avoir son gourou, un créateur dont il porte les œuvres dans son cœur depuis des années en espérant les faire découvrir, ou redécouvrir, aux autres. Boireau joue peut-être ce rôle pour Galaxies, et il n'y a aucune honte à ça.

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Bifrost est en un sens l'exact opposé de Galaxies. La couverture est exubérante, certainement moins bien dessinée que celle de Francescano, mais aspergée de rouge et d'orange. La maquette est pleine de petites astuces, sans doute trop délirante au niveau des rubriques, dont les entrefilets s'éclatent dans tous les sens (c'est à la mode : lisez n'importe quel magazine de rock). Il y a des choses d'un goût douteux, comme de personnaliser la revue par une espèce héroïne de BD en maillot de bain métallique baptisée Heimdalla. Espérons que cela accrochera la clientèle nouvelle visée par Bifrost, dont l'originalité est de se faire diffuser par une chaîne de boutiques de jeux de rôle. La question est de savoir si les abonnements suivront.

Il y a dans les rubriques une bonne idée, celle de proposer des fiches sur les “Grands Anciens” de la SF française, auteurs du début du XXe siècle ou de la fin du XIXe. À part ça, les critiques de livres, très courtes, ressemblent à des quatrièmes de couverture pondues par des publicitaires et sont (paradoxalement ?) beaucoup moins fouillées que les critiques de BD. Il y a aussi des infos sur le cinéma, des chroniques de fanzine et des informations diverses, bref, un sympathique débordement animé par de jeunes fans dynamiques, ça pourrait porter ses fruits.

Côté nouvelles, Bifrost fait preuve d'une foi touchante en la SF française qui pourrait lui coûter cher en termes de ventes. Mais qui sait ? Le ton de la revue est celui de la naïveté, à l'opposé de l'aspect blasé de Galaxies, et le lectorat recherché est peut-être vierge à la fois de connaissances en SF (et en fantastique, car Bifrost pratique les deux) et de prévention à l'égard du produit national.

Quoiqu'il en soit, les fictions ne sont pas des chefs-d'œuvre. Alain Le Bussy donne un texte très référentiel sur le voyage dans le temps — on le croirait écrit par Kevin H. Ramsey. C'est drôle pour le fan, pendant deux minutes. Ça le sera peut-être plus pour quelqu'un qui découvre les paradoxes temporels. Thomas Day est beaucoup plus sérieux dans son propos, c'est bourré de robots, de psychologie, et d'espace — au point que des éléments qui auraient dû être significatifs, comme le fait que le texte se déroule sur un vaisseau transportant une cargaison de forçats, sont complètement gaspillés par la narration. Par contre, Day n'est pas avare de dialogues verbeux. Du potentiel, mais pas encore la réalisation.

Raymond Milési, lui, sait parfaitement ce qu'il fait, et réussit bien le seul texte non-SF du numéro. C'est de l'horreur, dont le pivot est la folie. Rien de neuf toutefois.

Enfin, je parlais de gourou dans le cas de Galaxies, et Olivier Girard semble en avoir trouvé un (peut-être depuis peu) : Jean-Pierre Planque. Publier une nouvelle sans queue ni tête, dont bien des fanzines ne voudraient pas [1], passe encore. Mais publier une “histoire du fandom S-F” due au même Jean-Pierre Planque, voilà qui démontre à l'envi le manque d'expérience d'Olivier Girard. D'abord, les lecteurs présumés de Bifrost auront-ils la moindre idée de ce qu'est le fandom ? Un chapeau d'introduction les éclairera peut-être, d'autant plus que l'article de Planque est censé jeter une lumière sur l'évolution du genre en France…

Hélas, l'article se contente de donner des listes de titres de fanzines des années 50 et 60, entrecoupés de considérations qui reprennent les clichés les plus éculés qui circulent dans le fandom. Quand on arrive à la 1968 (date avant laquelle la SF doit être qualifiée de “proto-SF”, le saviez-vous ?!), Planque — qui a connu l'époque — se lance dans un délire manichéen sur la division du fandom entre “tenants de l'ordre ancien” et partisans d'une vision éclairée de la presse alternative, mêlant les genres et la conscience politique… dans laquelle il range ses propres réalisations de l'époque, sans les signaler comme telles. L'article s'arrête en 1976, et on nous promet une deuxième partie, consacrée à l'arrivée de Bernard Blanc sur la scène éditoriale. Au secours !

Bref, si Planque a pu à une époque produire des fanzines qui firent impression, force est de reconnaître qu'il a aujourd'hui totalement pété les plombs, et je m'étonne que Bifrost n'ait pas prêté attention à cette phrase de Daniel Walther pourtant citée par Planque : « Il faut dire que c'est un peu la tradition, en France, de vivre sur la gloire du passé ». C'est un défaut de la jeunesse enthousiasme que parfois de se laisser impressionner par des has been. Mais quand on reçoit nouvelles et articles tapées sur du papier jauni, il faut se méfier, que diable !

Espérons que Bifrost trouvera son public, car si Galaxies vise à prendre la place laissée vide par Fiction, la revue d'Olivier Girard pourrait apporter de nouveaux lecteurs à la SF française. Mais aucun des deux ne joue pour le moment dans la même division que CyberDreams, au niveau de la diffusion, de l'innovation, ou de la qualité littéraire. Nous autres, vieux fans blasés, observerons tout ceci de loin, et je vous conseille pour une bonne tranche de rigolade la lecture des interviews parallèles des responsables des trois revues (Francis Valéry, Stéphane Nicot, Olivier Girard) publiées dans la Geste, Chapitre Quatorzième.

Notes

[1] Et dont bien des fanzines ont dû ne pas vouloir : les références fréquentes au 10 mai dans le texte laissent à penser qu'il a dû être commis vers 1982…