Chroniques de Philippe Curval

Roland Topor : le Locataire chimérique

roman, 1964

chronique par Philippe Curval, 1964

par ailleurs :

Un double roman panique de Roland Topor vient de paraître sous la forme d'un seul volume, le Locataire chimérique.

Le premier roman, qui concerne le locataire, mérite tous les éloges. C'est le modèle du récit introspectif où l'auteur nous révèle les méandres de son univers clos. La panique y est grande, l'agressivité et la peur composent la fresque intime de la fuite. Le style en est dépouillé à l'extrême. On ne peut dire qu'il soit journalistique, puisqu'il cherche à décrire de véritables sentiments. Ce serait plutôt de la littérature composée par une machine à écrire, machine sensible à toutes les incursions humaines dans son domaine privé. Ou peut-être, plus simplement, la manière d'écrire d'un dessinateur pour lequel chaque trait est essentiel et qui ne veut pas déguiser sa pensée sous des artifices de style. Cela dit, la lecture du Locataire chimérique est agréable ; chaque mot frappe, le ton est bien sonore.

Nous pénétrons, peu à peu, les arcanes d'une petite scatologie intime et juvénile où l'auteur ne craint pas d'affronter le dépaysant, d'une érotomanie enfantine où les femmes au visage et au corps de poupées de cire prennent tour à tour l'importance d'une obsession ou l'insignifiance d'un tracas. Une introspection physique où le corps, malgré les poils, les peaux, la crasse, malgré son embarras de chair, procure une satisfaction d'être. Un jugement moral sur soi-même et les autres dans lequel il ressort que le murmure confus des insanités d'autrui ne couvre que rarement le monologue intérieur inquiet ou joyeux de l'auteur.

Humain, glacial, mesquin, ironique, le locataire dissimule sa peur d'être dans les replis de son corps et de son cerveau, il se réchauffe, se dorlote, se cajole, et son comportement extérieur n'est régi que par des lois superficielles motivées par les exigences du moment.

Dans ce premier roman, Topor démontre toutes ses possibilités d'écrivain, qui sont grandes. Le deuxième roman, plaqué sur la vie du locataire, voudrait l'entraîner dans un univers fantastique mais n'y parvient pas. Est-ce parce que l'anecdote est trop frêle, parce que l'auteur n'y croit pas ? Toujours est-il que nous ne nous envolons pas sur les ailes de la chimère.

Là où Topor procédait par touches discrètes, il tranche par affirmations ; là où les allusions, les retours, les inquiétudes suggéraient tout un monde, les descriptions nous laissent froids, la terreur nous ignore.

Trelkovski, le locataire chassé de son appartement, capte, en payant reprise, le logement d'une jeune fille, mademoiselle Choule, qui vient de se suicider. Or, le propriétaire, les voisins composent une dangereuse horde aux ramifications étranges, qui harcèle et traque Trelkovski jusqu'à la chute qui est, hélas, prévisible dès le début du roman. Ce qui aurait dû être un récit en progression constante, un long cauchemar panique, n'est suggéré que par quelques anecdotes réussies, sanglantes ou macabres, où l'on retrouve tout le talent de Topor dessinateur,

Le Locataire chimérique est donc un livre qui nous laisse insatisfaits. Il est plutôt l'esquisse d'un futur récit dans lequel Topor aura trouvé le lien entre le quotidien et son point de rupture : la panique.

Mais, de toute manière, c'est un roman qui ne laisse pas indifférent, un livre à relire pour ses qualités d'humour incisif et de cruauté, et qui nous laisse présumer qu'un jour, Topor conteur égalera Topor dessinateur.