Carnet de Philippe Curval, catégorie Cinéma

Morten Tyldum : Passagers

(Passengers, 2016)

long-métrage de Science-Fiction

Philippe Curval, billet du 8 janvier 2017

par ailleurs :
Navet de luxe
 

Sur un vaisseau spatial d'un kilomètre de long, cinq mille passagers (plus les membres de l'équipage), sont hibernés pour un voyage de cent vingt ans vers une planète nouvelle.

On se demande par quelle aberration la forme de ce navire étoile est doublement hélicoïdale, convolutée, spiraloïde. Ce n'est ni pour une raison d'esthétique, car il est carrément disgracieux, ni pour une question pratique, puisqu'il doit se construire dans l'espace, vu qu'en raison de sa conformation il ne peut pas décoller de terre. Par ailleurs cela implique d'y installer un nombre excessif d'ascenseurs pour y circuler.

Simple explication : c'est pour décoiffer le public ! Des ados mais aussi des croulants dont j'ai remarqué une présence assidue durant les projections des films de SF. Comme moi, par exemple, qui suis un ado métamorphosé malgré moi en croulant.

Il faut rappeler qu'en prégénérique, malgré tous les systèmes de protection dont ce vaisseau est équipé, un choc frontal avec un astéroïde gigantesque se produit. Apparemment, il poursuit sa route sans dommage.

Sauf qu'après l'incident, dans la grande salle des hibernants, une capsule se soulève et libère un bel homme. Pourquoi cette capsule et cet homme plutôt qu'une douzaine, un millier ? Morten Tyldum, le metteur en scène au nom d'extraterrestre, l'a décidé ainsi.

Plus extraordinaire encore, il n'existe a priori qu'un seul barman en smoking rouge et monté sur roulettes pour accueillir cinq mille personnes. Car, en supposant que le vaisseau arrive en vue de sa destination, j'imagine qu'on n'a pas hiberné des centaines d'androïdes pour leur réveil. Visiblement, ce barman peut vivre presque éternellement. De surcroît, pourquoi y en aurait-il un déjà présent puisque tous les passagers sont théoriquement dans le coaltar ?

Évidemment, pour le scénario, c'est une solution idéale, car il permet au dormeur qui s'est éveillé d'avoir un confident et de connaître sa situation.

Tragique en vérité, puisqu'il sait maintenant que le voyage doit encore durer quatre-vingt-dix ans — et qu'il frise la trentaine.

J'ai vu qu'on peut battre le record du monde de vitesse sur cycle à cent cinq ans, mais ce n'est pas le cas pour chacun. Sauf, évidemment, qu'un tel vaisseau ne peut exister, qu'un tel voyage ne peut se produire que dans quelques siècles. Et qu'à cette époque la durée moyenne de la vie humaine, compte tenu de l'évolution de la biotechnologie, pourrait atteindre plus de deux cents ans.

Alors, pourquoi notre homme s'inquiète-t-il exagérément de son sort puisqu'il n'aurait au pire que cent vingt ans en arrivant au port ?

Car il est angoissé, dérangé, pas content, plutôt désespéré. Il explore le vaisseau désert tandis que sa barbe et ses cheveux poussent.

Voilà qu'au sein des hibernés, il repère un écrivain, une femme de toute beauté. Or, il se sent bien seul malgré quelques balades dans l'espace pour se distraire. (De ce point de vue, les effets spéciaux sont superbes, à l'échelle de Gravity).

Tourments délicieux durant un an : va-t-il avoir l'audace de la réveiller ?

Bien qu'il soit admissible qu'il s'ennuie fort, moralement, c'est totalement abject. Enfin, sur le moment, il ne pense qu'à parler à quelqu'un. Mais s'il désirait de la compagnie, il aurait pu réveiller plusieurs personnes. Donc, son inconscient lui dicte que, sexuellement, c'est une bonne idée.

Après quelques échanges philosophiques avec le barman, où l'un et l'autre expriment des truismes de bazar, il se décide.

La ravissante créature se réveille et l'interroge.

Dur moment.

Ils s'expliquent sur leurs motivations. Mécanicien, il a fui la Terre parce qu'il n'y a plus rien à réparer. Écrivain, elle s'est embarquée pour faire l'aller-retour et raconter l'histoire du voyage. Puis, en raison d'une aimantation naturelle des sexes l'un envers l'autre, ils finissent par faire l'amour.

L'homme lui offre un arbre de Noël pour égayer leur long parcours.

Cette fois, ce sont les spectateurs qui s'ennuient ferme.

Jusqu'au moment où le barman dévoile la forfaiture de son conjoint à l'héroïne.

C'est la haine !

Et voilà qu'un ingénieur se réveille à son tour (noir évidemment pour la discrimination positive), mal en point, car sa déshibernation s'est mal passée.

Soudain, sans trop savoir pourquoi ces événements ne se produisent que des années après le choc initial, tout se dérègle dans le navire étoile. Plus de lumière, puis la lumière, plus d'oxygène, puis l'oxygène revient, les robots balayeurs deviennent méchants.

« Il doit y avoir un loup ! » énonce l'ingénieur.

En effet, il y a des trous dans le vaisseau, l'ordinateur de bord est cramé et le système de propulsion donne des signes d'incendie.

Qu'à cela ne tienne, il n'y a qu'à utiliser les pièces de rechange !

