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La petite chronique de nuit de Philippe Curval

Galaxie 149, novembre 1976

Michel Demuth : les Galaxiales

Michel Jeury : Soleil chaud poisson des profondeurs

Sam Lundwall : King-Kong blues

Ian Watson : le Modèle Jonas

Michael Crichton : l'Homme terminal

Et voici venir la vingtième ! Qui eût cru que ces chroniques durassent aussi longtemps ? Certainement pas moi et ce ne sont pas les encouragements qui m'ont poussé à maintenir leur parution nocturne. Plutôt le silence complice au sein duquel je m'efforçais de chuchoter. Maintenant que ce gros tas de signes — environ 600 000 avec les coquilles et les pataquès — a été publié, je reçois enfin les premiers signaux de réponse en provenance des plus lointaines nébuleuses, c'est-à-dire les lecteurs. Messages de sympathie torrentielle ou d'animosité irréductible, mais messages quand même. Contrairement à ce que je pensais, ces Petites chroniques de nuit ont fini par exister indépendamment de moi, par s'expanser jusqu'à devenir des ballons d'oxygène qui permettent à certains de soulager leur oppression devant le flot de parutions d'inégales valeurs. Oxygène pollué pour les autres, qu'ils recrachent avec véhémence. Enfin, ce n'est plus l'indifférence primitive, mère de tous les naufrages en circuit fermé. Si le Grand Galactique m'y autorise encore, cette situation risque de durer ; naturellement, pas plus que moi. Pour atteindre le numéro mille de Galaxie, il vous faudra patienter jusqu'en 2045, date à laquelle je filerai sur mes 115 ans.

À propos des Galaxiales, de Michel Demuth, désormais parues chez J'ai Lu, je vous propose de faire votre critique vous-même et de me l'envoyer. Une série de prix sans aucune valeur récompensera les meilleures. Fidèle à ma tactique de lutte contre le copinage, il serait malséant que j'en parlasse ici. Une prudente expectative me maintiendra dans la ligne que je me suis imposée. D'ailleurs, m'enthousiasmer pour l'œuvre de mon rédacteur en chef ferait peser sur moi les plus noirs soupçons. Et, si l'envie me prenait de faire quelques réserves, l'ire de ce dernier risquerait de me priver de cette chronique, pis, de mon quota de cigares. Je vous laisse donc le soin de pénétrer dans ce monument mythique de la Science-Fiction française. Je reste sur le seuil. N'essuyez pas les pieds sur moi, je n'ai rien d'un tapis-brosse.

Alors, maugréez-vous, de quoi va-t-il parler ? J'y viens, j'y viens ! Il est parfois utile de chauffer ses circonvolutions cérébrales en remplissant une page, cela permet d'attaquer la suite au meilleur de sa forme. Comme je ne dirai rien des Galaxiales, je parlerai de Soleil chaud poisson des profondeurs, de Michel Jeury, qui sort chez Laffont. Puisque je suppose qu'il n'écrira rien à propos de Cette chère humanité — lui ai-je fait promettre ? Je ne sais plus — je suis libre de dire ce que je pense de son dernier roman.

Du mal, d'abord ! Déjà, dans les Animaux de justice, de son alter Higon, j'avais estimé que la prolifération de mots inventés, cette furia verbomaniaque nuisait à la qualité du récit, provoquant même un léger effet de répulsion face à ce dépaysement factice. Dans Soleil chaud poisson des profondeurs, cette tendance s'exacerbe jusqu'au délire. Dans les trois premiers chapitres, il n'est pas rare de compter jusqu'à quinze vocables inconnus par page, en comptant les personnages, les lieux, les objets nouveaux, les notions différentes et les sigles. Ce n'est certes pas à moi de décider s'il s'agit, littérairement, d'une innovation digne d'intérêt. Il est probable que je n'aurais pas résisté au phénomène de rejet si les œuvres précédentes de Jeury ne m'avaient appris à lui faire confiance. Aussi ai-je tu mon inquiétude. J'ai poursuivi la lecture en établissant patiemment un petit dictionnaire Jeury-français qui facilite la compréhension des événements. Dans la foulée, je me suis aperçu que ces noms inventés ne l'étaient pas gratuitement, qu'ils répondaient à des racines connues et procédaient d'une dérive phonétique, imaginaire, imitée de la progression et de la déformation du langage à travers le temps.

Cet exercice salutaire m'a permis de pénétrer dans l'univers étrange où vivent Yan, Dimi, Claude et les autres.

