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Georges Pierru : poésies et pastiches

Exercices de SFtyle

1984, inspiré de Raymond Queneau

Récit 1

Un jour, vers 12 T.U., du côté de la Monade Sheckley, sur le trottoir roulant à grande vitesse, particulièrement encombré, j'aperçus un homoïde au cou fort grêle qui portait une cape décorée d'un galon de plastimou au lieu de ruban.

Cet homoncule interpella subitement son voisin en prétendant que celui-ci faisait exprès de lui tordre les antennes à chaque fois que le trottoir ralentissait ou accélérait.

Il abandonna d'ailleurs rapidement la discussion pour se jeter dans un puits à gravitation négative.

Deux kilosecondes plus tard, je le revis à l'astroport Saint-Goimard, en grande conversation avec un ami qui lui conseillait d'équilibrer la gaine de sa hache-laser en en faisant déplacer le centre de gravité par quelque robot adéquat.

Récit 2

Le 8 septembre 2015, à 12h 50, tout près du Centre H.L.M. Sheckley [1] sur le trottoir roulant XPZ 87 où se pressaient généraux, colonels, biocardiologues, géochimistes et cosmopilotes et reliant le S.A.I.S.T. à l' I.T.S.A.E. [2], je vis un Martien [3] aux spondyles verdâtres, drapé d'une rutilante cape verte bordée d'un galon de plastico-spontex indestructible et argenté.

« Regardez ! » m'écriai-je à la délicieuse pathophysicienne qui m'accompagnait. « Regardez ses antennes !

— Quoi, ses antennes ? » s'exclama-t-elle !

— « Elles rougissent quand on ralentit et verdissent quand on accélère ! »

Tous les yeux se tournèrent vers l'extraterrestre qui, apeuré, actionna son rétrogravitistart et disparut dans les nuages synthétiques.

Quelques heures plus tard, nous nous retrouvions près de l'astroport Saint-Goimard d'où s'envolent pour les profondeurs violacées du froid de l'espace les longs fuseaux d'acier de S.A.I.S.T. Notre extraterrestre était en conversation avec un jeune spatiotechnicien plein d'avenir dont la lèvre supérieure s'ourlait d'une fine moustache brune. Ce dernier lui déclarait, dans le plus pur L.U. [4] : « Vous devriez faire remonter plus haut la gaine de votre hache-laser par quelque martienne de vos amies. ».

***

[1] Centre d'Hibernation à Loyer Modéré.

[2] Secret Army's Institute of Space Technology.

[3] Authentique : les Martiens existent. Voir mon livre : les Martiens sont de retour. Vaisselring Éditeur, Alsace Éditions.

[4] Langage Universel.

Récit fantasyque

Ce jour-là, alors que l'astre incandescent dardait ses rayons au plus fort de sa gloire, près de la marmoréenne monade de S'heckley l'Ancien, sur l'antédiluvien trottoir roulant, relique des Temps Perdus, où se pressait une foule exotique et bigarrée, j'aperçus un homoïde au cou visqueux, arborant une cape en cuir de shtong, bariolée d'un groupeng azuréen au lieu d'un ruban tissé de chriminium et de lapis-lazuli.

Cet homoncule éructa subitement — tel le bich'tar de Gripdour crachant son venin perfide — un sourd borborygme. Son voisin, un horrible Ksakkien, faisait exprès de lui broyer ses appendices nasaux à chaque fois que le trottoir passait de l'allure fougueuse de l'étalon à celle, grotesque, de la tortue.

Mais il cessa bien vite ses jérémiades incendiaires pour disparaître dans la sombre noirceur d'un puits menant aux fuligineuses cavernes.

Quand la trente-deuxième lune se fut levée, je le revis, arpentant l'Esplanade consacrée au Dieu Goimard, en compagnie d'un gigantesque mameluck qui lui conseillait de faire réajuster le fourreau de Tranche-Morpion, sa fourmillante épée, par quelque servante aux bras blancs.

Polyptotes

Je sautai sur le trottoir roulant encombré de Joviens, du côté de la Monade des Joviens. Nous avancions à une vitesse de Jovien. Je remarquai un Jovien au long cou de Jovien qui portait une cape de Jovien, ceint d'un galon comme jamais n'en arbora Jovien.

Soudain, le sus-dit Jovien s'en prit à son Jovien de voisin, pour lui faire remarquer qu'il lui chatouillait ses antennes de Jovien à chaque fois que le trottoir de Jovien augmentait sa vitesse de Jovien ou ralentissait son allure de Jovien.

Enfin, il cessa cette conversation de Jovien et s'enfonça dans un puits de Jovien pour rejoindre sa caverne de Jovien.

Quelques moments de Jovien plus tard, je le revis sur l'astroport de Jovien Saint-Goimard accompagné d'un Jovien qui lui donnait des cours d'équilibre en Jovien. (En auriez-vous douté ?)

Prière d'insérer (1979)

Né le 1er avril 19.., l'Auteur termine ses humanités au Cours Élémentaire après avoir brillamment enlevé son concours d'entrée à Sup Mat (Maternelle Supérieure). Il travaille d'abord comme coupeur de cheveux en quatre, enfin comme gonfleur d'hélices chez Dassault.

Avec cette première nouvelle, il apporte un ton nouveau où la flamboyance baroque le dispute à la dérision spontanée, témoignant de la vitalité de la Nouvelle Nouvelle Science-Fiction Française (N.N.S.F.F.)

L'intrigue tourne donc autour de la rencontre, sur un trottoir roulant, du héros de cette histoire avec un personnage extra-terrestre qui se querelle avec lui. L'épisode final voit le bizarre individu écoutant avec grande attention son valet de pied maître ès élégance spatiale.

Le tout donne l'impression charmante d'une imbuvable ratatouille que l'Auteur a mitonnée avec un rare sens de l'ineptie.

Critique (de la nouvelle sus-visée)

M... T... est sans doute l'auteur le plus important du moment, un de ceux qui bâtissent, en manuscrit, une œuvre puissante, originale, incomparable.

Il ne suffit pas de dire que M... T... est génial. Cette nouvelle réalise à la fois une synthèse et un dépassement. On repère d'abord un choc d'images surréalistes, une sensibilité dada ou non-sensique : ainsi la Monade Sheckley (ancrage dans le célèbre Plan de Versins) ou ce trottoir roulant et encombré. La démarche de T... possède l'évidence de la nécessité : le galon qui orne la cape…

Mais l'auteur témoigne également d'un goût prononcé pour les métaphores borgésiennes : le choc de deux corps, les antennes qui se tordent…

De ce point de vue, il est possible de saisir le fonctionnement de base du texte : la fuite…, la fuite métonymique : le héros se jetant dans un puits…

Explorant le système de l'image, l'auteur va en abolir la signification, il va produire de l'ambiguïté : le retour de notre personnage, alors que le fourreau de son épée est en déséquilibre…

M... T... aplatit le mythe, le débauche et se nourrit d'une dialectique mystification/démythification qui bouleverse la lecture idéaliste : c'est là sa profonde emmerdantialité.