S'ensuivent quelques voltiges dans l'espace. Naturellement, le fil qui relie notre héros au vaisseau se brise. Suspense ! La courageuse écrivain le sauve. Puis l'homme (qui se révèle un mécanicien de génie) remplace les éléments déficients avec une dextérité exceptionnelle, brave au péril de sa vie le feu nucléaire et, malgré un bouclier thermique, meurt, après avoir remis le système de propulsion à neuf.

Qu'importe, la ravissante créature le ressuscite grâce au médoc du bord, car l'ingénieur en décédant lui a légué son bracelet magique qui contient toutes les autorisations.

Les passagers hibernés qui vont débarquer sur la planète idyllique s'éveillent dans un vaisseau transformé en forêt par les deux amants disparus. Tout se termine heureusement pour les émigrés. D'autant qu'ils pourront lire le roman du film que la belle écrivain a rédigé avant que sa vie s'achève.

Un futur best-seller.

Morale de ce Passengers : en Science-Fiction, il est possible de tout inventer, mais on ne peut pas réparer l'irréparable.

En particulier les navets de luxe.

Maintenant que je vous ai tout raconté, je vous souhaite bien du plaisir à le voir, afin de vérifier si vous êtes d'accord avec moi.

Commentaires

  1. Emmanuel Civilimardi 10 janvier 2017, 07:31

    Non.

    Mais ce billet aura eu au moins l'intérêt de m'obliger à formuler mon ressenti, tant il est vrai que l'on n'a pas fini de lire un texte ou de voir un film si l'on n'a pas écrit quelques lignes à son propos.

    L'exercice qui consiste à résumer une œuvre de Science-Fiction plus ou moins entièrement, même sans sarcasme comme on en trouve ici, aboutit toujours à ridiculiser l'objet de tous nos mots : un mec qui peut lire dans l'esprit des gens y arrive soudain moins bien et ça lui tape sur le système. On se demande tout de suite pourquoi on lirait ce genre de stupidités, et lorsqu'on s'abstient on passe douloureusement à côté de l'Oreille interne de Robert Silverberg…

    Plus enrichissante est l'approche qui consiste à présenter les points positifs, selon les deux aspects qui vaillent vraiment, éthiques et esthétiques.

    De l'esthétique, on en verra ici à plusieurs niveaux. D'abord à celui de la forme du vaisseau, doublement hélicoïdale effectivement, qui est une façon tout à fait efficace de stocker la matière (ou l'information) nous épargnant le bête cylindre, ce que l'ADN — dont on connaît la laideur intrinsèque :-) — a bien compris, et qui nous fait donc ressentir immédiatement qu'il s'agit là de porter l'héritage génétique de l'humanité vers les étoiles dans un ballet de plongées et de contre-plongées autour des segments de toute beauté. Ensuite, au niveau de la représentation matérielle du futur : on constate un véritable effort de consistance dans les paysages intérieurs du vaisseau, bien servis aussi par l'hélicoïde, qui ont l'air d'être l'aboutissement crédible de quelques siècles de réflexion technologique, et aussi dans la représentation des interfaces informatiques, mélange d'hologrammes et de réalité virtuelle dont on aimerait disposer tout de suite, qui semble d'autant plus fonctionnelle qu'elle a quelques défauts, notamment dans son impossibilité amusante à reconnaître ses propres dysfonctionnements.

    De l'éthique, on en trouve au travers des multiples parcours des personnages. Intellectuel, tout d'abord, ce qui est mis en scène sans jugement par le pas que fait le technicien vers l'art lorsqu'il se met à lire ce qu'elle écrit ou lorsqu'elle le force à exprimer en termes autres que clichés les raisons de son émigration. Mais aussi par le pas que fait l'écrivain vers le vulgaire lorsqu'elle se laisse persuader par lui à juste titre que la danse ou le sport peuvent être source de contentement. Elle n'est plus alors complètement le phénix des hôtes de ces bois, et lui la simple lie de la terre, dans une société future qui s'affranchit sous nos yeux des aspects toujours médiévaux de la nôtre, laquelle persiste à ne croire qu'en la solitude de l'artiste, alors que n'existe vraiment que la bienveillance mutuelle des artisans (comme dirait Vulcain), en une grande réconciliation de la science et de la fiction… Moral, ensuite, par le double cheminement (hélicoïdal ?) que lui et elle entreprennent autour de l'acceptation du fait qu'il l'ait réveillée. Effectivement, au premier regard, cela semble « totalement abject », mais il nous sera montré que le salut du vaisseau et de ses milliers de passagers en passait par là puisqu'il ne pouvait le prendre en charge tout seul, ce dont il n'a pour finir qu'à se féliciter. Il nous sera aussi montré que cette vie qui lui est imposée, elle choisit elle-même de s'y maintenir avec enthousiasme, ce qui nous est tout d'abord présenté comme une forme de meurtre s'avérant en fait une sorte de libération, une sortie du cocon hibernant. Là aussi, la science et la fiction se rejoignent dans la mesure où les dilemmes présentés ne peuvent exister hors d'un contexte SF, lieu parfait de doute, d'hésitation, d'ambiguïté et de reconsidération.

    Merci donc d'avoir souhaité bien du plaisir à la vision de ce film, qui ne méritait somme toute pas tant de réticence.

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