L'écriture de Michel Jeury est si fiévreuse, si savante, si vivante qu'elle emporte dans son maelström. Difficile de ne pas se laisser prendre au charme de son style lyrique et feutré. Par un phénomène de connexion, puis d'induction et d'intoxication, on se met à vivre à l'intérieur de son univers. Celui de Soleil chaud poisson des profondeurs n'est pas précisément réjouissant : c'est celui de l'apocalypse. Au moment où, sur Terre, les deux hypersystèmes qui dirigent le monde sont prêts à fusionner, le rêve et la réalité se confondent dans l'esprit des Terriens, provoquant un gigantesque séisme de l'inconscient collectif. Au lieu de réagir individuellement, l'être humain, qui a abdiqué depuis longtemps toute prétention à se définir, s'inscrit dans un processus de décadence et le scénario de la révolution se transforme. Le bouleversement social auquel il aspire ne peut se produire que par technologie interposée

Mais cela, personne ne le sait ; chacun vit la grande fête triste de l'humanité, chaos de loisir et de travail forcé qui régit les habitudes. Même le démon est vendu aux grands monopoles : les citoyens ne savent plus distinguer l'ancienne et mystique église Cath-pro de son rival Fêtes et Territoires, ce Club Méditerranée à l'échelle des rêves d'une humanité emprisonnée par elle-même. Le trafic d'organes donne lieu à d'ignobles pratiques. La spacionique, création des super-ordinateurs, est une science qui permet de transformer l'environnement, de l'embellir. Les grands dirigeants de ce monde ne manquent pas de l'utiliser afin de diffuser le bonheur sous forme d'images d'un ailleurs où tous aspirent à se trouver. Dans cet empire des hypersystèmes, n'est-ce pas un passeport pour le désir absolu que les hommes se sont donnés ? La décadence de la société réside bien dans l'impuissance qu'ont les individus à se réaliser, à réaliser leurs rêves. Ils se défaussent de leurs responsabilités sur les premiers dirigeants venus, promoteurs de voluptés illusoires, et ceux-ci construisent le piège qui leur est demandé, croyant ainsi échapper au sort commun. Mais ils en sont également prisonniers, comme l'écrivain à la solde de ces profiteurs de masse qui invente les scénarios de l'aliénation. Lui aussi se laisse glisser dans l'émolliente douceur des contes à bon marché, croyant s'évader du chaos.

Yan Nak, qui a passé sa vie à inventer des histoires pour Fêtes et Territoires, ne parvient plus à adhérer à la réalité. Qu'advient-il le jour où il se met à vivre à l'intérieur de ses propres récits, imperceptiblement déformés. Est-ce la vie qui vient alors à la rencontre de ses rêves ? Est-ce le contraire ? Ou bien est-il atteint par l'une des deux grandes maladies mentales qui font des ravages en ce vingt et unième siècle : soleil chaud et poisson des profondeurs. Les deux sont les syndromes équivalents d'une fuite schizophrénique à répercussion somatique totale. Dans la première, l'homme songe qu'il est très loin des hypersystèmes, sous un soleil chaud, et se met à brunir. Dans la seconde, il s'enkyste pour devenir un animal du vide et du froid, se résorbe dans les profondeurs. Ou bien encore, Yan Nak, sain d'esprit, est réellement en écho avec le monde, en état d'équilibre psychosomatique parfait et subit-il alternativement les deux influences sans parvenir à s'en libérer définitivement. S'il en est ainsi, les histoires “à dormir debout” qu'il invente et qu'il vit correspondent à un état de crise ; elles amplifient les distorsions de l'inconscient collectif et prennent une valeur politique. Elles “emballent” véritablement le mouvement brownien qui agite les hommes pris dans ce conflit entre les deux hypersystèmes.

Peu à peu, tous les protagonistes de Soleil chaud poisson des profondeurs se verront englués dans les scénarios de Yan Nak et rejoindront Yan Nak lui-même jusqu'au point de rencontre où convergent toutes les forces : le roman que Jeury est en train d'écrire. Romancier en proie à ses fantasmes, il s'interroge à travers ses héros. L'écrivain doit-il se réfugier dans ses textes pour y recréer l'univers à loisir ou doit-il tenter de modifier le monde extérieur grâce au pouvoir de l'imagination et des mots ? Le roman constitue-t-il un pan de réel sur lequel peuvent s'appuyer ses lecteurs ou bien n'est-il qu'illusion masturbatoire ? Ou sert-il encore à aveugler l'humanité en créant ses propres mythes ? Dès que le livre échappe à son auteur, il peut devenir un instrument aux mains des hypersystèmes, il peut même servir à enfermer le romancier dans ses propres contradictions. Pour échapper à cela, il n'y a qu'une méthode, désarmer l'État, supprimer le pouvoir, réinsérer l'homme dans son individualité. Alors, chacun pourra rêver sans nuire à personne et choisir son itinéraire sans altérer la réalité des autres.

En une suite de séquences d'un onirisme puissant, où se confondent et se mêlent ces aspirations antagonistes, Michel Jeury aborde le roman de Science-Fiction sous l'angle le plus intéressant qui soit : celui des idées, celui de l'écriture. En privilégiant ses préoccupations poétiques, philosophiques et politiques, il se libère des influences qui caractérisaient encore les Singes du temps. Avec Soleil chaud poisson des profondeurs, il démontre, en même temps que son épanouissement personnel, la maturité du genre littéraire tout entier.

C'est probablement pour tenter d'exorciser ce monde à la fois terrifiant et comique, désespéré et passionnant, exubérant et sensuel qui nous entoure que Sam J. Lundwall a écrit King-Kong blues. C'est une bonne idée d'Émile Opta d'avoir publié ce cinquième roman d'un écrivain suédois. La SF scandinave nous manquait. Il s'agit d'un ouvrage de Science-Fiction réaliste basé sur plusieurs milliers de coupures de journaux d'Europe et des États-Unis. Tâtant le pouls de l'avenir à travers ces articles, Lundwall nous décrit la société pataphysique qui se prépare. Daumier de la prospective, il brosse un tableau effarant, rageur et misanthrope de la Suède du futur. Rien ne trouve grâce à ses yeux ; surtout pas l'idéal scandinave, lénifiant, pollué, morose, vécu par quelques cloportes, les derniers représentants de l'humanité.

Dans les grands magasins, les prêtres employés célèbrent des messes de mariage qu'ils entrecoupent de slogans publicitaires. On y trouve aussi de petits champs de bataille où les enfants jouent à la guerre avec de mini-armes réelles. Les émissions de télévision comportent obligatoirement des morts ou des blessés si elles veulent atteindre une bonne audience dans les sondages. King-Kong blues se rit des cadres, de l'informatique, du gauchisme, de l'hindouisme, du mysticisme, de l'éducation, de la pollution, toutes les tares de l'humanité y sont recensées avec férocité. Et l'on frémit de penser que cette description si précise d'une société en voie de décomposition n'est que le reflet de notre comportement dans le miroir grossissant du futur. Le moindre poil de barbe de ministre y est saisi dans sa monstruosité, le plus petit bouton de président de la république se présente comme un bubon, et les calvities officielles ressemblent aux plaines normandes durant les plus grandes périodes de sécheresse. Il est étrange de constater que ce décor dérisoire d'humanité ressemble terriblement à la société libérale avancée telle que V.G.E. nous la concocte ; le socialisme à l'auvergnate, quoi !

Dans ces villes-terriers aux mains des multinationales, de pauvres hères très bien payés se débattent misérablement. Le malheureux Lenning, cadre de seconde zone d'une énorme entreprise de publicité, est chargé de retrouver Anniki, le gimmick femelle choisi pour la grande campagne destinée à promouvoir une nouvelle crème pour les aisselles. Sa quête aura l'aspect minable des thrillers de série Z. C'est peut-être là que se trouve le défaut du roman de Lundwall. L'excès de hargne, l'absence de suspense, l'aspect un peu trop didactique du récit neutralisent le propos ; une certaine lassitude oblige à prendre du repos entre deux chapitres si l'on ne veut pas succomber à la lassitude. Toute cette accumulation de maux mineurs fait qu'on attend impatiemment que l'humour sous-jacent du récit explose et emporte King-Kong blues dans le torrent de l'humour.

Cela ne manque pas d'arriver, tout se termine en apothéose. Et la très belle et très déchirante conclusion de ce roman nous permet d'imaginer que ce futur, tel que Lundwall l'a relevé dans les média, ne se déroulera pas forcément de la manière qu'on suppose. Au-delà des frontières de la civilisation, il y a les payvoides (pardon, les pays en voie de développement) qui s'organisent. Ils ne nous laisseront peut-être pas succomber à la tentation de ressembler à ce que nous ne souhaitons pas être.

Petite parenthèse avant de poursuivre, toujours à propos de la société libérale avancée. Savez-vous que Marcellin perce sous le Poniatowski ? Les exactions multiples de notre ancien ministre de l'Intérieur, qui ont conduit un certain nombre d'éditeurs à la faillite, sous prétexte de protéger les jeunes yeux de nos enfants, se renouvellent. Sournoisement, pendant le mois d'août, alors que tous les journalistes étaient en vacances, 117 revues ont été interdites, soit à la vente aux mineurs, soit à l'affichage, ce qui les condamne financièrement puisque, dans le meilleur des cas, les ventes sont réduites d'au moins 30%. Et dans ce magma de revues semi-pornographiques et de bandes dessinées, il se trouve Métal hurlant.

Ce n'est pas sérieux, vous riez, bien sûr. J'espère qu'à l'heure où vous lirez ces lignes, c'est-à-dire plus d'un mois après que je les ai écrites, cette histoire ressemblera à un canular. Mais pour l'instant, on interdit l'une des meilleures revues d'expression graphique française. Censure pas morte. Déjà, après la première vague de libéralisme, j'avais trouvé sévère le classement de certains films en catégorie X, ce qui valait son pesant d'hypocrisie calotine. En effet, pourquoi ne pas classer certains restaurants en catégorie Q, interdits aux mineurs, sous prétexte qu'on y mange des plats trop épicés ou trop riches ? Enfin, là n'est pas le problème. Maintenant, on interdit non seulement les meilleures revues à lire de la main gauche, où s'exprimait un érotisme photographique digne du défunt Paris Hollywood, comme Club International, mais aussi les innocentes et paisibles B.D. de SF. Pourquoi ? Sans doute pour le même motif qu'avait donné le prédécesseur de Poniatowski à propos de je ne sais plus quelle bande (c'est le mot) : « Est interdit à l'affichage et à la vente aux mineurs en raison de sa Science-Fiction agressive et colorée » [sic]. Espérons que les hurlements du Métal sauront atteindre les Loyolas de la presse et susciter leur compassion, sans quoi je préférerais ne pas me trouver dans le portefeuille de Dionnet et de ses amis.

Après ce modeste couplet de protestation contre la censure — si je n'œuvrais pas dans une revue de SF où cette dame castratrice n'exerce que très peu de ravages, je l'aurais vitupérée beaucoup plus souvent — après ce couplet modeste, dis-je, passons au dernier livre de Ian Watson, le Modèle Jonas, paru chez Calmann-Lévy.

Autant le dire tout de suite, je suis extrêmement déçu : tous les défauts mineurs qui se faisaient sentir dans l'Enchâssement ressortent ici avec beaucoup plus de force. Ce roman chaotique, diffus, bourré d'informations, s'envole parfois sur les ailes de la fiction, mais, la plupart du temps, il s'envase dans le verbeux, l'inutile. Il s'éternise dans des dialogues psychologiques plaqués là comme une mouche sur le verglas. Watson, visiblement, s'entoure de toutes les précautions possibles pour faire un “grand” roman. Il accumule des quantités de données philosophiques, astronomiques, scientifiques qu'il brasse à coups de machine à écrire comme tout écrivain de SF professionnel. Mais il ne se fait pas confiance, il se retranche derrière l'exploitation logique des données initiales, sans faire le pas au-delà qui lui permettrait de planer dans les hautes sphères de la spéculation, comme il l'avait fait avec l'Enchâssement.

À la lecture de ces lignes, je suis soudain pris de remords. Comment ! Watson ne franchit pas le pas ? Son personnage, Hammond, le “Christian Barnard” de la radioastronomie réussissant une greffe de Dieu sur le corps de la Science, ne fait-il pas un pas gigantesque quand il découvre qu'une galaxie est destinée à entrer en collision avec la nôtre et prouve que l'Univers est destiné à disparaître puisqu'il implose, que son expansion s'effectue vers l'intérieur.

Hammond lance à la face de la planète la preuve de cette énorme farce qu'un Dieu hypothétique nous aurait jouée. Comme disait Arthur Cravan : « La grande rigolade est dans l'Absolu. ». Cette histoire, à elle seule, aurait pu servir de trame au roman. Mais Watson ne s'en contente pas. Parallèlement à cette découverte fondamentale, les soviétiques, eux, ont réussi à greffer un modèle mathématique de l'esprit humain dans le “melon” d'un cachalot. Watson renoue ici avec une de ses obsessions premières, le langage. Car, chez le cétacé, qui n'a pas de mains, « il s'est créé un genre de métavocabulaire à partir de signes purement formels, une topologie de la pensée en quelque sorte. ». Et, peu à peu, on s'aperçoit que ce métavocabulaire a donné lieu à un système de réflexion totalement différent de celui des humains.

Comment les cétacés recevront-ils le message de Hammond ? Vous le saurez à la page 242, mais vous l'aurez deviné avant. Car, si je vous ai donné tant de détails sur le synopsis de ce roman, c'est que son intérêt principal ne réside pas dans la rencontre de ces deux idées-force, que n'importe lequel d'entre nous serait content d'avoir trouvées. Il se situe, dans les dialogues, les à-côtés. Voilà pourquoi j'estime que le Modèle Jonas, de Watson, est un ratage intéressant : parce qu'au lieu de traiter dans le vif ses thèmes de base, il les exploite en parallèle, comme un romancier ordinaire. Ian Watson aurait dû dépasser sa condition d'observateur attentif et scrupuleux d'une histoire qu'il est en train d'écrire pour s'y impliquer. Son roman me fait penser au plat très compliqué qu'un cuisinier amateur mettrait infiniment de soin à préparer, en réunissant des ingrédients très rares, mais qu'un manque de savoir-faire conduirait à l'échec. Ici l'émulsion ne se fait pas ; quand on déguste le plat, on peut analyser tous les goûts qui ont présidé à son élaboration, mais ils n'ont pas pris ensemble, la sauce est loupée (veuillez m'excuser pour cette seconde comparaison gastronomique, mais la rédaction de ces chroniques me donne toujours faim).

Vain dieu ! L'abondance de dialogues filandreux et d'informations scientifiques n'a jamais fait un grand livre de SF. La Science-Fiction moderne doit poursuivre d'autres voies. Le travail spéculatif nécessite une plus grande rigueur d'écriture s'il veut être efficace. Et puis, ces relents de mysticisme et d'écologie qui servent de conclusion au Modèle Jonas me paraissent un peu trop baba ! J'espère néanmoins que ces lignes culinaires et réprobatrices ne vous empêcheront pas de lire le vingt-deuxième roman de la collection "Dimensions". Malgré tous les défauts que j'y décèle, il y reste encore assez de qualités pour en faire un des honorables livres du trimestre.

Pour terminer, parlons un peu radio. J'ai déjà dit dans une précédente chronique combien ce genre de média me semblait convenir à la SF. C'est pourquoi j'ai bondi sur mon poste, samedi 18 septembre, pour écouter la première émission d'une série de dramatiques de Science-Fiction qui va se poursuivre sur France Culture durant… durant ? J'ai perdu le petit article découpé dans un journal et je ne peux vous donner tous les détails que j'aurais voulu vous fournir. Enfin disons quelques mois.

Il s'agissait de l'Homme terminal, de Michael Crichton. Je ne connais pas le texte original, mais ce que j'ai entendu ressemblait plutôt à du Grand-Guignol qu'à de la SF. Est-ce pour se conformer à l'image de marque du genre et dégoûter à jamais les auditeurs ? Et puis, le manque de conviction des acteurs, l'aspect conventionnel de la mise en ondes n'étaient pas non plus faits pour encourager ceux qui auraient ouvert leurs postes en rechignant. Imaginez Sheila déclamant le Code civil, vous aurez une idée approximative de ce que donnaient les dialogues d'explications scientifiques nécessaires à l'intrigue. Je sais qu'il n'est pas facile de détailler des rapports de laboratoire, mais pourquoi les conserver ? Il y a toujours un moyen d'éviter ce piège en restant compréhensible, ne serait-ce qu'en choisissant une nouvelle ou un roman où il n'y en a pas. Et puis, au lieu d'opter pour une ambiance en demi-teinte, mystérieuse, troublante, pourquoi faire dire les textes aux comédiens du fond de la salle des pas-perdus de la gare Saint-Lazare ? Pour faire ressortir l'effet stéréophonique ? Allons, la stéréo doit s'entendre, pas se voir !

Enfin, je garde un peu d'espoir ; d'après mes souvenirs, les autres textes choisis sont excellents. Parmi eux, il y a le Maître du Haut-Château. Qu'on se le Dick !